Le discours habituel sur l’état de détresse du secteur digital belge se résume généralement à invoquer un environnement hostile.
Parmi les explications les plus couramment citées pour souligner l’indigence de nos jeunes pousses innovantes, citons : “l’étroitesse de notre marché”, “le désert technologique”, “nos grandes entreprises préfèrent se tourner vers des technologies étrangères”, “le manque de moyens importants pour soutenir l’e-commerce belge”, “le manque de formations spécialisées”, “la pauvreté d’accès au capital-risque”, “La Belgique n’est pas le pays du Venture Capital”, “la myopie, la frilosité ou l’impatience des investisseurs belges (quand ils veulent bien investir, ils exigent alors un rendement important, rapidement)”, etc.
Ces affirmations péremptoires expliquent ainsi le fatalisme ambiant : “Pour grandir, réussir, devenir un nouveau Google, Apple, Facebook, Amazon, il faut partir à l’étranger !”. Mais elles ne se réfèrent qu’à des facteurs externes aux start-ups et distinguent mal la causalité et la corrélation.
Par exemple, l’étroitesse de notre marché ou sa segmentation typique (régionale, communautaire, linguistique, etc.) est-elle la cause de la difficulté d’accès au capital-risque, ou simplement une corrélation ? Si les grandes entreprises belges préfèrent se tourner vers des technologies étrangères plutôt que vers les technologies innovées par nos start-ups, est-ce la cause du désert technologique en Belgique ou une simple réciprocité ?
Les fatalistes ont-il entièrement raison ?
L’exil est-il la seule voie victorieuse pour se procurer des capitaux en abondance ? Pas si sûr !
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Des affirmations péremptoires qui ne se réfèrent qu’à des facteurs externes aux start-ups et distinguent mal la causalité et la corrélation.”
Dans la litanie des maux qui accablent notre “tech économie”, certains (“Peu de fonds d’investissements sont prêts à soutenir les start-ups internet”, “Peu de fonds d’amorçage comme il en existe en France”, “Peu de venture capitalists orientés vers les start-ups Internet”) sont indéniables, tout comme il est vrai que tous ces fonds existant à Paris, Londres, Berlin, New-York ou San Francisco viennent chez nous créer un réseau d’irrigation de l’économie numérique en étant prêts à soutenir des start-ups Internet belges à condition que ces dernières soient ambitieuses (c’est-à-dire résolument tournées vers l’international).
De nos jours, les grands investisseurs internationaux sont plus nombreux, en compétition accrue et bien plus proactifs qu’il y a une dizaine d’années. Ils ne se contentent plus de trouver des pépites sur leurs marchés domestiques et sillonnent le monde à la recherche de nouveaux filons. Ainsi, les venture capitalists anglais et américains s’organisent et créent des réseaux de correspondants avec leurs pairs européens ou envoient leurs scouts repérer chez nous les bonnes affaires. Ainsi donc des capitaux-risqueurs belges sont en relation avec leurs homologues étrangers (en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Allemagne) qu’ils peuvent appeler en renfort si une opportunité d’investissement se présente en Belgique.
S’installer aux Etats-Unis pour lever de l’argent massivement ? Pourquoi pas ?
L’aventure américaine est un choix tentant et en apparence facile puisque le marché US est extrêmement simple pour une entreprise européenne habituée aux tracasseries administratives et fiscales.
Aux Etats-Unis, le premier tour de table peut vite se chiffrer en millions de dollars. Mais il faut être prêt à se voir déposséder de son “bébé”.
Dans la Silicon Valley et même à Boston et à New-York, le premier tour de table peut vite se chiffrer en millions de dollars. Mais il faut être prêt à se voir déposséder de son “bébé”. Aux Etats-Unis, en moyenne, seules 7 % des entreprises ayant réalisé leur potentiel (c’est-à-dire ayant atteint leurs objectifs de développement) conservent au moins un de leurs fondateurs à un poste opérationnel important. Dans la majorité des cas le fondateur-CEO est débarqué.
Et croire qu’il suffit de conserver une minorité de blocage pour protéger son poste est un leurre. Quand vous ouvrez votre capital-actions, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, vous introduisez le renard dans le poulailler. Dans une start-up, contrairement aux apparences de joyeuse camaraderie des fondateurs, on ne vote pas ! Certainement pas quand le renard est dans la place, quel que soit le pourcentage de la société qu’il détient. Avec seulement 1% des parts de la société, un investisseur mécontent est en mesure de saborder tout financement ultérieur de l’entreprise.
Dans une start-up, contrairement aux apparences de joyeuse camaraderie des fondateurs, on ne vote pas ! Certainement pas quand le renard est dans la place, quel que soit le pourcentage de la société qu’il détient.
Quand on se rend compte de cette réalité, il est souvent trop tard et les fondateurs comprennent alors que, s’ils veulent continuer à grandir, la décision finale revient généralement à l’investisseur et que donc son influence est bien plus importante que ce qu’ils s’étaient imaginé, en tout cas hors de proportion avec le nombre d’actions détenues.
Pourquoi tant de pouvoir ?
Simplement parce que l’investisseur pionnier est incontournable pour les investisseurs suivants. Il sera immanquablement consulté par les nouveaux arrivants qui chercheront à connaître l’ambiance dans l’équipe et surtout à avoir un autre point de vue que les propos généralement dithyrambiques des fondateurs.
Si, lors de la levée de fonds suivante, les investisseurs potentiels se rendent compte d’un quelconque antagonisme entre le capital-risqueur pionnier et l’équipe fondatrice, les probabilités de boucler le tour de table se voient fortement réduites.
Par ailleurs, parmi les quelques entreprises belges qui se sont résignées à partir et qui ont réussi à lever des capitaux, la plupart ont changé de pitch. Elles ont dû adapter leur plan d’affaires et leur argumentaire pour plaire aux financeurs étrangers.
Carl-Alexandre Robyn
Associé-fondateur des cabinets Valoro
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