Suite de l’analyse que fait Carl-Alexandre Robyn, consultant, du phénomène des fintech, dont le premier volet avait été publié la semaine dernière (relire).
Une kyrielle de signes montrent que la disruption du monde bancaire, que beaucoup de fintechs annoncent ou appellent de leurs vœux, n’est pas pour demain.
Exemple, le rachat en avril 2017, pour plus de 200 millions d’euros, de Compte Nickel par la BNP Paribas. Ce projet (devenu une formidable réussite entrepreneuriale ayant créé, ex nihilo, un réseau destiné originellement à des personnes “non bancarisées”) se revendiquait, à l’origine, “anti-système” et se voulait être clairement une alternative aux banques traditionnelles. Mais il a fini par tomber dans l’aumônière d’une banque de l’establishment.
Il s’agit du plus important chèque jamais signé en France pour l’acquisition d’une fintech. Il faut dire qu’outre les innovations technologiques (technologie “instant payment” au niveau des transactions en temps réel et du traitement du big data), le “compte sans banque” a mis le doigt sur le nouveau b.a.-ba de la banque de proximité que tout géant bancaire devra maîtriser. A savoir, de nouveaux modes de distribution, complémentaires des agences et des services en ligne, plus légers, un positionnement low-cost, qui touche une clientèle populaire, mais pas uniquement, et, enfin, des offres basées sur les besoins des clients et non sur des techniques de vente croisée.
Autres exemples. La start-up toulousaine Morning (une néobanque) qui voulait “réveiller la banque” s’est adossée en février 2017 à la Banque Edel (filiale du distributeur E. Leclerc). L’été dernier (juillet 2016), c’était la start-up allemande Fidor (banque mobile), l’une des plus atypiques (les clients et les membres de la “communauté” peuvent obtenir la commercialisation de nouveaux services et le taux d’intérêt du livret d’épargne dépend du nombre de “like” sur Facebook) et des plus prometteuses d’Europe, qui se faisait avaler, pour une centaine de millions d’euros, par le groupe Banques Populaires Caisses d’Epargne.
La cagnotte en ligne Leetchi a été rachetée pour une cinquantaine de millions d’euros par Crédit Mutuel Arkéa en septembre 2015.
La start-up britannique Atom Bank, qui dit s’inspirer de la compagnie low-cost Ryanair, a levé 160 millions d’euros, notamment auprès du géant bancaire espagnol BBVA. L’allemande N26 (néobanque) a levé plus de 50 millions de dollars auprès d’investisseurs prestigieux (Peter Thiel, Li Ka-shing) et se voit en “Uber de la banque”.
La révolution bancaire (tant vantée) n’est actuellement qu’un pétard mouillé
On le voit bien – et c’est une généralité -, l’espoir de révolution bancaire que font naître toutes ces fintechs qui s’attaquent à tous les métiers de la banque n’est en réalité qu’un pétard mouillé. On retrouve à des degrés divers (jusqu’à 100%) dans le capital de la majorité de nos fintechs des banques et des compagnies d’assurances classiques.
C’est une évidence: le métier bancaire étant très capitalistique, toutes ces fintechs sont, à un moment ou à un autre, obligées de se trouver des partenaires financiers solides, des actionnaires qui comprennent le métier et les contraintes.
Les banques classiques ont donc une stratégie défensive astucieuse en considérant les fintechs comme des laboratoires qui, une fois le produit testé et approuvé par le marché, sont absorbés (un peu comme les biotechs sont gobées par les groupes pharmaceutiques). Plusieurs start-ups fintech se clament indépendantes tout en ayant des acteurs établis de la finance en direct ou via un fonds de corporate venture au capital… et ne supportent pas que la presse le rappelle.
“On retrouve, à des degrés divers (jusqu’à 100%), dans le capital de la majorité de nos fintechs des banques et des compagnies d’assurances classiques.”
Tous les chemins mènent à Rome?
Les banques établies, quand elles le jugent opportun, procèdent à trois types d’acquisition.
1) L’achat de nouveaux services de paiement. L’acquisition de la cagnotte Leetchi par Crédit Mutuel Arkéa, suivie de la reprise de son concurrent Lepotcommun.fr par BPCE, un mois plus tard, ont marqué la première étape du rapprochement des banques ayant pignon sur rue et des fintechs impétrantes.
2) L’acquisition de technologie. En mettant la main sur la néobanque Fidor, le groupe BPCE s’est doté d’une plate-forme innovante qui sera capitale pour accompagner la transformation numérique de ses réseaux bancaires. Elle permet notamment d’intégrer des solutions développées par d’autres acteurs, notamment les technologies en temps réel permettant aux titulaires de comptes bancaires de mieux surveiller leurs dépenses impulsives sans découvert possible.
3) Se doter d’un nouveau réseau de distribution. En passant dans le giron de BNP Paribas, le Compte-Nickel apporte au groupe bancaire un nouveau réseau dense de distribution, celui des buralistes. Moins coûteux que des agences bancaires et touchant une clientèle complémentaire, il peut aussi être le théâtre de nouvelles synergies de services entre la banque et les buralistes. La force du modèle Compte-Nickel réside dans sa capacité de conquérir des clients bien au-delà de la cible initiale avec un coût très bas, quand les banques en ligne jouent la surenchère sur les offres promotionnelles.
La révolution technologique n’a produit aucune marque bancaire nouvelle
Les start-ups mariant finance et technologies fanfaronnent en se positionnant de manière assumée comme disruptives. Elles comptent révolutionner le secteur bancaire dans son ensemble, avec ce côté désagréable des “disrupteurs”, des perturbateurs qui veulent déstabiliser un modèle extrêmement règlementé, frôlant ainsi en permanence l’illégalité.
Pourtant, aucune marque grand public nouvelle dans le monde bancaire n’a émergé de cette révolution technologique à part les banques en ligne qui sont toutes des filiales de banques classiques.
Du reste, à force de campagnes publicitaires très coûteuses et de primes offertes à l’ouverture d’un compte, surfant sur l’appétit des usagers pour une relation bancaire à distance, les établissements bancaires sans agences sont, certes, parvenus à conquérir quelques centaines de milliers de clients. Mais il s’agit d’une progression lente, qui n’a pas créé de rupture ni provoqué une adhésion de masse à leur modèle.
Selon une étude du cabinet Simon-Kucher, la part des Français de 18 à 65 ans détenant au moins un compte dans une banque en ligne atteint seulement 10% en 2016. En outre, et c’est ce qui devrait alerter encore plus les fintechs, après tant d’années, ces établissements bancaires sans agences ne sont toujours pas devenus rentables. Pourtant, toutes possédées par de grands groupes bancaires, les banques en ligne s’appuient sur l’infrastructure de leurs maisons-mères pour contenir leurs coûts. Les “pure players” des années 2000, comme Zebank, n’ont pas survécu ou ont été rachetés. Aucune ne publie ses comptes.
Les fintechs (particulièrement les plates-formes de crowdfunding, pratiquement toutes sous-capitalisées) ont la même problématique que des Fortuneo (groupe Crédit Mutuel Arkéa), Boursorama, Hello Bank ! (groupe BNP Paribas) ou ING Direct qui sont des machines à acquérir des clients. Si elles ferment un peu le robinet des campagnes de communication et des rabais, la voiture n’accélère plus. Donc, si elles veulent prendre des parts de marché, elles ouvrent le robinet ; mais le taux de rentabilité n’est pas celui qu’elles souhaiteraient avoir.
Aujourd’hui, plus encore que par le passé, la martingale réside dans la course à la taille. Les fintechs comme les banques en ligne ou sur mobiles comptent devenir structurellement rentables en accroissant le nombre de leurs clients. Au point d’accepter des clients qui ne remplissaient pas jusqu’alors les critères de revenus ou de volume minimal d’opérations.
Carl-Alexandre Robyn
Startup Financial Architect
Associé-fondateur du Cabinet Valoro
Dans le troisième et dernier volet de son analyse, Carl-Alexandre Robyn passera en revue une “autre” concurrence fintech, venue d’acteurs déjà bien implantés sur le marché mais occupant jusqu’ici d’autres créneaux. Des acteurs qui, à ses yeux, pourraient bien être les véritables disrupteurs de demain.
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