Pour sa séance inaugurale, le hub créatif namurois TRAKK avait invité, en guise de “chauffeur de salle”, le Français Marc-Arthur Gauthey, associé du think tank OuiShare dédié à l’économie collaborative. A charge pour lui de parler d’innovation, de nouveau(x) modèle(s) économique(s) et d’impact de l’Internet et du numérique sur la société – au sens large du terme.
Exemples à l’appui, Marc-Arthur Gauthey a rapidement brossé le tableau de cette transformation qui touche tous les secteurs d’activités. Une transformation qui, rappelait-il, est aussi inéluctable que source d’améliorations mais aussi de dérapages et d’effets non désirés. L’une de ses premières mises en garde était d’ailleurs de rappeler que progrès, dans le sens brut qu’on utilise généralement ce terme, ne rime pas forcément avec progression.
“Toute innovation n’est pas bonne à prendre. Le progrès technologique n’est pas toujours progressiste. Il faut avant tout se soucier du projet de vie qu’on porte derrière.”
Il faut donc éviter par exemple ce qu’il appelle “les applis à deux balles qui permettent de vérifier si le prix de la viande a diminué.”
“Il faut avoir davantage de vision sur ce que l’innovation peut apporter, déterminer ce que les gens font de leurs devices, du potentiel qui leur est offert d’être connectés en permanence…”
“L’innovation sans vision ne débouche que sur des idées à deux balles.”
Comme tout “progrès”, l’innovation technologique porte en elle d’innombrables germes de régression. Tout comme l’énergie nucléaire est source de lumière mais aussi mère de la bombe A…
Ce qui n’implique pas pour autant un repli vers l’immobilisme et la crainte de l’inconnu.
Pas question selon lui d’avoir des a priori. Car nombreux – sinon majoritaires – sont ceux qui se trompent dans leur évaluation de ce qu’implique l’arrivée d’une nouveauté. “Moi aussi, quand Facebook a été lancé, j’avais dit “jamais! Qu’est-ce que ce truc pourri et absurde?” Mais sans Facebook, il n’y aurait pas eu les révolutions arabes, ces 18 millions d’Egyptiens dans les rues… Le tout est de voir ce qu’on fait du réseau, d’Internet…”
Le tout est de rester vigilant sur les usages et l’utilité. Afin d’éviter des dérapages “incongrus”. D’où l’importance d’apprendre le discernement aux jeunes générations. Ou la tolérance et la réactivité aux moins jeunes.
Triple péché
Oui, le numérique et Internet bousculent, brisent les modèles. Que ce soit au rayon santé, transports, enseignement, industrie manufacturière… L’école, par exemple, doit se réinventer pour absorber l’impact des MOOC, “instruments de globalisation qui gomment les frais inabordables qui, hier encore, réservaient le savoir à quelques dizaines de personnes”. L’impact doit également être apprivoisé par les sociétés. Car, déclare Marc-Arthur Gauthey, les MOOC sonnent le glas des diplômes. “Alors que les diplômés par les voies classiques ne trouvent pas de travail à la fin de leurs études, certaines sociétés engagent directement des personnes ayant suivis un MOOC traitant d’un sujet spécifique, directement utile pour les besoins qu’elles ont.” AT&T, par exemple, a déjà procédé de la sorte.
Mais rester inactif face à ces changements est, soulignait Marc-Arthur Gauthey, une bien mauvaise attitude de la part des acteurs économiques – quelle que soit leur taille. Il citait à cet égard une déclaration de Gilles Babinet, ancien président du Conseil national du Numérique (France) et “digital champion” français auprès de la Commission européenne. Face à l’avènement de modèles économiques et d’acteurs qui ouvrent des brèches dans des secteurs hier barricadés, comme les transports publics (à cause d’Uber et consorts) ou l’horeca (en raison de l’arrivée, notamment, d’AirBNB), Gilles Babinet constatait que ce dernier secteur s’est laissé tailler des croupières quasiment sans réagir. Trois erreurs, selon lui, sont commises face à ces nouveaux modèles: “Croire qu’on ne peut rien faire. Ne rien faire. Et rester seul.”
Gilles Babinet (ex-président du Conseil du Numérique, France): Trois erreurs sont commises face aux nouveaux modèles économiques qui montent en puissance: “Croire qu’on ne peut rien faire. Ne rien faire. Et rester seul.”
L’individu à la manoeuvre
Le fait qu’il soit attaché au collectif OuiShare transparaissait dans tout l’exposé de Marc-Arthur Gauthey qui, à plusieurs reprises, a fait allusion à ce “processus de mise en commun des expertises et des bonnes volontés pour améliorer le bien commun.” Il citait en exemples la tendance qu’ont de plus en plus certains scientifiques de partager leurs découvertes à un plus large public, de les agréger avec celles d’autres chercheurs, au lieu de les réserver à quelques happy few qui ont les moyens de s’acheter les revues scientifiques les plus prestigieuses. Ou encore le projet français Action PhD via lequel les étudiants peuvent publier leurs thèses au lieu de les voir prendre la poussière dans une armoire. “Cela permet d’évoluer vers une production du savoir qui soit réellement appliquée et non pas parquée dans les seuls milieux académiques.”
“La consommation collaborative, mise au service d’une meilleure exploitation des ressources, n’est jamais qu’une redite du principe de rapport particulier-à-particulier mais avec un effet d’échelle sans précédent.”
La quête d’un “plus grand bien commun” par le partage et la collaboration se retrouve à tous les étages de la vie. Depuis le covoiturage jusqu’au crowdfunding – “qui permet de financer des projets auxquels les banques ne croient pas ou qui ne leur rapportent pas assez”. Depuis la santé – “où, demain, l’analyse de données personnelles en grandes quantités permettra de mieux prévenir les maladies et épidémies” – jusqu’à l’industrie manufacturière – où les fab labs et l’impression 3D “augurent de l’apparition de fabriques de quartier et d’un coup d’arrêt aux stratégies d’obsolescence programmée des objets.”
Autant d’exemples qui prouvent que le changement est en marche et que l’immobilisme est déconseillé.
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