Comme pour bien des métiers, l’informatique et, désormais, son excroissance qu’est le numérique, ont modifié en profondeur le métier d’archiviste, l’amenant dans des domaines nouveaux tels que la numérisation généralisée des documents, leur préservation, l’open data, la gestion de l’information, la sécurisation des documents et contenus, la gouvernance, la dimension vie privée…
Voilà pourquoi, à quelques encablures des élections régionales et fédérales, l’’Association des Archivistes francophones de Belgique (AAFB), qui compte près de 150 membres, a rédigé un mémorandum intitulé “Pour une mutation digitale réussie”. L’objectif: “présenter les revendications et aspirations des archivistes et des professionnel(le)s de l’information, qui oeuvrent au quotidien à la gestion et à la préservation des données et documents engageants des institutions dans lesquelles ils travaillent.”
AAFB: “Avant d’acquérir une valeur patrimoniale, les archives ont valeur de preuve administrative, légale ou financière, et sont des outils servant le processus décisionnel. Au 21ème siècle, plus encore: une gestion raisonnée des documents est l’un des socles de la gouvernance de l’information à l’ère numérique.”
Les auteurs du mémorandum mettent notamment en avant la nécessité de moderniser le cadre législatif, de veiller davantage à la promotion de compétences spécifiques et de mieux tenir compte des spécificités qu’induit le numérique – en termes de défis techniques que de nouvelles procédures ou encore de “valeur” ou finalité des opérations de création et de préservation des contenus,
Recrutement et compétences
Plusieurs des recommandations ou préconisations de l’AAFB concernent l’évolution du métier d’archiviste ou de “record / information manager” et des compétences qu’il doit maîtriser.
L’AAFB insiste par exemple sur l’importance qu’il y aurait à généraliser les pratiques de “record management” au sein des institutions et de les confier à des professionnels.
La raison en est l’évolution du type et de la valeur intrinsèque des documents confiés à l’archivage électronique. Il ne s’agit plus uniquement de simples procès-verbaux ou dossiers, souligne l’Association, mais de documents “produits directement en version numérique, ayant valeur probante, engageants et essentiels au citoyen”. D’où l’accent que met l’AAFB sur la nécessité d’“élaborer une politique globale de gestion de l’information”. Et cela passe notamment, selon les auteurs, par l’élaboration et la mise à disposition de “guides de bonnes pratiques en matière de gestion électronique des documents.”
AAFB: “Il est temps de donner aux producteurs d’archives les moyens de négocier le tournant numérique en toute sécurité, sans faire de bricolage.”
Revendication voisine: “encourager l’engagement de gestionnaires de l’information dans les organisations publiques et privées, par la diffusion d’un référentiel de fonctions des métiers de la gestion de l’information”. L’Association estime en effet que les administrations – mais le secteur privé est également concerné – “ont trés souvent du mal à identifier les profils de fonction nécessaires pour la réalisation des tâches liées à la gestion de l’information”.
Le métier-même d’archiviste suppose que de nouveaux types de profils soient disponibles sur le marché. L’AAFB demande dès lors que soient prévues “des subventions spécifiquement dédiées à l’emploi afin d’engager des professionnel(le)s qualifié(e)s”.
Cette demande s’adresse aussi bien aux responsables fédéraux, régionaux que communautaires. Le problème actuel à cet égard? “Actuellement, le décret de 2004 oblige les centres d’archives à engager deux types de fonctions : un responsable scientifique et un responsable administratif. […] Or, les enjeux numériques et technologiques requièrent compétences spécifiques et haute qualification.”
D’où la nécessité aussi de “développer une offre de formation en adéquation avec les évolutions de la société”. Parmi les mesures préconisées: une augmentation de la durée des stages et une intensification des interactions avec les professionnels du secteur; l’organisation de cycles de formation continue ; la création d’un centre de compétences en Belgique francophone ; l’organisation de formations courtes d’assistant(e)s en archivistique et de gestionnaires de collections, s’adressant aux producteurs d’archives.
Parce que la nature de l’information a changé
Face à l’évolution du type et de la valeur intrinsèque des informations, données et contenus dont les archivistes doivent assurer la pérennité, mais aussi des nouveaux risques que suscite le tout-numérique, l’une des demandes de l’AAFB porte sur la mise en place d’appel à “un plan d’action fédéral, tenant compte des nouvelles menaces qui pèsent sur l’information numérique (cyber-criminalité, fuites de données – accidentelles ou volontaires -, destruction ou diffusion inopportunes…), pour éviter les catastrophes.”
L’Association milite par ailleurs pour la création d’un centre d’excellence de préservation du numérique dédié à la gestion électronique de l’information, qui servirait notamment de “référent en matière d’utilisation des nouvelles technologies pour la préservation et la valorisation des informations préservées.”
L’un des constats posés par les professionnels de ce secteur est par ailleurs que le “patrimoine archivistique” est mal ou insuffisamment exploité. L’AAFB recommande dès lors aux responsables publics de “faciliter le recours à l’open data pour la valorisation des données archivées” et de mettre en oeuvre des mesures visant à favoriser le développement de solutions de gestion de données numériques et de systèmes d’archivage électronique par des incitants, en favorisant le modèle de la licence libre et en définissant “un cadre légal et normatif contraignant […] avec mise en place d’une certification stricte permettant de comparer les offres.”
Un cadre juridique et légal à revoir
Enfin, plusieurs points du mémorandum de l’AAFB se penchent sur des mesures relevant davantage du cadre juridique.
Les auteurs du mémorandum demandent par exemple l’“élaboration d’une législation adaptée aux changements induits par le numérique”. Certes, il y a les règlements et directives européennes (RGPD, NIS, eIDAS), le “Digital Act” belge, mais ce ne sont que des “boîtes à outils”, estiment les auteurs du mémorandum, “pas des solutions concrètes. Il faut donner aux services d’archives les moyens de recevoir des versements d’archives numériques, prendre à bras le corps la problématique de l’accumulation de donn.es numériques dans les administrations, de la multiplication des formats de fichiers et des logiciels utilisés, la non-pérennité des supports”.
L’AAFB demande également que soit défini un “référentiel légal en matière de gestion archivistique de l’information” afin de combler un cadre jugé trop lacunaire, “se limitant à définir les délais de conservation ou les modalités de versement et d’accès aux documents”.
Dans le même ordre d’idées, et de manière plus holistique, les auteurs du mémorandum désireraient voir les responsables politiques “proposer une révision ambitieuse du cadre législatif sur les archives qui tiennent compte du contexte politique et technologique.”
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