Quelques mois après la publication en France par April (association de promotion et la défense du logiciel libre dans l’espace francophone) d’une étude consacrée aux pratiques numériques des associations, son ASBL sœur en Belgique, Abelli, organise le 24 avril à Bruxelles, au Mundo-B (Ixelles), une journée consacrée au libre dans le secteur associatif belge. L’association Framasoft y présentera sa campagne “Degooglisons Internet”.

Quel intérêt le libre peut-il avoir pour les associations, dans un contexte où, via l’initiative SocialWare, elles peuvent acquérir, pratiquement à prix coûtant, des produits sous licence propriétaire comme Microsoft ou Adobe?

On peut, pour y répondre, s’inspirer des grandes tendances qui se dégagent d’une étude réalisée par April auprès de 231 associations françaises fin 2014.

Il y a la motivation tout d’abord: 46 % des répondants considèrent qu’un choix a été fait par l’association pour favoriser, encourager ou priorétiser l’utilisation du libre au sein de leur association.  Mais les deux principales raisons du choix d’une application ne sont ni le prix (39 % conditionnent le choix d’un logiciel à sa gratuité) ni le fait que le logiciel soit libre (c’est une condition sine qua non pour 31,60 % des répondants).

Non, ce qui motive leur choix, c’est que le logiciel sélectionné réponde aux besoins (pour 66,67% des personnes interrogées), et qu’il soit simple à utiliser (40,69%). C’est un peu dans cette logique que l’association Framasoft a entamé sa campagne “Degooglisons Internet”, identifiant les applications et services en ligne les plus populaires, pour en décliner une version libre. Imaginez un équivalent à Facebook sans publicité ni récolte des données ou un Gmail sans indexation automatique des messages échangés…

Important d’un point de vue sociétal

Les conditions d’utilisation des services gratuit en ligne de Google, Microsoft ou Facebook prévoient la plupart du temps la cession pleine et entière des droits d’exploitation des données à des fins commerciales. C’est contre ce modèle que Framasoft se positionne.

Pierre-Yves Gosset, Délégué Général: “Nous sommes une association d’éducation populaire issue du monde de l’enseignement. Le début de notre nom, Framasoft, vient de la concaténation de français et mathématique. D’un point de vue sociétal, le logiciel libre nous semble très important. Voilà pourquoi nous travaillons, le plus souvent de façon bénévole, à la mise à disposition de services comme Framablog ou Framapad.”

Dans la foulée du scandale déclenché voici plus d’un an par les déclarations de Snowden, Framasoft s’est concerté avec différentes associations de défense des libertés numériques, dont la Quadrature du Net et April. “Plutôt que de toujours vouloir donner des conseils, nous avons décidé de proposer des outils tout en sensibilisant un maximum d’utilisateurs aux dangers qu’ils encourent en utilisant les services numériques privés des entreprises dominantes du Web. Nous avons aussi voulu montrer que c’était tout-à-fait possible de bénéficier de tous les services du Web en dehors de la galaxie Google-Facebook. Voilà la raison d’être de notre campagne “Degooglisons Internet”.

Un modèle alternatif au GAFAM

La campagne lancée en 2014 a 3 objectifs. Le premier est de sensibiliser le grand public, les entreprises, collectivités et associations au sujet des dangers potentiels que représentent le GAFAM, acronyme de Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft.

Pierre-Yves Gosset: “Ces géants qui disposent d’une puissance financière considérable s’étendent de façon tentaculaire en rachetant les entreprises qui pourraient les gêner, en verrouillant des technologies, en imposant des protocoles. Elles sont devenues des trous noirs qui attirent non seulement des utilisateurs consentants, mais d’autres aussi qui vont fournir des infos sans le savoir.

Tout un symbole. La Gaule et sa proverbiale résistance.

Elles ne sont pas nécessairement mal intentionnées. Leur modèle économique, la création de profils publicitaires, est tout à fait légal. Mais leur dimension et leurs ramifications leur donnent accès à des masses colossales d’informations dont aucune autre organisation n’a jamais disposé. Ce que nous proposons, nous, en alternative, c’est de développer et de mutualiser du code, des applications et des services qui ne pourront pas être rachetés.

Notre fonctionnement est basé sur la solidarité. On ne peut pas lutter de façon frontale avec un Google de 55.000 employés. Nous sommes 3 permanents! On doit fonctionner par communauté solidaire comme avec Framapad. Aujourd’hui, ce service héberge 250.000 utilisateurs, citoyens, associations, syndicaux ou écoles, en France et dans le monde. Des utilisateurs qui ne sont pas suivis à la trace.”

Framasoft propose par exemple Framadate, une alternative à Doodle, ou encore Framasphere, un service à mi-chemin entre Twitter et Facebook. “Framasphere est un réseau social dénué de toute publicité. Lancé en octobre 2014, il compte 13.000 inscrits. Un des intérêts de Framasphere est qu’il est basé sur le logiciel libre Diaspora. Ses utilisateurs peuvent directement communiquer avec ceux d’autres plates-formes Diaspora installées de par le monde. En tout, cela représente une communauté de 500.000 utilisateurs.

Framatalk permet de faire de la visioconférence tout en s’affranchissant d’un Skype qu’on sait, depuis les déclarations d’Edward Snowden, extrêmement surveillé par les gouvernements.”

L’association, dont le fonctionnement est essentiellement basé sur les dons, a établi une feuille de route jusqu’en 2017. A côté de Framadate (Doodle), Framapad (Google Docs) et Framasphere (Facebook) qui sont “opérationnels”, Framasoft planche sur des alternatives à Google Search (Framasearch), YouTube (Framatube) ou encore Gmail (Framamail).

Documenter le processus de « Degooglisation »

Le troisième objectif est de montrer comment faire. “L’année dernière, nous avons dégooglisé Framasoft. Comme monsieur et madame tout-le-monde, au fil des années, nous nous étions laissés séduire par la facilité immédiate des services proposés par Google. Nous avons montré qu’une structure aussi complexe que Framasoft peut se libérer de Gmail, Google Groups, Analytics, ainsi que d’AdSense et des services embarqués.

Pierre-Yves Gosset (Framasooft): “Si notre association y est parvenue à se “dégooglliser”, d’autres peuvent le faire. C’est pourquoi nous avons décidé de documenter au maximum la façon dont nous avons procédé.”

Si notre association y est parvenue, d’autres peuvent le faire. C’est pourquoi nous avons décidé de documenter au maximum la façon dont nous avons procédé afin que toute association intéressée puisse reproduire ce processus de “dégooglisation” que nous avons mené en interne. Nous ne voulons pas non plus que les gens quittent Facebook ou Google pour venir chez nous. C’est tout le contraire, nous voulons essaimer. L’objectif n’est pas de recentraliser autre part mais de décentraliser. Qu’un maximum d’associations s’équipent en installant et hébergeant les outils que nous proposons afin de constituer des maillages indépendants offrant à leurs utilisateurs une puissance de communication de la même “valeur” qu’un Facebook, mais nettoyée de son parasitage commercial et publicitaire.

C’est de cet essaimage, de cette décentralisation que viendra la dégooglisation que nous proposons.” En avril, le 24 précisément, l’association fera un retour d’expérience sur le sujet au Mundo-B à Ixelles.