“L’impact de l’intelligence artificielle sur la gestion d’une commune”. Voilà bien un sujet qui interpelle, voire qui étonne. Quel lien peut-il bien y avoir – actuellement – entre ces deux choses? Serait-ce un intitulé aguicheur, sans contenu réellement substantiel?
L’exposé effectué par Bruno Schröder, chief technology officer chez Microsoft Belgique, à l’occasion de la récente conférence Smart City Wallonia (24 septembre 2019), a toutefois réussi à démontrer qu’il y avait là autre chose – beaucoup plus – que de la poudre aux yeux ou qu’une élucubration stérile.
On pourrait plaisanter – et on l’a déjà fait – sur l’incapacité qu’aurait un algorithme à accoucher d’une majorité politique qui fonctionne en Belgique, mais le propos est bien plus sérieux. L’un des vrais enjeux – et potentiels – est de recourir à l’IA, à l’apprentissage automatique, à l’apprentissage “profond” (deep learning), aux réseaux neuronaux, à des modèles de plus en plus complexes, pour “extraire des données des multiples activités d’une commune pour les rendre analysables” et pour déboucher sur des prises de décisions et des projets “faisant sens”.
Désormais, la transformation et l’optimisation des processus peuvent s’appuyer sur une convergence de technologies qui autorisent une nouvelle puissance d’action. De quoi parle-t-on? De la puissance de traitement fournie par le cloud (si les infrastructures et les données lui sont confiées, évidemment!), de la masse de données exploitables (données de gestion publique, statistiques, données collectées par des applis, un suivi des “comportements”, les myriades croissantes d’objets connectés – en ce compris dans le domaine public), du déplacement des capacités de traitement de données vers les équipements et objets “d’extrémité” (objets connectés, équipements mobiles…) et du potentiel de l’analytique pour exploiter le tout. Dont l’un des éléments est justement l’intelligence artificielle. Mais pas que… n’oublions pas les outils et applications plus “classiques”.
Deux autres “dimensions” viennent s’ajouter, rappelait Bruno Schröder, qui correspondent à des habitudes et méthodes qui ne sont pas forcément celles des services publics ou des pouvoirs locaux. D’une part, la mise à disposition d’outils de travail mobiles et collaboratifs pour les agents, afin qu’ils puissent travailler et accéder à toutes les ressources où qu’ils se trouvent. D’autre part, l’automatisation des processus.
Anticiper c’est gouverner. Et vice versa.
La complexification croissante de la vie au quotidien et de tous les éléments, événements, facteurs et paramètres qui interagissent rend toute planification de plus en plus difficile pour les pouvoirs locaux.
L’un des messages que voulait faire passer Bruno Schröder est que, pour y faire face, les pouvoirs locaux (entre autres acteurs) n’ont d’autre choix que de se doter de nouveaux moyens et de nouvelles habitudes.
Que ce soit pour planifier, définir, comprendre voire optimiser par exemple les flux de circulation routière et leur impact (économique, environnemental…), pour assurer le suivi des consommations (énergie, eau) et mieux gérer les approvisionnements et les usages, ou encore pour mieux orchestrer la délivrance de services sociaux, des outils de surveillance, d’analyse, de simulation deviennent quasi incontournables.
En guise d’exemple de ce qu’il est possible de faire, il prenait l’exemple de la ville américaine de Bellevue, dans l’Etat de Washington, qui a décidé de recourir à l’intelligence artificielle et à des outils analytiques pour atteindre un but ambitieux d’ici 2030. A savoir: parvenir à ce qu’il n’y ait plus aucune victime de la route d’ici 10 ans.
“Via le déploiement de caméras, de capteurs surveillant les flux de circulation, en analysant ces données et en les couplant à des rapports d’accident, le but est de repérer des situations qui pourraient déboucher sur des accidents.” Et, dès lors, de trouver des solutions pour éviter que de telles situations se produisent.
Un exemple? “Le recours à l’IA permet de modifier le temps qu’un feu reste au rouge afin de permettre dynamiquement à une personne handicapée de traverser une artère routière…”
La clé réside notamment dans la combinaison de jeux de données, de conclusions statistiques et d’informations sur les comportements citoyens afin de planifier l’action publique de manière plus efficace. “L’analyse des données de pollution permet de dégager des corrélations. Le déploiement et l’analyse de données de capteurs peuvent permettre de prédire des feux de forêt. En combinant drones, caméras et capteurs, pourquoi ne serait-il pas possible de prédire le déclenchement d’une épidémie de peste porcine, grâce à la détection d’animaux” ou à la découverte de populations ou mouvements inhabituels…
Place aux jumeaux
Une méthode d’analyse, de prédiction et d’anticipation à laquelle les acteurs publics pourraient recourir pour définir projets et politique est celle des “jumeaux numériques”. Autrement dit, reproduire virtuellement tous les paramètres caractérisant la réalité et les contraintes actuelles afin de pouvoir imaginer de futurs scénarios.
Le jumeau numérique d’une ville ou d’une commune comporterait toutes les données nécessaires, portant sur tous les faits et paramètres utiles – répartition socio-démographique, disposition et caractéristiques des axes routiers, bâtiments, terrains, infrastructures et modes d’utilisation des réseaux d’eau, d’électricité, zones et niveaux de pollution, schémas de déplacement quotidiens des citoyens ou de toute personne transitant par le territoire municipal, etc. etc.
C’est un peu le socle du projet de la ville d’Anvers en matière d’analyse de la circulation et des embouteillages. L’objectif: réduire la circulation dans le centre de la ville aux heures de pointe tout en améliorant la satisfaction des citoyens. “Avec BeMobile, la Ville veut mesurer tout ce qu’il est possible de mesurer dans la ville, de simuler l’impact qu’aurait la fermeture d’un axe routier sur la qualité de l’air ou la fluidité du trafic, en fonction d’autres facteurs tels que la force ou direction du vent, l’heure du jour, la présence d’écoles à proximité, les conditions climatologiques… Cela permet de modifier le trafic en fonction de la température, du sens du vent tel ou tel jour de la semaine…”
Bruno Schröder (Microsoft): “Les citoyens devraient avoir la possibilité d’être représentés, de siéger dans des organes de contrôle. Quant aux politiques, ils doivent comprendre, savoir prendre du recul par rapport à l’utilisation qui est faite des algorithmes.”
Bruno Schröder insistait sur un autre point, majeur à ses yeux: “collectez et conservez un maximum de données. Ne les jetez pas parce que vous ne pouvez pas imaginer, au préalable, ce qu’on peut y trouver.”
Il milite donc pour une évolution des pouvoirs publics vers une “culture d’acquisition des données et une recherche systématique de ce qu’il y a dans les gisements de données. C’est là qu’est l’avenir de l’intelligence artificielle” et celui de services publics plus proactifs et efficaces.
En y mettant, bien évidemment, toutes les précautions et mesures de protection nécessaires. “Il faut éviter les dérives auxquelles pourrait conduire l’exploitation des données concernant les citoyens.”
Le rôle des politiques est d’interdire toute utilisation excessive, illégale, voire prédatrice. Mais, en parallèle, “il est essentiel que le citoyen comprenne les enjeux et garde le contrôle. Les citoyens devraient avoir la possibilité d’être représentés, de siéger dans des organes de contrôle.
Toutes les catégories de citoyens qui seront concernées par l’intelligence artificielle [Ndlr: et personne n’y échappera] devraient avoir la capacité de participer à ce contrôle car elles sont les seules en mesure de comprendre l’impact des algorithmes sur leur vie, leur situation spécifique.
Mais c’est aussi, dans le même temps, aux politiques de comprendre, de prendre du recul par rapport à l’utilisation qui est faite des algorithmes.”
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