Dans l’article paru hier, nous vous exposions les principes du mécanisme de sélection et de labellisation mis en place pour les experts et consultants qui pourront opérer dans le cadre du programme chèques-entreprise – notamment pour des projets de transformation numérique. Le moins que l’on puisse dire est que ce mécanisme ne séduit pas tout le monde.
Nombre de voix s’élèvent pour regretter (au minimum) ce que beaucoup perçoivent comme une opacité dans la manière dont les modalités de labellisation ont été élaborées, “sans véritable concertation avec les acteurs de terrain”, relève notamment la FeWeb (“Fédération des métiers du Web”).
Voici un petit florilège de critiques et d’arguments avancés de part et d’autre de la table.
Procédure trop lourde ou… trop légère?
De manière étonnante, à moins que ce ne soit révélateur, les critiques se télescopent. Certains regrettent que les dossiers à introduire par les candidats à la labellisation soient trop lourds à constituer (nombre de pièces trop élevés, documents jugés “inutiles voire intrusifs”…) La FeWeb, notamment, pointe un CV à fournir en format Europass et des informations sur le montant facturé par le consultant pour ses missions de référence.
Par contre, on peut s’interroger sur l’efficacité d’une sélection qui ne se ferait que sur base d’un dossier “papier” (toutes les pièces et documents doivent être déposés en ligne via le site label-entreprises). Est-ce suffisant pour juger de la “qualité” (professionnelle) d’un prestataire, surtout lorsque cela touche à des interventions dans des processus de gestion d’entreprise à moderniser, numériser, dématérialiser, optimiser…? Seul l’octroi de certains types de chèques, on l’a vu dans notre premier article, sera conditionné à un entretien en chair et en os avec les évaluateurs…
Un curseur mal placé?
Autres critiques formulées par la FeWeb? L’obligation de pouvoir faire état de trois ans d’activités effectives, interdisant ainsi aux “consultants expérimentés mais en train de lancer leur entreprise” [Ndlr: ou en train de se constituer en société] de pouvoir prester dans le cadre du programme chèques-entreprise. Le gouvernement a apparemment voulu faire en sorte que seules les “valeurs sûres” puissent assister les clients bénéficiant des aides publiques.
Mais n’aurait-il pas été plus judicieux de prévoir une procédure de sélection faisant davantage de place au mérite réel – que le consultant/prestataire soit débutant (mais expérimenté en raison d’activités antérieures) ou davantage blanchi sous le harnais?
A noter toutefois que le CeQual n’est pas très clair dans les explications qu’il donne à ce sujet via le site Label-Entreprises. A la question “Je me suis lancé comme consultant cette année. Puis-je prétendre à la labellisation?”, voici ce qu’il répond : “L’arrêté du Gouvernement wallon prévoit le dépôt d’un dossier comportant notamment une description des expériences, comprenant “une expérience de 3 ans dans le ou les domaines souhaités et réalisée sur les années précédant directement la demande”.
On l’a vu dans la première partie de cet article, le CeQual promet de “ne pas être trop carré”. Entendez par là: on saura prendre en compte certains paramètres. Tout n’est donc pas perdu pour les “débutants”, surtout qu’ils peuvent passer par des entreprises déjà bien établies…
Quoi qu’il en soit, certains voient dans la procédure, telle que choisie, une forme de restriction d’accès à la profession “puisque, sans ce label, les clients finaux n’ont pas la possibilité de bénéficier de subsides allant jusqu’à 75%.” Et “risquent” donc de se tourner uniquement, ou prioritairement, vers des consultants dûment labellisés…
Des normes ISO qui n’ont pas de sens?
On l’a vu, l’une des conditions requises pour espérer décrocher une labellisation en tant que consultant ou expert est de “maîtriser parfaitement les normes applicables dans le cadre du chèque pour lequel ils demandent à être labellisés”.
Il s’agit en l’occurrence des normes EN 16114 (ou ISO 20700) et ISO 29993. La première édicte une série de lignes directrices dans le cadre de services de conseil en management (conseil et coaching). La seconde définit des lignes directrices et exigences minimales en matière de niveaux de qualité “pour la fourniture efficace de services de formation”.
Est-ce logique, raisonnable, réaliste, d’exiger des prestataires, parmi lesquels nombre de petites sociétés et d’indépendants, d’opérer en accord avec une certification ISO?
“Si une entreprise a déjà effectué une démarche ISO, elle peut en faire mention lors du dépôt de candidature à la labellisation”, déclare Stéphane Vince. “C’est en effet un signe d’engagement de qualité, la preuve qu’elle s’aligne sur des principes de base qualitatifs.”
Même écho dans la bouche de Jean-François Chaslain, directeur du CeQual: “La connaissance concrète de ces normes est un indicateur de la capacité du consultant à suivre des processus qualitatifs, tout au long de sa mission, qui évite certains problèmes.”
A noter que les prestataires doivent “maîtriser parfaitement les normes applicables” et non pas avoir décroché une certification ISO – la nuance est importante, tant on sait que décrocher une certification ISO est un processus lourd, en particulier pour de petites sociétés et des indépendants. La norme EN 16114 (ou ISO 20700) ne sert d’ailleurs que de guide, sans obligation de certification…
“Nous demandons simplement aux consultants de connaître ces normes et de les mettre en oeuvre”, insiste Jean-François Chaslain.
Comment pourront-ils faire la démonstration de leur connaissance et, surtout, de la bonne application de cette connaissance normative? “Ils ne passeront pas à proprement parler d’examen. Nous adoptons plutôt le principe de confiance”, déclare Jean-François Chaslain, “mais, dès 2018, leurs prestations seront évaluées.”
Quoi qu’en disent les organismes chargés d’évaluer les consultants, cette condition de “maîtrise des normes” n’en soulève pas moins de nombreuses réactions.
“En quoi le respect de décrets, d’arrêtés et autres normes ISO donne-t-il une quelconque garantie de “qualité” au bénéficiaire de l’aide?”, s’interroge par exemple la FeWeb, sous la plume de son nouveau président, Olivier De Doncker. En matière de transformation digitale, “une entreprise n’attend pas qu’un consultant externe suive scrupuleusement des réglementations, fussent-elles adoptées au niveau régional ou international. Ses dirigeants attendent davantage que cet expert lui apporte des solutions à ses défis grâce à son expérience accumulée sur d’autres projets, à sa maîtrise de l’environnement digital, à sa capacité à générer de nouvelles lignes de chiffre d’affaires et à sa connaissance du secteur où évolue l’entreprise. Cette valeur ajoutée, aucune codification ne peut la produire.”
Un prisme trop financier?
Certains estiment que pré-sélectionner des aspirants consultants sur base du chiffre d’affaires et du volume d’activités qu’ils peuvent afficher sur les trois dernières années est une perspective trop réductrice, voire injustement discriminatoire.
Xavier Lebecque, consultant: “Si un consultant n’a pas eu suffisamment de missions récemment, cela ne veut pas automatiquement dire qu’il ne soit pas up to date. Doit-on comprendre, au travers de cette méthode, que quelqu’un qui aurait du bagout et pourrait afficher des finances extraordinaires sera automatiquement qualifié?
On ne peut lier à un tel point la notion de qualification à des critères de santé financière. Il peut arriver qu’un consultant soit bon mais que ses finances soient déficientes, par exemple si ses propres clients ont des difficultés financières. Dois-je rappeler que certains subsides n’ont pas été versés depuis 12 mois, ce qui plonge par exemple nombre de clients et de consultants dans les difficultés…?”
Un filtre (déguisé) d’accès à la profession?
Plusieurs observateurs pointent du doigt ce nouveau mécanisme de sélection et de labellisation, estimant qu’il agit à la manière d’un filtre, empêchant certains de se positionner comme consultants.
Certains d’entre eux ajoutent que ce n’est pas aux pouvoirs publics d’ambitionner de jouer un tel rôle. “On décèle la tentation de créer une sorte d’ordre professionnel, régi par les pouvoirs publics. On ne saurait être plus éloigné de la culture propre à l’économie digitale, dont un fondement important reste l’ouverture et non le verrouillage par des filtres, règles et autres cadenas”, écrivait début novembre Olivier De Doncker, tout fraîchement nommé directeur de la FeWeb pour le côté francophone, sur le site de l’association.
D’autres soulignent que le concept-même d’évaluation de compétences, en particulier, en matière de consultance numérique est une illusion. Soit que les métiers et prestations soient d’un type tellement nouveau qu’il n’y aurait guère de personnes à même de juger de la compétences des consultants qui s’y lancent. Exemple: l’industrie 4.0. “Peu de gens sont aujourd’hui déjà en mesure d’expliquer en quoi consiste l’intelligence artificielle en production et robotique, ou ce qu’est le deep learning dans ces contextes”, déclare par exemple Xavier Lebecque. “Comment dès lors peut-on labelliser?”
Olivier De Doncker va même plus loin: “Je ne suis pas d’accord avec le fait que le CeQual ou l’AdN valide certaines compétences [numériques]. C’est en effet un exercice périlleux, si on n’est pas praticien soi-même, compte tenu du fait que la technologie évolue tout le temps. Par ailleurs, certains acteurs, sur le terrain, valident déjà les compétences. Google, par exemple, certifie des experts dans son domaine et le fait bien… La vraie demande du marché est un respect de certaines bonnes pratiques vis-à-vis des entreprises clientes, une prédictibilité de la relation avec le client.”
Une charte insuffisante?
Le CeQual a par ailleurs édicté une “charte de valeurs et de comportements” à respecter par les prestataires. Elle implique notamment le respect de certains principes déontologiques (intégrité, objectivité, indépendance, mise à niveau régulière de ses connaissances et compétences…) et l’engagement à résoudre d’éventuels litiges, “en privilégiant une approche en trois étapes: conciliation (gratuite) via le Centre de Référence, médiation commerciale, tribunal de Commerce.”
Le texte de la Charte peut être téléchargé via ce lien.
Quels points communs y a-t-il entre la Charte de qualité élaborée par le CeQual, que tout prestataire à labelliser devra s’engager et respecter, et la charte eTIC qui avait été imaginée voici quelques années en Wallonie? “Le principe fondamental est similaire”, estime Stéphane Vince. “A savoir que les prestataires doivent agir en bon père de famille.”
Analyse un peu courte estime-t-on du côté de ceux qui continuent d’espérer que la Charte eTIC puisse reprendre du service après avoir été mise au frigo par manque de financement d’une structure de suivi.
Juge et partie?
Damien Jacob, consultant: “Il faudrait veiller à une réelle neutralité de l’expert. On ne peut accepter qu’un prestataire procède à une mission de conseil tout en étant en même temps gestionnaire d’une agence Web qui décrocherait la mission de déploiement de la solution. Ce ne serait pas du vrai conseil mais de la préparation de mission…”
Ici encore, les organes chargés de la labellisation rétorquent que l’on préfère (pour l’instant, tout au moins) opérer selon le principe de confiance et de contrôle a posteriori. “Le prestataire s’engage, via la charte qu’il doit signer, à ne pas s’exposer à des accusions de conflit d’intérêt. L’Administration [la DGO6] effectuera de toute façon des contrôles ex post, vérifiant le respect de la Charte. En cas de souci, la sanction ultime sera le remboursement de l’aide perçue.”
Sous quelle forme se feront ces vérifications? Attendra-t-on des plaintes? Procèdera-t-on par coups de sonde aléatoires?
On l’a vu dans la première partie de cet article, l’administration procèdera par vérifications ponctuelles. En cas de plainte d’un client, elle sera évidemment amenée à intervenir plus vite. Et cela, selon 3 étapes: tentative de conciliation par l’entremise du CeQual. Eventuellement en duo avec l’AdN (ou un autre partenaire tel l’Awex) si la plainte concerne davantage le métier ou des aspects plus techniques. “Le but sera le plus possible de mettre les deux parties autour d’une table et de remettre le projet sur les rails”, déclare Jean-François Chaslain.
Deuxième possibilité, si cela “coince” vraiment entre les deux parties: la clôture anticipée de la mission. Avec, si nécessaire, renvoi vers une médiation commerciale, avec avocats et, en dernier recours, appel aux tribunaux.
Damien Jacob: “Je crains que les décisions de sanctions soient très rarement prises, et donc que les prestataires n’aient guère de crainte à ne pas respecter la charte… Je ne suis pas du tout convaincu que le document pourra éliminer les mauvaises pratiques qui ternissent le secteur.”
Pour éviter que les choses ne dérapent en cours de mission, Jean-François Chaslain tient à souligner que certaines mesures ont été décidées. Exemple? “Le prestataire, en cours de mission, devra faire signer des fiches de prestation au client – les formulaires seront disponibles sur le site label-entreprises. Ces fiches serviront de preuve que la prestation attendue a bien été réalisée, avec satisfaction. Le prestataire devra conserver ces documents pendant 3 ans, permettant à l’Administration de faire le suivi.
C’est aussi la raison pour laquelle nous demandons une connaissance des normes ISO, parce qu’elles balisent les étapes à suivre avant et pendant la mission. Une phase préparatoire bien menée permet de formaliser un accord en amont.
Et les fiches de prestation permettront de limiter les conflits et d’éviter les procédures coûteuses, avec avocats et tribunaux.”
Un label trop onéreux?
Autre critique entendue du côté des consultants: le coût de la labellisation.
Pour obtenir leur “bon pour le service”, les consultants devront en effet débourser 1.000 euros (200 euros + 800 euros par type de chèque-entreprise pour lequel il veut se faire labelliser).
“C’est cher”, estime Xavier Lebecque. “Un consultant indépendant qui n’a pas beaucoup de moyens reculera peut-être à l’idée de devoir débourser cette somme sans être certain de décrocher de nouveaux clients…”
Cher, inacceptable? Au CeQual, on rétorque qu’une labellisation qui aurait imposé une certification ISO serait encore revenue plus cher. “Un label Qfor, par exemple, est 10 fois plus cher. Une certification ISO, c’est 1.000 ou 2.000 euros par an…”
S’il reconnaît que la somme peut sembler importante quand on doit la verser en amont, Jean-François Chaslain souligne qu’“elle s’amortit sur 3 ans. Pour ce prix, le consultant a droit à un regain de visibilité et donc d’apport d’activité. Le fait de faire payer le label est également un moyen de filtrer les demandes et de ne pas attirer des amateurs qui veulent simplement aider un ami ou un voisin.”
“C’est en soi une barrière à l’entrée”, estime Olivier De Doncker, du côté de la FeWeb. Même s’il ne se dit pas opposé au principe, il estime que cela avantagera surtout les grands groupes ou agences, sans pour autant attirer les meilleurs consultants…
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