Jeremy Rifkin: l’Union (européenne) numérique d’ici 2040

Hors-cadre
Par · 05/03/2015

En ce début mars, Jeremy Rifkin, “prospectiviste” américain, observateur de tendances scientifiques, économique et technologiques et par ailleurs fondateur et président de la Foundation on Economic Trends, était l’orateur invité de la conférence “Momentum for Europe – Innovation and Competitiveness” organisée par BEI (Banque européenne d’investissement). L’occasion pour lui de disserter sur l’avenir de l’“Europe numérique”, la place et l’impact (économique) que pourrait avoir notamment l’Internet des Objets dans la transition vers la “troisième révolution industrielle” de l’Europe. Une révolution qui doit donc conduire à ce “super Internet des Objets”, confluence de l’Internet des communications numériques, de l’Internet numérisé des énergies renouvelables et de l’Internet numérisé des moyens de transport et de logistique automatisés.

Voici quelques passages-clé de son discours.

L’Internet des Objets (“IoT” pour reprendre l’acronyme anglais) représente une opportunité majeure de développement et regain économique. “Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, chaque membre de la race humaine est en mesure de collaborer directement avec les autres, démocratisant ainsi la vie économique.”

Jeremy Rifkin: “si l’Europe n’allouait ne fut-ce que 35% de ces actuels investissements en infrastructure à la mise en oeuvre d’une infrastructure d’Internet des Objets, l’Union numérique pourrait se déployer progressivement d’ici 2040.” (Photo : Stephan Röhl)

Mais le déploiement des infrastructures nécessaires impliquera des investissements – tant publics que privés – pour le moins conséquents: redimensionnement des réseaux de communication afin qu’ils autorisent le (très) haut débit universel et la gratuité du WiFi, réseaux électriques rendus “intelligents” pour gérer les flux et transactions, réseaux de transport logistique automatisés, pilotant les flux et transports sur base de solutions de géolocalisation et d’optimisation…

Alors pourquoi ne pas rationaliser les investissements, déclare Jeremy Rifkin, et éviter de continuer à investir dans des technologies dépassées ou, tout au moins, qui ne sont pas tournées vers l’avenir. Il soulignait par exemple que les investissements consentis par l’Europe en 2012 en matière d’infrastructures se sont montés à quelque 741 milliards de dollars mais ont servi à financer des “plates-formes technologiques de Deuxième Révolution Industrielle qui sont passées de mode et dont le potentiel de productivité a, depuis longtemps, atteint ses limites.” Et d’enfoncer son petit clou: “si seulement 35% de ces fonds étaient alloués, dans chaque région de l’Union européenne, de telle sorte à constituer une infrastructure d’Internet des Objets, l’Union numérique [telle qu’il la baptise] pourrait se déployer progressivement d’ici 2040.”

Chacun, toutefois, chaque secteur d’activité devra apporter sa contribution à cet objectif de “troisième révolution industrielle”. Autres conditions sine qua non: la promotion volontariste de l’innovation – en ce compris commerciale -, des PME et la réorientation de la main-d’oeuvre et de l’emploi. “Le déploiement d’une infrastructure IoT numérisée, connectée, à travers l’ensemble de l’Union européenne et de ses régions partenaires remettra l’Europe sur la voie du travail, générera de nouvelles opportunités économiques tant en termes d’économie de marché que d’économie du partage [“sharing economy”], augmentera sensiblement la productivité, et donnera naissance à une société “post-carbone”, éco-responsable.”

Idyllique?

Réenfourchant son habit d’observateur économique, Jeremy Rifkin souligne que la production de biens et de services dans cette future Europe numérique convertie à l’économie du partage se fera à un coût marginal approchant de zéro. Il prend pour point de départ de son raisonnement, les mécanismes de partage qui se sont progressivement mis en oeuvre parmi les consommateurs pour l’utilisation de biens tels que musique, vidéo, blogs, médias sociaux, livres…

“62% des représentants de la génération X et des Millennials sont attirés par la notion du partage de biens, services et expériences en mode Collaborative Commons.”

“Désormais, l’Internet des Objets permet à des millions de “prosommateurs” de produire, consommer et échanger leur propre énergie renouvelable à un coût marginal proche de zéro.” Exemple cité: la production énergétique allemande qui repose à hauteur de 37% sur les énergies solaire et éolienne.

Un coût marginal quasi nul qui se manifeste, selon les biens et services produits, après amortissement de l’investissement de départ, qui varie entre 2 et 8 ans en matière d’énergie, par exemple.

Jeremy Rifkin: “Les services d’expédition automatisés s’appuieront sur les mégatonnes (“big data”) et l’analytique pour créer des algorithmes et des applications permettant d’optimiser les efficiences énergétiques agrégées, utilisées le long des routes logistiques, et, ce faisant, amélioreront considérablement la productivité tout en réduisant le coût marginal de chaque expédition.”

“Grâce à l’émergence de l’Internet des Objets, la génération numérique partage également la mobilité ) via des services tels que Uber, des appartements et habitations grâce à Airbnb, voire même des jouets, vêtements, outils et autres objets tout en minimisant l’utilisation des ressources terrestres et en entrant dans une ère économique plus circulaire.”

Jeremy Rifkin n’est pas pour autant un doux rêveur. Il tempère ses propos en soulignant notamment que la “dématérialisation [ou transformation numérique] des communications, de l’énergie et des transports fera également surgir des risques et défis, en particulier ceux qui consisteront à garantir la neutralité des réseaux, à prévenir la création de nouveaux monopoles, à protéger la vie privée de chacun, à garantir la sécurité des données et à contrecarrer la cybercriminalité et le cyberterrorisme.”