En mars de cette année, le gouvernement wallon dévoilait le contenu et le mécanisme d’attribution des “chèques-entreprise” octroyés à des sociétés wallonnes pour les aider notamment dans leur parcours de transformation numérique. Relire l’article que nous y avions consacré.
Le nouveau régime d’aides venait remplacer des dispositifs devenus désuets, qui se limitaient essentiellement à des primes e-business (création de sites Internet e-business, interventions de consultants Rentic chargés d’aider les PME à “étudier, conseiller ou assurer la gestion, le suivi ou la mise en place de projets e-business”).
La mise au rebus du précédent régime impliquait aussi la fin de la labellisation de ces consultants Rentic, priés de renouveler leur agrément afin de pouvoir (continuer à) prester des missions donnant droit aux nouveaux chèques-entreprise. Notamment, du conseil pour la mise en oeuvre d’un projet de transformation numérique, du coaching pour optimiser l’“innovation stratégique” ou encore pour améliorer l’efficacité de la démarche du créateur d’entreprise, ou pour favoriser l’“excellence opérationnelle” (modernisation des processus, industrie 4.0, recours à l’e-marketing…).
En juin, suite à un appel d’offre (qui fut plutôt court), le (précédent) gouvernement wallon désignait le CeQual (Centre wallon de la Qualité), comme “Centre de Référence du dispositif des chèques-entreprises pour la Wallonie”, chargé dès lors d’effectuer les vérifications en vue de la labellisation.
On en sait désormais un peu plus sur la manière dont ces labels seront octroyés et quels sont les critères et conditions à remplir pour y avoir droit.
Une labellisation aux modalités variables
Selon le type de mission donnant droit à des chèques-entreprises, les consultants pourront décrocher leur label, valable pour une durée de 3 ans, en répondant à des critères qui seront plus ou moins nombreux ou qui répondent à des logiques différentes.
Le montage est assez complexe à expliquer. Nous allons essayer d’être le plus clair possible. En signalant les critiques et interrogations que le cheminement imaginé provoque sur le terrain…
Qui labellise? Qui évalue les consultants?
Le CeQual est à la manoeuvre pour l’évaluation des dossiers de candidature rentrés mais se fait seconder par d’autres organismes. Son intervention ne concerne en effet que l’aspect “qualité des prestataires”, une “qualité” définie essentiellement, comme on le verra plus loin, en termes de “solidité financière” (3 ans de chiffre d’affaires…) et de track record.
Pour évaluer tout ce qui touche directement aux compétences métier et/ou techniques, le CeQual en appelle à d’autres acteurs. Pour ce qui concerne le numérique, ce sera l’AdN (industrie 4.0, cybersécurité) et la DGO6.
De même, pour l’évaluation des capacités d’accompagnement des consultants pour des missions d’aide au développement international ou de transmission d’entreprise, le CeQual en appelle respectivement à l’Awex et à la Sowaccess.
A noter que dans la pyramide procédurale qui a été mise en oeuvre, le CeQual ne fait que remettre un avis. La décision finale dépend de la DGO6, avant signature par le ministre de l’économie.
Qui est labellisé?
Une structure commerciale ou l’expert (consultant) individuel? L’opération vise l’une et l’autre. L’entité commerciale devra être reconnue – qu’il s’agisse du statut d’indépendant d’un consultant ou d’une société (celle à laquelle il est directement lié contractuellement ou celle(s) qui lui confie(nt) une ou plusieurs missions).
L’expert, le consultant sera pour sa part “labellisé” à titre individuel.
“Le mécanisme vise à autoriser aussi bien un bureau de consultance qui dispose de plusieurs experts qu’un expert qui assume des missions de consultance en intervenant au travers de plusieurs structures”, explique Jean-François Chaslain, directeur du CeQaul. “Un consultant pourrait par exemple agir tantôt en solo [à titre d’indépendant] et pour un cabinet ou une agence.”
Quels sont les critères appliqués pour la labellisation?
Le prisme d’analyse du CeQual prend la forme d’un “référentiel qualité” à 3 étages:
- respect et connaissance des normes (EN 16114 pour du conseil en management, ISO 29993 pour des prestations de formation)
- respect d’une charte (“code de valeurs et de comportements”)
- et présentation de documents de référence (attestations de prestations passées fournies par des clients, preuves d’expérience professionnelle pour les activités pour lesquelles l’expert demande sa labellisation, liste de compétences revendiquées).
Les candidat(e)s au label doivent attester de leurs compétences, au travers notamment de leurs missions antérieures. Ils doivent par exemple apporter la preuve d’une expérience d’au minimum 3 ans en tant que consultant ou expert ainsi qu’une preuve d’activités au cours de cette période, avec “liste des projets exécutés par l’expert, dans le cadre du chèque revendiqué”. Sans oublier des attestations-client. Hauteur ou ampleur du chiffre d’affaires et volume passé d’activités serviront de critères d’évaluation.
“Evaluer l’entité juridique selon des critères de chiffre d’affaires et de volume d’activités permet de déterminer si les prestataires sont de véritables consultants qui consacrent une partie importante de leur temps à cette activité”, déclare Jean-François Chaslain. “Le but est d’éviter de labelliser des consultants occasionnels ou non professionnels.” Nous reviendrons plus loin sur ce point qui suscite de nombreuses critiques.
Profils et compétences
Quelles seront les modalités d’évaluation? Une simple analyse du dossier rempli et remis via le site label-entreprises ou un entretien en tête-à-tête?
Pour des missions de conseils en transformation numérique classique, par exemple, les seules conditions à remplir seront d’ordre “qualitatif” mais cette notion de “qualité”, on vient de le voir, a essentiellement trait à des éléments fonctionnels: santé financière de leurs activités (qu’ils soient collaborateurs d’une société ou indépendants constitués en société), autorité à engager leur entreprise, satisfaction exprimée antérieurement par des clients à propos des services prestés.
On n’évaluera donc pas directement les compétences professionnelles et/ou métier de certains prestataires. Pourquoi? “Le marché est déjà mûr”, souligne Stéphane Vince, expert de l’AdN.
Tout dépend évidemment de ce qu’on entend réellement par “transformation numérique”. Telle que la définit l’AdN et donc, apparemment avec elle, le CeQual: il s’agit d’“activités de développement, d’intégration, de configuration système.” Somme toute, des métiers et projets IT classiques. On peut donc y verser les habituels projets d’implémentation d’ERP, de CRM, de sites e-commerce, un projet de restructuration de la logistique ou du canal de ventes…
Stéphane Vince (AdN): “Les feedbacks des bénéficiaires seront recueillis et cela permettra de mettre en évidence des éventuels signaux d’alerte”
La seule réelle vérification des compétences du prestataire se fera a posteriori, une fois la mission bouclée (ou en rade). “Les feedbacks des bénéficiaires seront recueillis et cela permettra de mettre en évidence des éventuels signaux d’alerte”, permettant, en dernière instance, de retirer à un prestataire son label…
Par contre, pour des missions étiquetées “industrie 4.0” ou “cyber-sécurité”, les consultants devront bel et bien faire étalage de leurs compétences techniques et métier. “Ce sont là des matières émergentes”, qui requièrent donc de valider les compétences, estime le même Stéphane Vince.
Mais le caractère nouveau de certaines compétences n’est pas la seule raison pour laquelle eux seuls, au départ, devront en passer par une case entretien.
Autre explication: l’urgence.
Course contre la montre
Le feu vert du programme Chèques-entreprise a été donné, au printemps, par Jean-Claude Marcourt, alors Ministre de l’Economie et du Numérique.
Le choix du CeQual, après rapide appel d’offres, a été fait en juin, un peu avant que le précédent gouvernement ne doive passer la main à la nouvelle majorité. Le processus et les modalités de labellisation ont alors été définis.
Le CeQual n’est réellement entré en action qu’au début novembre. Avec des modalités de sélection qui sont encore en train de se préciser (des questions et critiques venant du terrain donnent parfois lieu à l’ajout de certains détails et informations pour le moins utiles).
Des séances d’informations doivent encore avoir lieu au profit des consultants (deux sont encore prévues ce mois-ci).
Quatre sessions d’infos
Une première séance d’informations a déjà eu lieu, à destination des consultants en développement international.
Ce 16 novembre, une session sera organisée pour les anciens prestataires Rentic. Le programme: des explications sur les objectifs de la réforme des chèques-entreprise, sur le référenciel de qualité et la procédure de labellisation. Le tout suivi d’une petite démo sur la manière d’utliser la plate-forme label-entreprises et un temps pour des questions-réponses.
Une semaine plus tard, le 23 novembre, ce sera le tour des prestataires “Excellence opérationnelle” (transformation numérique, e-marketing…).
Une 4ème session, dont la date n’est pas encore connue, s’adressera aux consultants spécialisés en transmission d’entreprise.
Quant au site label-entreprises où les consultants peuvent trouver des informations, les documents à remplir et venir déposer leurs dossiers, il n’a pas encore pris sa forme définitive. Plusieurs problèmes techniques ont ainsi provoqué des problèmes d’encodage de documents.
Résultat, les premiers consultants ayant voulu s’inscrire et déposer leur dossier “ont essuyé les plâtres”. Les problèmes rencontrés se résolvent petit à petit.
Dans sa version actuelle, le site permet uniquement l’enregistrement des prestataires déjà connus (lisez, essentiellement ceux qui avaient été estampillés Rentic). Tous les prestataires, en ce compris donc ceux qui n’avaient pas l’étiquette Rentic, devraient en principe pouvoir utiliser le site à la fin de ce mois…
Tout cela pour dire que le CeQual et ses “aidants” sont engagés dans une course du genre sprint de dernière minute pour faire face aux demandes de labellisation.
L’ancien régime d’aides (primes e-business, Rentic…) et l’ancienne certification des consultants perdant toute valeur au 31 décembre, il s’agit d’octroyer les nouveaux labels “consultants qualifiés chèques-entreprise” avant le 1er janvier.
Pour accélérer le mouvement, l’option a été prise de travailler uniquement sur base des dossiers rentrés pour divers profils de consultants. “Il n’y aura pas d’entretien pour ceux qui étaient déjà connus de l’AdN parce qu’ayant opéré sous l’ancien dispositif d’aides [Ndlr: on peut donc raisonnablement y inclure les anciens consultants e-business/Rentic].
Il n’y aura rendez-vous que pour des dossiers incomplets ou posant problème et pour les nouveaux prestataires”, explique Jean-François Chaslain.
Idem pour les prestataires voulant pouvoir actionner des chèques-entreprises pour des missions d’un type nouveau, du genre conseils en cybersécurité et industrie 4.0.
Ce qui soulève évidemment une question: quid d’un consultant qui voudrait se faire labelliser pour des missions relevant de divers chèques-entreprise? Par exemple, quid d’un ancien consultant Rentic, déjà considéré comme qualifié en matière d’e-marketing ou de transformation numérique “classique” (ne donnant pas lieu à entretien préalable), mais qui veut aussi prester pour des missions “industrie 4.0”? Doit-il passer un entretien pour seulement une partie de ses compétences?
Pour l’heure, toujours en raison de l’urgence, il reçoit le feu vert. Mais… “une interview sur le volet industrie 4.0 pourra intervenir plus tard. Si un consultant veut se spécialiser, si son profil évolue pendant la durée de validité de son label [Ndlr: pour rappel, elle est de 3 ans mais à confirmer au bout d’un an], son dossier évoluera aussi”, indique Jean-François Chaslain.
Comment les prestations, sur le terrain, des consultants et leurs compétences seront-elles évaluées?
Après le “coup de feu”, deux types de contrôle a posteriori, après bouclage de la mission, seront utilisés.
D’une part, un questionnaire sera envoyé de manière systématique aux entreprises. Ce “dispositif ayant certaines limites”, souligne Jean-François Chaslain, il se doublera de vérifications plus ponctuelles, effectuées tant par le CeQual (contenu de la mission et efficacité de prestation) que par la DGO6 (“utilisation à bon escient” de l’aide financière octroyée via chèque-entreprise).
“Le but est non seulement de vérifier si les compétences sont réelles mais aussi d’améliorer la qualité des prestations avec le temps. Des formations seront d’ailleurs proposées, portant sur les différents aspects du Référentiel de qualité défini par le CeQual.” Par exemple: maîtrise des normes de qualité, aspects métier et techniquex (pour ces derniers, les formations seront prodiguées par exemple par les Centres de compétence).
Quelle “ancienneté” doit démontrer le consultant?
L’un des critères de sélection est l’obligation, pour le consultant et la structure juridique, de pouvoir démontrer des activités dans les compétences labellisées, d’au moins trois ans. “Mais nous ne serons pas trop carré”, promet Jean-François Chaslain.
Jean-François Chaslain (CeQual): “Nous voulons simplement éviter que quelqu’un se bombarde consultant, sans pouvoir présenter de référence, afin de bénéficier des avantages du programme chèques-entreprise.”
Cette durée de 3 ans a notamment pour but de prouver qu’on n’a pas affaire à des opportunistes, des chasseurs d’aubaine ou des personnes sous-qualifiées. Mais comme on le verra, en deuxième partie de cet article, dans le chapitre des critiques déjà émises sur le terrain, d’autres personnes, n’ayant pas opéré comme consultant depuis 3 ans, ne sont pas pour autant hors jeu ou incompétents…
“Nous tiendrons compte des changements de statut récents”, indique par exemple Jean-François Chaslain. “Nous voulons simplement éviter que quelqu’un se bombarde consultant, sans pouvoir présenter de référence, afin de bénéficier des avantages du programme chèques-entreprise.”
Les différentes modalités du processus de labellisation, tel que mis en oeuvre, n’ont pas manqué de susciter des critiques, au minimum des interrogations, et des inquiétudes dans les rangs des consultants. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cet article.
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