Les dispositifs de soutien direct aux créateurs d’entreprises ont rarement fait l’objet d’évaluation. De multiples types d’aides existent pour les différents stades d’évolution d’une entreprise. Les chevauchements entre niveaux de pouvoir (national, régional, local) rend encore la tâche d’évaluation plus complexe. Pourtant,l’exercice est utile pour optimiser la création et la pérennité des entreprises.
Dans la foulée de son analyse précédente sur l’effrayant désert statistique” qui caractérise à ses yeux l’accompagnement des créateurs d’entreprise – relire ici son article – Carl-Alexandre Robyn, associé-fondateur du cabinet Valoro, se livre à une nouvelle analyse de la situation actuelle et de ses manquements.
Les aides directes sans remboursement visant à soutenir la création d’entreprises sont nombreuses. Mais il n’est malheureusement pas possible de distinguer, pour certaines de ces aides, celles qui bénéficient aux créateurs et celles qui bénéficient aux repreneurs.
Tant en montant qu’en nombre de bénéficiaires, les dispositifs les plus importants visent les chômeurs ou les bénéficiaires de minima sociaux:
– les exonérations sociales et fiscales visent en particulier les demandeurs d’emploi et les indépendants ;
– les subventions, qui représentent environ le double du montant des exonérations, sont également massivement orientées vers les créations d’entreprises par les chômeurs ou les personnes bénéficiant de minima sociaux à travers l’activation des dépenses sociales et la possibilité d’investir une partie de ses droits à allocation chômage dans son entreprise ou de bénéficier du cumul de son allocation et des revenus de son entreprise.
Ces dispositifs permettent notamment à cette catégorie de créateurs, aux moyens financiers a priori limités, de disposer soit de ressources pendant la période initiale où l’activité de leur entreprise ne permettrait pas de subvenir à leur besoin, soit d’un pécule qui peut compléter les fonds propres de leur entreprise.
Par ailleurs, leurs charges sont réduites pendant les premiers mois voir les premières années. La majorité des chômeurs créateurs bénéficie de cette exonération.
Un suivi déficitaire
Les dispositifs de subventions et d’exonération ont rarement fait l’objet d’évaluation et sont, en règle générale, mal suivis. Leur coût et le nombre de leurs bénéficiaires, notamment concernant les dispositifs les plus massifs, sont mal connus, ce qui rend difficile la mesure de leur impact et de leur efficacité.
En outre, ces dispositifs se cumulent souvent, ce qui rend difficile une évaluation au cas par cas ; la répartition des bénéficiaires de chaque dispositif entre créateurs et repreneurs n’est souvent pas connue. Une meilleure connaissance des bénéficiaires de ces aides et une évaluation régulière de leur impact serait donc très souhaitable.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Le coût des dispositifs de subventions et d’exonération et le nombre de leurs bénéficiaires, notamment concernant les dispositifs les plus massifs, sont mal connus ce qui rend difficile la mesure de leur impact et de leur efficacité.”
Malgré ces défauts d’informations, on peut cependant considérer que les aides étatiques ne bénéficient qu’à une minorité de création d’entreprises. Les aides apportées par les échelons sub-étatiques (Régions, Communautés, Provinces) ne changent pas significativement cette proportion, même s’il n’est pas possible de la mesurer.
Les aides les plus importantes sont des aides “guichets” qui ne sont pas liées au potentiel de développement des entreprises ni même à la viabilité du projet de création.
Par ailleurs, ces aides ne portent que sur la période de création et sont concentrées sur la première année de vie de l’entreprise. En règle générale, elles ne visent pas la période de développement des entreprises.
De nombreux dispositifs de prêts sont aujourd’hui proposés aux créateurs d’entreprises sans que l’on puisse chiffrer avec certitude les montants totaux qui sont en moyenne investis, notamment du fait d’une absence de vision globale de l’action des pouvoirs sub-étatiques (Régions, Provinces, Communes) qui sont actifs dans ce domaine.
Malgré ces difficultés, les abondements en crédits publics ou fonds d’épargne des dispositifs publics se chiffrent en dizaines de millions d’euros; parallèlement à ces investissements qui ont vocation à être recouvrés, les coûts de gestion (distribution et pertes ou coût des garanties) sont estimés représenter environ 55% des fonds publics reçus, mais sans que les coûts de gestion des prêts d’honneur aient pu être chiffrés.
Comme la Belgique, tous les pays étudiés à l’occasion de cette réflexion collective proposent des dispositifs de prêts susceptibles de jouer en faveur de la création d’entreprises, mais qui se différencient fortement par leurs montants, leurs bénéficiaires et leurs modalités de remboursement.
Chez nous, le Fonds de participation (étatique, mais régionalisé) propose différentes formes de crédits destinés aux entreprises qui se créent : des prêts subordonnés (Initio et Starteo), un crédit à court terme mobilisant les créances détenues par les petites entreprises sur les institutions publiques (Casheo), un “prêt lancement” à destination des demandeurs d’emploi lançant leur activité, ceux-ci bénéficiant d’une bonification de 1 % sur le taux d’intérêt s’ils acceptent de suivre un accompagnement en parallèle.
Concernant les régions, on relève que la Flandre propose le dispositif original du “Prêt winwin”, visant à encourager la famille et les relations de l’entrepreneur à placer des fonds dans son entreprise en échange d’un avantage fiscal équivalent à 2,5 % du montant.
Tous les types de créateurs peuvent accéder aux différents dispositifs de prêts, qu’il s’agisse de personnes n’ayant pas accès au crédit bancaire, de chômeurs, de projets d’entreprise “classique” avec des plans de financement de montant très divers, d’entreprises innovantes à la recherche de financement d’amorçage.
D’une manière générale, les créateurs d’entreprises bénéficiant des dispositifs de prêts publics sont également bénéficiaires d’autres types d’aides. Il est donc très difficile de faire une évaluation précise de leur impact spécifique.
En 2015, deux tiers des entreprises créées seulement étaient bancarisées alors que la bancarisation est un élément favorable pour la pérennisation des entreprises.
Et côté bancaire?
Par ailleurs, le montant des capitaux initiaux est également un facteur très discriminant pour la durée de vie des entreprises et il est souvent lié à la possibilité d’accéder aux crédits bancaires. Les dispositifs de prêts qui agissent positivement sur les deux dimensions (augmentation des capitaux et accès aux ressources bancaires) sont donc des outils de soutien à privilégier.
“En 2015, deux tiers des entreprises créées seulement étaient bancarisées alors que la bancarisation est un élément favorable pour la pérennisation des entreprises.”
On peut s’interroger toutefois sur la diversité des outils utilisés et le nombre relativement limité des bénéficiaires (environ 7.000 prêts distribués pour probablement 3.900 à 4.600 entreprises, une forte proportion d’entreprises bénéficiant de plusieurs types de prêts), en regard du nombre de créations d’entreprise annuelles : environ 87.000 en 2015).
En ce qui concerne les publics les plus en difficulté, les microcrédits de Credal et de Microstart (à peine plus d’un millier de microcrédits environ par an) paraissent bien adaptés à leur cible dont ils améliorent sensiblement la pérennité.
Il s’agit d’entreprises de petite taille avec de très faibles moyens de financement. Le coût en crédits publics de ces prêts, financés sur ressources bancaires et par les créateurs aidés, est limité.Ils sont parfois complétés par des prêts d’honneur mais Credal et Microstart semblent avoir des difficultés à trouver des ressources suffisantes pour les financer.
Les prêts d’honneur sont des outils souples, à géométrie variable selon les réseaux qui les distribuent, et qui peuvent donc s’adapter à la taille des entreprises à créer et aux moyens financiers des créateurs.
Pas loin de 2.000 entreprises en ont bénéficié en 2015 avec des taux de pérennité sensiblement supérieurs à la moyenne des entreprises du même type. Il serait toutefois utile de mieux identifier leurs coûts de gestion et de disposer d’un suivi global plus précis des résultats des réseaux de distribution actuels.
Mieux suivre l’évolution et les “performances”
Si les performances de chaque catégorie de prêt étaient mieux suivies, cela permettrait un soutien plus rapide et adapté des jeunes entreprises potentiellement éligibles aux différents dispositifs et leurs coûts seraient mieux répartis entre les pouvoirs dispensateurs (organismes publics) qui participent à son financement.
Il faudrait également pouvoir étudier dans quelle mesure chaque type de prêt direct répond à son objectif initial (par exemple, objectif de facilitation des levées de fonds) et quel pourcentage des entreprises potentiellement éligibles il atteint réellement.
Entre autres, combien de types de prêts, du fait de leurs caractéristiques et de leurs objectifs de gestion, atteignent leur cible initiale de publics très défavorisés ?
On peut également s’interroger sur la nécessité de créer un dispositif spécifique de distribution pour certains types de prêts, ce qui crée des coûts de gestion supplémentaires non négligeables et complexifie les dispositifs pour les créateurs.
Il faudrait pouvoir démontrer l’efficacité de chaque type de prêt. En d’autres mots, la pertinence de certains prêts, dans leur forme actuelle, mériterait d’être précisément analysée. En effet, la limitation de certains prêts ne paraît pas cohérente avec le constat de l’importance du montant des fonds propres initiaux dans la pérennisation des entreprises.
“Si les performances de chaque catégorie de prêt étaient mieux suivies, cela permettrait un soutien plus rapide et adapté des jeunes entreprises potentiellement éligibles aux différents dispositifs et leurs coûts seraient mieux répartis entre les pouvoirs dispensateurs (organismes publics) qui participent à son financement.”
Il y a d’ailleurs tellement de dispositifs de prêts qu’ils ne peuvent actuellement pas faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.
Pour faciliter la bancarisation des entreprises nouvelles, les pouvoirs publics ont complété leur financement direct à l’aide de prêts publics par la prise en charge d’une partie des risques supportés par les banques lorsqu’elles prêtent aux entreprises en création.
Ces garanties sont apportées essentiellement à travers trois organismes régionaux : Fonds bruxellois de garantie, Sowalfin, Participatiemaatschappij Vlaanderen (PMV) qui gèrent plusieurs fonds dédiés à la garantie des prêts aux entreprises en création, notamment par des personnes sans emploi ou en situation de précarité économique, et qui est financé, à cette fin, par l’Etat et les Régions.
Le montant total des crédits publics qui financent des dispositifs de garantie est relativement limité alors que l’efficacité des dispositifs est très généralement reconnue par tous. Les taux de pérennité des entreprises bénéficiant de ces dispositifs est sensiblement amélioré.
“Compte tenu de l’importance du financement de l’amorçage pour le développement d’un tissu économique performant, reposant sur une bonne proportion d’entreprises de taille significative, il serait utile de disposer de diagnostics et d’objectifs précis qui permettent de mesurer l’efficacité des actions relativement nombreuses menées dans ce domaine, tant au niveau fédéral que régional.”
Le nombre d’entreprises concernées, même s’il est en augmentation, reste limité pour les trois fonds régionaux de garantie (environ 6.000 entreprises créées ou reprises en 2015). En comparaison du nombre de créations d’entreprises (87.000 par an en 2015), dont environ deux-tiers sont bancarisées, le nombre de ces garanties reste très minoritaire.
Il serait intéressant de comparer – plus précisément que ce n’est le cas aujourd’hui – l’efficacité d’un euro investi dans un prêt direct à une entreprise en création et d’un euro apporté en garantie d’un prêt fait par une banque.
En particulier, une meilleure connaissance de ces coûts par chacun de ces fonds régionaux de garantie serait utile.
Les Régions et l’amorçage
Les pouvoirs publics régionaux ont développé localement des dispositifs leur permettant de prendre directement des participations dans les entreprises pendant la période d’amorçage. En effet, les entreprises belges se créent en moyenne avec un niveau de fonds propres inférieur à celui des entreprises des pays voisins. Or, les entreprises à potentiel, en particulier les entreprises innovantes, nécessitent souvent des capitaux importants pour pouvoir se développer.
Mais combien (en millions d’euros) les Régions ont-elles investi, depuis l’an 2000, par exemple, sous forme d’avance remboursable dans leurs différents fonds d’amorçage ? Quel est le bilan global jusqu’ici de leurs actions respectives ? Combien de prises de participations depuis l’an 2000, pour un total de combien de millions d’euros ?
De la lecture des rapports d’activité des Invests régionaux, transpire l’impression que le positionnement des fonds dédiés à l’amorçage a plutôt tendance à glisser vers l’aval, après l’amorçage.
Quelles évaluations publiques ont été menées sur les fonds régionaux d’amorçage et de capital-risque ? Leurs résultats sont-ils convaincants ? Sont-ils à la hauteur des capitaux publics abondés ? Leurs cibles initiales sont-elles souvent atteintes, quantitativement ou qualitativement ? Existe-t-il un cloisonnement entre les différents et multiples fonds ? Faut-il créer de nouveaux fonds ?
Compte tenu de l’importance du financement de l’amorçage pour le développement d’un tissu économique performant, reposant sur une bonne proportion d’entreprises de taille significative, il serait utile de disposer de diagnostics et d’objectifs précis qui permettent de mesurer l’efficacité des actions relativement nombreuses menées dans ce domaine, tant au niveau fédéral que régional.
Avertissement : Tous les chiffres et pourcentages indiqués dans ce texte ne sont que des approximations résultant de la lecture de plusieurs sources d’informations disparates. Il s’agit d’un travail subjectif de recompilation à partir de sources officielles (privées et publiques) et de sources non officielles : ces sources sont donc diverses et non exhaustives. Je ne prétends pas fournir des chiffres d’une exactitude digne d’une thèse de doctorat. Un lecteur méticuleux pourra toujours corriger ces pourcentages en fonction des sources qu’il aura lui-même consulté. Je n’ai donc aucun problème si un lecteur souhaite corriger mon analyse, en fait, je l’encourage même à le faire. Le but du jeu, ce ne sont pas les chiffres mais les idées. L’objectif n’est pas de présenter des informations rigoureusement exactes mais des informations utiles pour la réflexion critique.
Carl-Alexandre Robyn
Associé-fondateur
cabinet Valoro
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