A ce jour, les femmes sont sous-représentées dans les métiers informatiques. Ce constat est identique dans le secteur sportif : les compétitions masculines sont davantage médiatisées que les féminines.
Qu’advient-il alors lorsque ces deux secteurs, qui semblent fortement éloignés, se rejoignent, comme c’est le cas au sein de cette pratique qui rencontre de plus en plus de succès, à savoir: le “sport électronique” ou “e-sport”?
Des joueuses dans l’e-sport?
Un seul constat possible: la sous-représentation des joueuses (gameuses) lors des tournois e-sportifs. A titre d’exemple, sur les 70 millions d’inscrits au jeu League Of Legends, un des jeux les plus joués en ligne, seulement 10% sont des femmes, et aucune d’entre elles ne compose les équipes sélectionnées lors des finales mondiales, pourtant ouvertes à la mixité.
Qu’est-ce que le sport électronique?
Le sport électronique, ou e-sport, désigne la pratique d’un jeu vidéo multi-joueur, par le biais d’un ordinateur et d’une console.
Si les compétitions de jeux vidéo sont apparues dans les années 1990 chez des particuliers qui se rassemblaient lors de LAN Party (partie simultanée entre plusieurs joueurs, connectés ensemble dans un réseau local), nous assistons aujourd’hui à des matchs qui ne sont plus simplement organisés par quelques passionnés, mais qui réunissent des millions de joueurs connectés aux quatre coins du monde. Les tournois d’e-sport se déroulent à présent dans des stades et des salles de renom, ils attirent des dizaines de milliers de spectateurs et sont suivis sur la Toile par des millions de fans! (plus de statistiques via cet article US).
L’e-sport est-il un sport?
S’il est aisé de comprendre où se situe le côté “électronique” du sport électronique, la notion de “sport” suscite encore le débat. Pourtant, comme dans le sport traditionnel, on retrouve dans l’e-sport: des entraînements intensifs et réguliers (entre 5 h et 12 h de jeu par jour), des équipes de joueurs (gamers) travaillant à leurs stratégies, des coaches et des managers, des tournois avec des commentateurs, une base de fans, des sponsors (Coca-Cola, Redbull, Intel, Logitec), des E-Sport Academy et des Gaming House.
Comme les athlètes traditionnels, la carrière des e-sportifs est de courte durée: leur maturité se concentre entre leurs 16 et 24 ans, et l’activité d’un e-sportif se résume souvent à quelques années.
Certes, les muscles ne sont pas directement sollicités dans l’e-sport: à l’instar des jeux d’échecs, c’est la réflexion qui prime. Le mental et la concentration sont en effet la base de la réussite d’un joueur professionnel. Or, les échecs sont reconnus comme un sport en France depuis 2000. Alors, pourquoi pas l’e-sport?
Mais pour quelle raison les femmes sont-elles absentes de l’univers des jeux vidéo? Depuis l’héroïne de jeu à la gameuse, en passant par les conceptrices, quelle est la place des femmes dans l’industrie vidéoludique?
La première question que nous sommes en droit de nous poser est de savoir si les femmes apprécient les jeux vidéo.
D’après une étude réalisée par le S.E.L.L. (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) en 2015 auprès de 1.000 français, 46% des femmes joueraient aux jeux vidéo (au moins trois fois par mois), majoritairement sur smartphone ou à des “jeux sociaux”.
Or, ces jeux dits casual game ne sont pas toujours reconnus comme de véritables jeux par la communauté des gamers. Ce mépris des “jeux de filles” n’est rien cependant en comparaison aux virulentes critiques sexistes dont sont victimes certaines femmes évoluant dans la sphère vidéoludique.
C’est par exemple le cas d’Anita Sarkeesian, l’auteure d’une série de vidéos militantes, qui souligne les clichés féminins rencontrés dans les jeux vidéo, et qui a subi en 2014 des menaces de mort après avoir exprimé sur la Toile son avis tranché sur la représentation des femmes dans les jeux.
Si les femmes apprécient les jeux, il semble donc néanmoins difficile à une gameuse d’être acceptée en tant que femme dans le monde des gameurs. Mais cette vision sexiste du milieu vidéoludique correspond-elle à ce que les joueuses vivent au quotidien?
Qu’en pensent les joueuses d’e-sport?
Les différents témoignages des joueuses, qu’elles soient passionnées ou professionnelles, nuancent le point de vue cité ci-dessus. Les gameuses précisent en effet que si la misogynie est présente sur les forums, elle est avant tout le fait d’une minorité de personnes qui fait énormément de bruit sur la Toile. Cette ambiance ne se retrouverait nullement lors des tournois de sport électronique.
Championnes du monde ESports World Convention 2014 (ESWC) du jeu Counter Strike
Nazca, journaliste e-sport, estime pour sa part qu’il n’existe aucune différence entre les gameuses et les gameurs professionnels (voir cet article publié sur Millenium). Les femmes acquièrent sans difficulté leur place si elles prouvent qu’elles possèdent un bon niveau. On retrouve d’ailleurs dans l’e-sport des joueuses célèbres telles que Maddelisk, Kayane ou Sjokz, qui réalisent des performances aussi impressionnantes que celles de leurs homologues masculins.
Le problème se situe selon elles dans le fait que les femmes sont moins nombreuses que les hommes dans le sport électronique: étant moins présentes dès la ligne de départ, elles sont logiquement moins nombreuses lors des finales.
Qu’en pensent les conceptrices de jeux vidéo?
S’il y a peu de joueuses dans l’e-sport, cette pénurie de femmes se retrouve également dans les métiers liés au développement et à la conception des jeux vidéo. Et cette faible représentation féminine dans la conception des jeux pourrait justement expliquer le faible taux de gameuses! Car les jeux développés par la plupart des industries sont réalisés par des équipes majoritairement masculines, et ils s’adressent souvent à des hommes. Ils donneraient dès lors une image de la femme dans laquelle les utilisatrices se reconnaîtraient peu.
Les jeux, développés par des équipes majoritairement masculines, donnent-ils une image de la femme dans laquelle les utilisatrices se reconnaissent peu?
En effet, nous notons par exemple une faible présence de personnages féminins “forts” dans les jeux vidéo. Les héroïnes sont souvent des trophées ou des personnages hyper-sexualisées. Les jeux “pour filles” sont quant à eux fondés sur des stéréotypes, et ils renforcent une représentation caricaturale de la femme. C’est notamment le cas de Cooking Mama (jeu de cuisine) ou de la gamme Léa passion, qui propose de s’occuper de bébés ou d’ouvrir un salon de beauté.
Or, il est nécessaire de porter une attention sérieuse à l’image de la femme qui est véhiculée par les jeux vidéo, car comme tous les médias, le rôle de ces jeux ne se limite pas à nous divertir. Les jeux vidéo diffusent également des valeurs ! Ils peuvent entretenir les stéréotypes de genre et renforcer l’idée selon laquelle le milieu vidéoludique est plus adapté aux hommes.
La femme à l’honneur dans le jeu vidéo: une évolution positive
Il est toutefois nécessaire de noter que des entreprises de plus en plus nombreuses proposent des jeux vidéo qui s’éloignent des stéréotypes de genre et qui diffusent une image de la femme valorisante et réaliste.
L’e-sport se déroule en ligne mais attirent des foules de spectateurs. Ici à l’occasion de la League of Legends.
Cette évolution est entre autre due au fait que le milieu vidéoludique a été traversé ces dernières années par des débats sur la représentation des femmes au sein des jeux. En France, un amendement déposé en janvier 2016 dans le cadre de la loi sur le numérique suggère par ailleurs de refuser aux éditeurs une aide à la création s’ils produisent des jeux dégradants pour l’image de la femme.
Un autre résultat concret quant à ce questionnement sur la représentation des femmes dans les jeux vidéo est l’introduction d’héroïnes féminines et non hyper-sexualisées au sein de ces derniers. Ainsi, tandis que FIFA 16 propose d’incarner des équipes nationales féminines, les derniers opus de Call of Duty et de Assassin’s creed permettent de jouer avec un personnage féminin (voir cet article sur FranceTVinfo “Dix héroïnes de jeux vidéo qui feront de vous un joueur féministe”).
Dans le cadre de la loi sur le numérique (France), un amendement suggère de refuser aux éditeurs une aide à la création s’ils produisent des jeux dégradants pour l’image de la femme.
Une dernière action visant à sensibiliser le public vient de la sphère e-sportive elle-même. Des initiatives ont en effet été déployées pour mettre les gameuses à l’honneur, en leur donnant un maximum de visibilité, afin qu’elles constituent des modèles pour les futures jeunes joueuses. Ainsi, lors de la Paris Games Week, une Coupe du monde 100% féminine de League of Legends a été organisée. Mais cet événement réservé aux femmes est à double tranchant, car il pourrait amener à penser que de tels tournois n’existent que parce que les femmes sont incapables de gagner contre les hommes.
Un niveau après l’autre!
Pour amener plus de femmes dans l’univers vidéoludique, il reste encore beaucoup de préjugés à déconstruire, beaucoup de pratiques à faire évoluer. Ce travail de longue haleine, s’il passe par les concepteurs des jeux et leurs réflexions sur les stéréotypes, nous concerne également en tant que joueurs et joueuses, en tant qu’utilisateurs et utilisatrices des technologies. C’est à chacun d’entre nous de questionner nos idées reçues sur l’informatique et d’offrir aux talents féminins une place dans le numérique, en tant que passionnées mais aussi en tant que conceptrices et actrices de ce secteur d’avenir. Geek is the new sexy !
Elisa Fantinel
animatrice et chargée de promotion
du projet “Genre-et-TIC”
Interface3.Namur asbl
Documents de référence et articles sur le sujet:
– http://www.lolesports.com/en_US/articles/worlds-2015-viewership
– http://www.essentiel-jeu-video.fr/media/pdf/EJV_10_2015_FR.pdf
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