Femmes et informatique: l’éternelle quête d’équité (1)

Hors-cadre
Par · 01/09/2021

Cette année, l’UNamur avait confié à l’asbl D1g1Factory (dont l’une des cofondatrices est Julie Henry, par ailleurs chercheuse en didactique de l’informatique à l’UNamur), le soin d’organiser et d’animer trois journées d’“université d’été” sur le thème “genre, stéréotypes et éducation au numérique”.

L’objectif n’était pas de faire le tour de la question. Cela aurait été difficile voire impossible étant donné qu’à mesure que le temps passe et que les idées ou initiatives se font jour, plus on s’aperçoit que le sujet ne cesse d’évoluer et que l’on ne tient pas nécessairement le bon bout.

Deux exemples?

Recourir plus intensivement à des “role models” féminins pour inciter les femmes – jeunes ou moins jeunes – à embrasser le numérique, à en faire leur métier ou leur passion? Pas forcément ou pas assez. Cet aspect des choses est détaillé plus loin dans cet article.

Apprendre à coder le plus tôt possible. Panacée ou fausse bonne idée?

Codage, codage, codage dès le plus jeune âge. Pas forcément. Le problème, souvent constaté, est que la perspective de “coder” n’attire pas les femmes. “Cette perspective ne les satisfait pas intellectuellement”, déclarait Anne-Sophie Collard, professeur en information et communication à l’UNamur. Ou selon une trop faible minorité. 

Et même en insérant, très tôt dans le parcours scolaire, des cours de programmation, d’apprentissage au code, d’acclimatation à l’algorithmique, le résultat attendu (une augmentation des “vocations”) n’est pas forcément au rendez-vous. Les Etats-Unis, par exemple, semblent en faire l’expérience. En dépit de la mise en oeuvre de ce principe du “codage précoce”, depuis déjà quelques années, les chiffres féminins dans les cohortes d’étudiants en IT sont en recul.

Les recettes ne semblent dès lors pas nécessairement être des panacées. 

La session “université d’été” de l’UNamur n’avait donc pas pour ambition de faire le tour complet de la question ou de faire émerger la formule magique mais plutôt de faire le point sur certains aspects, de confronter les points de vue et expériences entre acteurs académiques, personnes issues du monde de l’enseignement et de la formation, ou encore porteurs d’initiatives mêlant numérique et genre (étaient ainsi présentes les associations Code&Play et Kodo Wallonie).

Nous traiterons ici et dans les jours qui suivent de quelques-uns de ces aspects: l’utilité (ou non) des role models féminins ; la nécessité de conscientiser, de (mieux) expliquer et décrypter les biais et stéréotypes genrés ; les écueils qui, parfois, viennent d’acteurs qui, au contraire – et idéalement – devraient être des facilitateurs ; et quelques recommandations ou pistes à explorer pour rééquilibrer les genres dans la sphère numérique.

Nous commencerons, dans le présent article, par l’utilité des role models

L’exemple de “celles qui l’ont fait”

Gommer l’impression, la perception – tenace – que l’informatique, le numérique, “ce n’est pas fait” pour les femmes. Le prouver, le démontrer en rappelant que, contrairement à ce que l’on croit, il y eut des femmes pour inventer, innover, jouer un rôle majeur dans les avancées informatiques, dans les divers métiers de l’IT. En ce compris dans ce que l’informatique a de plus technique voire ésotérique.

Et pour cela évoquer des noms, des exemples, des “role models”. Oui, cela marche, du moins jusqu’à un certain point et, surtout, pas n’importe comment.

Premier écueil: on ressasse bien souvent les mêmes noms – comme si la réserve était congrue. Et en débordant parfois, voire souvent, du champ purement informatique et numérique, pour évoquer la science au sens large.

Et ces redites ont un effet pervers. Celui de la “bulle”, de l’auto-restriction pérennisée. Résultat: Marie Curie arrive largement en tête des noms cités. Elle doit se sentir bien seule, du coup! Même si elle côtoie Einstein, côté hommes…

L’un des participants à l’université d’été de l’UNamur faisait en outre remarquer que, si son nom est cité, c’est parce qu’il est… souvent cité. “Il est dans l’oreille”. Sans compter qu’il y a là sans doute un effet certain lié à la culture et la proximité avec la France. “Mais, en réalité, que savent réellement ceux et celles qui citent son nom des travaux, des recherches, des accomplissements de Marie Curie?”

Conclusion? Même ce nom-fétiche n’est pas représentatif et pas réellement ou foncièrement significatif en termes de “role model”.

On peut d’ailleurs rester du côté de Marie Curie pour évoquer un deuxième écueil de la pratique des role models: on fait trop souvent référence à des personnalités tellement hors du commun, au parcours professionnel exceptionnel, que l’élève lambda ne peut espérer reproduire dans son propre parcours, que cela ne peut servir de réelle inspiration et instigation.

 

Anne-Sophie Collard (UNamur): “Le principe des role models souffre d’un problème d’identification. Les role models, oui, mais ils doivent demeurer accessibles.”

 

La recommandation a dès lors été faite, lors des ateliers de l’université d’été namuroise, de se tourner plutôt vers des role models “normaux”. Et de le faire dans un contexte qui “parle” réellement aux jeunes. En les insérant dans les “lieux” qui font leur quotidien ou qui leur servent d’inspiration – des films, des séries, des livres, des événements… “Cela aura plus d’impact sur les vocations et sur la possibilité de “normaliser” la place des femmes dans le numérique et l’informatique”.

Isabelle Collet, spécialiste en sciences de l’éducation et, plus spécifiquement, de la thématique “genre et éducation” à l’université de Genève estime, elle aussi, qu’il faut éviter de choisir des role models “trop écrasants”. Ces derniers “n’ont réellement d’effet qu’auprès de celles qui ont déjà envie de se lancer dans l’informatique”.

Elle en conclut que recourir au concept, à l’“incitant” role models ne peut venir qu’en deuxième lieu, en guise de renforcement d’un processus de motivation déjà enclenché.

Il ne faut par ailleurs pas en user et abuser mais, au contraire, choisir le bon moment dans le parcours scolaire. “Les role models ne marchent pas à tous les stades. Y recourir est plus efficace quand les jeunes se posent des questions sur leur orientation.” Le faire trop tôt dans le parcours scolaire est improductif. On peut certes “semer la petite graine” au primaire mais inutile de vouloir enfoncer le clou à ce stade. “Mieux vaut faire des actions fortes, ponctuelles, au bon moment que de travailler sur le long terme et la durée”.

A suivre : d’autres échos centrés sur …
l’analyse des stéréotypes,
quelques recommandations et pistes de réflexion,
– les nouveaux biais induits par la technologie elle-même (ou sa pratique)….