Consacrer toute une journée aux vertus de l’échec – de l’échec contrôlé, s’entend! C’est-à-dire celui qui permet d’apprendre de ses erreurs, de progresser et, en finale, de réussir. Voilà ce que proposait l’association Startups.be en ce début de semaine lors de l’événement Failing Forward.
Histoires vécues, témoignages et débats se sont succédés toute la journée. Objectif: encourager l’entrepreneuriat et envoyer comme signal que l’échec n’est plus une honteuse maladie et peut même servir d’aiguillon.
Parmi les orateurs figuraient certains chefs d’entreprise, aujourd’hui considérés comme des exemples parce qu’ils ont engrangé de belles réussites, qui ont connu des échecs plus ou moins cuisants au fil des ans. Et c’est sans doute en partie parce qu’ils ont appris de ces erreurs qu’ils ont ensuite réussi. C’est en tout cas le message qu’ils faisaient eux-mêmes passer au public présent.
Les compétences de papier
La journée aura ainsi démontré que certaines des erreurs commises peuvent être considérées comme des bévues de “débutant”, ou des erreurs qu’on n’aurait pas attendues de leur part. Ainsi celle qu’avouait Bart de Waele, fondateur de l’agence Wijs et “serial entrepreneur”. Une erreur basique apparemment pour quelqu’un qui, comme lui, a fait carrière dans la banque et avait en poche une formation de comptable. C’est pourtant des raisons financières opérationnelles qui ont eu raison de l’une de ses initiatives (Netlash). En dépit d’un chiffre d’affaires respectable et d’un bilan positif, la société a dû mettre la clé sur la porte parce qu’elle n’a pas su tenir à l’œil son cash flow et s’est retrouvée dans une situation où ses collaborateurs ne pouvaient plus être payés.
Manière d’illustrer combien les compétences de l’entrepreneur – et de ceux qui l’entourent, ou encore le choix de partenaires – peuvent s’avérer essentielles, vitales.
Pas de miracle
Aucune recette-miracle n’aura été énoncée pendant la journée Failing Forward. Les conseils classiques – bien s’entourer, s’investir totalement dans son projet sans demi-mesure, sans arrière-pensée, bien cerner son marché-cible… – ont été répétés. Des conseils qui ont sans doute plus de poids dans la mesure où ils viennent parfois de gens qui ont connu eux-mêmes l’échec et peuvent donc servir de repères.
Source: Bart de Waele (Wijs). Failing Behind 2013.
Exemple, ce témoignage, une fois encore, de Bart de Waele: “Ne vous lancez pas dans un projet si vous ne voulez pas vous y investir totalement”, rappelait-il. Et il parlait en connaissance de cause. En 2007, il avait lancé Metatale, une sorte de Klout avant l’heure, mais surtout une société qui n’a pas trouvé la recette de la monétisation. Et dans laquelle les initiateurs ne se sont pas investis totalement, qu’ils pilotaient tout en faisant autre chose, vaquant à d’autres activités professionnelles. Erreur fatale.
Olivier de Wasseige (Defimedia, Internet Attitude): “L’une des raisons majeures d’échec de start-up en Belgique est la faible croissance dont elles peuvent faire état. Nombre d’entre elles se plantent parce qu’elles n’ont pas pu grandir suffisamment vite.” Autres facteurs déterminants, à ses yeux: les illusions que se font de nombreux jeunes, qui ont des exigences salariales démesurées par rapport à la dure réalité des start-ups, où il faut savoir se priver de salaire pendant un “certain temps.”
Sans oublier le manque de support de l’entourage. L’effet est avant tout psychologique mais pas moins essentiel.
Business plan, avant ou pendant?
La chose essentielle, aux yeux de Cédric Donck, business angel, entrepreneur et professeur à Solvay, est la connaissance du marché – et des clients – que l’on vise. C’est là l’une des premières choses qui permettent selon lui de mesurer la validité et la viabilité d’un projet. On la retrouve donc en place de choix dans son modèle Pigmento Map, cette méthodologie d’évaluation de chances de succès d’un business model qu’il a mise au point en s’appuyant sur de nombreux cas vécus.
Bart de Waele “Ce qu’on a en tête est souvent battu en brèche par la réalité.”
Si les investisseurs (publics ou privés) et les partenaires potentiels exigeront qu’un porteur de projet leur présente un business plan valable, ce dernier n’est pas pour autant parole d’évangile.
Le plus beau des business plans, le plus soigneusement pensé, peut tout simplement s’effondrer lorsque la jeune société rencontre son premier client. Tout simplement parce qu’il vient d’une direction à laquelle on ne s’attendait pas, ou parce qu’il est d’une envergure que la jeune société peut difficilement affronter. Ce fut le cas – décidément ! – pour Bart de Waele et sa 4ème société – Talking Heads – qui a eu la surprise de décrocher deux grosses pointures en guise de premiers clients : Kinepolis et Nike – excusez du peu !
Retour au drawing board pour concocter d’urgence un nouveau business plan, muscler la société, ses ressources et procédures…
“Ce qu’on a en tête est souvent battu en brèche par la réalité”, prévient-il. Et, en la matière, l’expérience passée n’est pas toujours d’une grande utilité. “Attention à ne pas se contenter d’extrapoler sur base des patterns du passé sans regarder vers l’avenir. Il faut anticiper. Même si c’est là quelque chose de très difficile.”
Les barrières
Les obstacles, les freins, on se les construit surtout dans sa propre tête, déclarait Bart de Waele. Toutefois, elles ne sont pas uniquement imaginaires. Loin de là. Et les raisons ne sont pas uniquement liées à des considérations financières ou de rentabilité.
José Zurstrassen (Skynet, Keytrade Bank, Mondial Telecom…) pointait par exemple du doigt… le monde de l’entrepreneuriat. “La stigmatisation [Ndlr: celle de l’échec et de l’entrepreneur qui échoue] ne vient pas tellement de la société dans son ensemble mais surtout des autres entrepreneurs qui recherchent avant tout la compagnie d’autres personnes ayant réussi.” Ce qui, souligne-t-il, n’augure rien de bon.
Le pourcentage de Belges entrepreneurs est en effet plus que modeste et si l’on tient compte d’une inévitable “attrition” (en raison du volume d’échecs), ce cercle risque bien de fondre comme neige au soleil.
La peur d’entreprendre, la crainte de l’échec, viendraient-elles, chez nous, de l’enseignement, du contexte socio-culturel?
José Zurstrassen: “On ne peut attendre simplement que l’enseignement change ses méthodes et produise des entrepreneurs.”
Patrice Roulive (Telemis): “Je ne crois pas à l’explication d’un enseignement qui ne donnerait pas le goût de l’entrepreneuriat. Pour moi, quel que soit le type d’enseignement par lequel on passe, il y a toujours des personnes qui ont l’entrepreneuriat dans le sang, dans les tripes, qui ont envie de le faire.” Et ceux qui ne l’ont pas…
La société, alors?
Patrick Roulive: “La grosse différence entre la Belgique – ou l’Europe – et les Etats-Unis, c’est que chez nous, il n’y a pas cet incitant-clé qui est le fait que si on ne se débrouille pas soi-même, il n’y a rien pour vous rattraper. Pas de chômage garanti, pas de sécurité sociale…” Le manque d’initiative et l’aversion au risque seraient donc dus, ne serait-ce qu’en partie, au parachute doré du chômage ?
Nous ne serions pas préparés, formés, au risque parce que le besoin ne s’en fait pas sentir ?
La crise, selon certains, expliquerait d’ailleurs la recrudescence de start-ups que l’on constate depuis quelques années (même si les dernières statistiques font état d’un tassement).
Etre “contraint” de devenir entrepreneur parce qu’il n’y a pas d’autre solution – gel des recrutements, fins de mois difficiles, absence de bouée de sauvetage institutionnalisée – ne veut pas pour autant dire que la réussite est au bout du chemin. Etre contraint à quelque chose n’a jamais garanti que la personne qui se lance dispose des qualités nécessaires… Là-dessus, le consensus s’est à l’évidence fait parmi les orateurs de la journée.
L’aptitude à l’échec
Quelqu’un qui n’a jamais échoué est-il un bon entrepreneur?
Question-piège. On pourrait dire qu’il l’est … tant qu’il n’a pas échoué. Mais ce serait là une pirouette un peu trop facile.
Cédric Donck: “Quand un porteur de projet qui a connu des échecs s’adresse à moi, ce que je regarde en premier lieu, c’est le degré de maturité avec lequel il voit son échec.”
Quelqu’un qui a échoué et s’en est relevé, plus fort, plus “mature”, a potentiellement en mains plus de ressources pour trouver les faveurs du marché. Surtout outre-Atlantique… Bruno Schröder (Microsoft) citait cet exemple, certes extrême, de General Electric qui, au début des années 80, mesurait la valeur potentielle de ses recrues de haut rang à la hauteur de l’argent qu’ils avaient perdu en cours de carrière. A moins de 100 millions de dollars, cela ne valait même pas la peine de postuler. Cela voulait en effet dire que cette personne n’était pas… apte à prendre des risques. Autres temps, autre époque, autre monde, autres repères.
Regards neufs
Si l’échec n’est ni grave, ni mortel, peut-on pour autant se lancer tête baissée dans l’entrepreneuriat?
Comment d’ailleurs les business angels, les investisseurs, les partenaires potentiels regardent-ils un porteur de projet qui s’adresse à eux et qui traîne avec lui le poids d’un ou plusieurs échecs antérieurs?
José Zurstrassen: “Comme un élève qui a récolté une mauvaise note, il faut garder sa feuille, la regarder, faire attention à ses erreurs… pour ne pas les reproduire.”
Cédric Donck: “Quand un porteur de projet qui a connu des échecs par le passé s’adresse à moi, le fait qu’il ait failli donne évidemment une coloration spéciale à sa démarche. Mais ce que je regarde en premier lieu, ce à quoi je passe beaucoup de temps, c’est à évaluer s’il a appris de cette expérience, s’il l’a digérée, le degré de maturité avec lequel il voit son échec. Si ce travail n’a pas été fait, l’examen de son dossier souffrira tout naturellement d’un a priori moins positif.”
Mais il n’y a pas que le regard des autres. Celui qu’un entrepreneur jette lui-même sur ses capacités et sur sa gestion de l’échec est également fondamental.
José Zurstrassen: “ne vous lancez pas dans quelque chose que vous ne vous sentez pas capable d’assumer mais… assumez votre échec. Quand un entrepreneur se ramasse, c’est avant tout parce qu’il s’est trompé, a négligé quelque chose, a mal compris son marché, ou s’est mal entouré.
Quoi qu’il en soit la responsabilité est sienne et il doit accepter de l’assumer. L’échec est un ensemble de leçons.
C’est douloureux, cela fait mal à la personnalité de l’entrepreneur. Mais comme un élève qui a récolté une mauvaise note, il faut garder sa feuille, la regarder, faire attention à ses erreurs… pour ne pas les reproduire. Le premier de classe garde toujours sa feuille comme un trophée. Le dernier de classe ne la garde jamais. C’est une erreur…”
Les mentalités évoluent
Heureusement pour les perspectives futures, la stigmatisation de l’échec semble être en recul chez nous. Les mentalités évoluent. Il faut sans doute y voir la conséquence de la multiplication des projets, à la petite flambée de “starters” qui a caractérisé l’économie belge depuis quelques années. Avec non seulement une vision nouvelle de l’entrepreneuriat, l’arrivée de nouveaux profils d’entrepreneurs, mais aussi sa cohorte d’échecs et de plantages. A force de voir ces phénomènes se répéter, ils deviennent habituels, coutumiers.
En Flandre, l’Unizo a par exemple initié un programme destiné à accompagner les entrepreneurs qui ont connu un échec afin d’essayer de les remettre sur les rails. Dans l’espoir qu’ils demeurent dans le monde de l’entrepreneuriat et ne soient pas des victimes irrécupérables.
Pas le choix d’ailleurs, rappelait José Zurstrassen en citant des statistiques démographiques. L’espérance de vie de l’homme grandissant à pas de géant, notre modèle social ne tiendra plus très longtemps la route. Comment la société poutrait-elle en effet supporter des personnes ayant une espérance de vie de 40 à 60 ans une fois venu l’âge légale de leur pension ?
Cette extension de l’espérance de vie implique, selon lui, que l’homme – et la femme – connaîtront inexorablement plusieurs carrières au fil de leur vie. Et des carrières qui peuvent facilement durer, chacune, plusieurs dizaines d’années. “A chaque âge, il est essentiel de trouver quelque chose qui nous passionne. Et cette passion varie avec l’expérience de la vie, la parenté, l’âge… Voilà pourquoi je ne m’arrêterai jamais d’entreprendre.” Et d’ajouter : “les jeunes d’ailleurs ne se font plus aucune illusion. Ils savent que dans 30 ou 40 ans, ils ne pourront compter que sur eux-mêmes pour assurer leur existence.”
Quelques petites phrases relevées au fil des exposés…
“Perdre vous apprend plus de choses que réussir.”
“Accumuler les échecs est une bonne manière d’apprendre.”
“Echouer. Oui, mais vite, à petite échelle, et de manière contrôlée”. Pour ne pas perdre trop gros. Pour avoir la possibilité de réaiguiller la tentative.
“N’essayez pas d’être meilleur en tout. Sachez être humble. Efforcez-vous d’être excellent dans une seule chose et d’être bon ou moyennement bon dans tout le reste.”
“Il n’y a jamais d’idée parfaite. Et il n’y a jamais d’idée totalement mauvaise.”
“Lorsque vous tirez les leçons d’un échec, il se transforme en expérience.”
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