Les stéréotypes qui tendent à “démontrer” que le numérique, l’informatique ne “convient” pas aux femmes ont la vie dure. Profondément enracinés (voir quelques exemples dans l’encadré en fin d’article), changeant parfois de nature ou de logique sous-jacente mais ayant toujours le même effet, ils forment une barrière tenace à l’accès à des professions qui, pourtant, se prêtent parfaitement bien à ce que les femmes peuvent ou veulent apporter à la société.
“Les métiers de l’IT, du numérique, ne sont pas faits pour les femmes”. Voilà bien un argument-bateau, non (ou rarement) explicité ou argumenté. Et pour cause… Quand on analyse objectivement les éléments sur lesquels s’appuient ceux et celles qui le dégainent, on s’aperçoit qu’ils ne tiennent pas la route, soulignait Isabelle Collet, spécialiste des sciences de l’éducation à l’université de Genève lors de l’université d’été qu’a organisée fin aout l’UNamur sur le thème “Genre, stéréotypes et éducation au numérique”.
Et elle le démontre…
Comment présente-t-on généralement l’informatique? A quoi résume-t-on trop souvent le(s) métier(s)? Du codage à tire-larigot. Des geeks, souvent hirsutes, blafards, asociaux. Un métier qui est exigeant, difficile, incompatible avec une vie de famille, etc. etc. Pas de créativité. Un horizon qui se définit exclusivement en termes de bits et de bytes, pas directement utile pour des finalités humaines. Re-etc.etc.
Or, à y regarder de plus près et en chaussant la bonne perspective, “l’informatique est un vrai métier de femmes”, démontre Isabelle Collet. “C’est un métier du tertiaire. Ni dangereux ni salissant. Où la force physique n’est pas nécessaire. Qu’on peut exercer chez soi en gardant ses enfants”. Tout le contraire donc des clichés qui veulent que le genre féminin n’est génétiquement ou socialement pas bâti pour…
La “logique” derrière les stéréotypes
En fait, les stéréotypes, souligne-t-elle, ont été construits de toutes pièces pour justifier qu’une barrière (psychologique mais aussi bien réelle) soit érigée pour repousser les femmes. Et ces arguments ont évolué, changé de nature, voire fait un virage à 180°, au fil du temps, des circonstances et des “nécessités”…
Saviez-vous que ce genre de photos d’époque (ici une photo de l’ENIAC) ont été soigneusement rabotées de telle sorte à faire disparaître les femmes qui y figuraient bel et bien au départ ?!
Au tout début de l’informatique (il faut remonter aux années ’40 et ’50), à l’époque de l’ENIAC et successeurs), “le matériel était un rôle d’hommes. Le logiciel était réservé aux femmes parce que cet aspect des choses était synonyme de main d’oeuvre” (lisez en filigrane, de “petites mains”, de piétaille). “Le logiciel était considéré comme un domaine idéal pour les femmes parce qu’il s’agissait d’une tâche d’exécution, sans nécessité d’être en possession d’un diplôme. Tout simplement parce qu’il n’existait pas encore de diplôme spécifique à l’époque…”
Le stéréotype, à ce moment-là, était toutefois bel et bien présent. Sous d’autres atours: “Le logiciel, c’était bon pour les femmes parce qu’il s’agissait de suivre un programme… comme une recette de cuisine”.
Ensuite, les choses ont changé. Petit à petit, l’image, la réalité de l’informatique s’est inversée. Soudain, c’est le logiciel qui présentait plus de valeur. Résultat? Soudain, cela devint un domaine “pour les mecs”. La responsabilité devait changer de camp, explique Isabelle Collet. “Il a soudain fallu un haut diplôme et c’était mieux rémunéré. La situation s’est inversée.”
Conclusion? “On ne cesse de rationaliser le changement d’optique. On génère le stéréotype pour justifier le discours.”
Isabelle Collet (Université de Genève): “On ne cesse de rationaliser le changement d’optique. On génère le stéréotype pour justifier le discours.”
Les semeurs de doute
Qui porte, transmet, fait perdurer ces stéréotypes? L’un des problèmes vient du fait que c’est souvent l’entourage immédiat des enfants et des jeunes. Parents compris. Et cela vaut pour toutes les “cultures”, communautés ou niveaux socio-démographiques.
Parfois aussi, cela vient même… des enseignants.
Avec tout ce que ce message porté par des personnes faisant référence ou autorité peut avoir comme force de conviction (ou de contamination de l’esprit).
Isabelle Collet (Université de Genève): “Etre conscient(e) de l’existence d’un stéréotype annule pas sa menace.”
Reste à évincer ces stéréotypes tenaces. Et là… on n’est pas sorti de l’auberge! “Etre conscient(e) de l’existence d’un stéréotype n’annule pas sa menace”, déclare Isabelle Collet. “En prendre conscience ne suffit pas. De même, déconstruire et expliquer le stéréotype n’a pas de réel effet. C’est juste un premier pas. L’important est de former les intervenant(e)s pédagogiques à la pédagogie de l’égalité.”
Et cela s’annonce être un méga-chantier. D’autant plus que cet axe d’attaque est absent des programmes destinés aux enseignants – existant ou futurs. Et on pourrait ajouter: quid de lieux et d’outils de formation ou sensibilisation à cette matière au-delà de l’enceinte des lieux d’enseignement?
Entendu lors de l’étude Gender Scan
Les stéréotypes, clichés et autres biais sont tellement enracinés qu’on les retrouve aussi dans la bouche des premières intéressées, à savoir les jeunes filles qui se sont lancées dans des études informatiques, numériques ou apparentées ou qui en côtoient quotidiennement d’autres qui l’ont fait.
Preuve en est ces commentaires et réactions recueillis, à l’occasion de l’enquête internationale “Gender Scan 2021”, auprès de jeunes de 18 à 25 ans (filles et garçons) qui poursuivent des études en sciences et informatique [ A noter que les résultats définitifs de cette étude ne sont pas encore connus. Seuls les enseignements “locaux” (participation de l’UNamur à cette enquête, parmi d’autres institutions belges) ont pu être abordés lors de l’université d’été. Nous ne manquerons pas de revenir sur les résultats globaux dès que les conclusions en auront été communiquées… ]
Voici donc quelques réflexions (spontanées) et commentaires entendus dans la bouche des jeunes – filles et garçons – pour exprimer les stéréotypes qu’ils ressentent ou constatent au quotidien… Et cela est d’autant plus révélateur qu’ils sont pour la plupart engagés dans des études STEM ou IT/numérique… Et devraient donc être soit moins réceptifs, soit moins exposés ou moins censés exprimer ce genre de choses.
A noter – à titre d’explication – que les réflexions sont parfois (souvent?) la résultante de la pression familiale ou de l’environnement direct du jeune en question.
“Ingénieur, c’est un truc de mecs” ou “C’est un monde de geeks ; l’informatique, c’est pour les hommes.”. Plus direct encore: “Les femmes n’ont rien à faire dans le milieu scientifique”. Sans appel…
“J’étais persuadée de mes moindres dispositions intellectuelles pour le domaine scientifique.”
“J’avais fait un stage de robotique pour découvrir les métiers de l’ingénieur. J’étais la seule fille parmi une vingtaine de garçons. Ils m’ont tous dévisagée et je me suis sentie critiquée. Il fallait faire des groupes… Personne n’a voulu venir avec moi. Ils avaient tort parce que je me débrouillais bien mieux que la moyenne!”
“Ce qui m’a fait grandement durer, c’est le fait d’associer trop souvent la physique et les maths à des domaines inaccessibles réservés à de véritables génies.”
“C’est du code, ça ne t’irait pas vraiment” ou “Ah mais tu sais, les back-end, ce sont des hommes qui sont dans leur bulle et qui aiment beaucoup travailler dans le noir.” (si si…!)
“Tu n’es pas assez créative” ou encore (et a contrario…) “Il faut avoir un esprit carré.”
Ou encore du genre… “T’es trop jolie et fragile pour faire ça” (dites-moi le rapport…!)
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