Dans la troisième partie de ce tour d’horizon du numérique dans les programmes des partis politiques francophones, nous nous arrêterons sur quelques thèmes davantage technologiques (intelligence artificielle, open data…), le tout terminé par un petit kaléidoscope d’idées parfois insolites ou étonnantes.
Relire les deux premiers articles ici et ici.
Commençons par le “buzz” du moment: l’intelligence artificielle. Sans surprise, on en trouve des traces dans tous les programmes – à des doses très variables.
Pour Ecolo, il est nécessaire d’“encadrer” – légalement – son utilisation “dans les domaines humainement sensibles – armement, soins de santé, migration, justice pénale…” Si on accepte que l’IA intervienne dans ces domaines, prennent des décisions, “du moins en partie, avec quelles balises, quelle autorité de tutelle, ou selon quelles modalités ?”
Autre point figurant au programme d’Ecolo dans ce registre: l’idée de donner naissance, au niveau fédéral, à un “Centre d’observation des algorithmes” qui “analyse leur caractère éthique et légal”, travaille sur leur transparence, et “propose des actions, le cas échéant”.
“Il est important que le pouvoir politique définisse un cadre précis dans lequel le recours aux algorithmes sera balisé, limité ou interdit en fonction des domaines de compétence, de l’éthique et de l’impact sur nos libertés individuelles.”
L’IA, vue avec des lunettes libérales, c’est s’en servir “au service de la qualité de la vie” ou encore “au service d’une économie plus écologique”. Notion qu’il faudra préciser – surtout lorsque l’on parle d’IA…
Selon le programme du MR, il faut “encourager le développement de projets en matière de mobilité (véhicules autonomes), de santé (e-health), d’environnement, d’agriculture ou de tourisme”, toutefois “dans le respect des politiques de protection de données”.
Les arguments économiques pèsent clairement dans la position des bleus. C’est ainsi qu’on peut lire dans leur programme une volonté de “miser sur la robotisation plutôt que l’affronter. […] L’Intelligence artificielle prendra à l’avenir un essor encore plus considérable qu’actuellement. Les fonds publics disponibles devront être dirigés massivement vers le développement de ce pan économique.”
Ecolo: “Il est important que le pouvoir politique définisse un cadre précis dans lequel le recours aux algorithmes sera balisé, limité ou interdit en fonction des domaines de compétence, de l’éthique et de l’impact sur nos libertés individuelles.”
Prudence. Un peu, beaucoup, modérément…
Au registre éthique, là où Ecolo prône un “encadrement” de l’IA, notamment pour des utilisations “sensibles”, militaires voire guerrières, le MR exprime le risque autrement et est moins affirmatif: “Le MR sera toujours attentif à la place de l’homme dans la guerre: les nouvelles technologies (intelligence artificielle, robotisation, système des systèmes, etc.) ouvrent des champs nouveaux d’opportunités et de risques. L’homme doit rester au centre de la boucle de la décision: il faut donc réfléchir à l’usage des armes du futur et à leurs conséquences éthiques.”
Le parti “envisage” par ailleurs la création d’un “centre belge de coordination multidisciplinaire pour la transition numérique et l’Intelligence artificielle”. Il inclurait tout à la fois un Comité éthique [notamment sur les aspects réglementaires], une AI Workforce Planning Task Force [pour les répercussions sur les métiers et l’emploi]), un AI Industry Council [trans-sectoriel] et un centre d’expertise académique.
Le cdH est sensiblement plus “prudent”, voire pessimiste face aux usages et impacts de l’IA et des algorithmes: “les algorithmes produisent des résultats à rebours des valeurs essentielles d’humanité. On constate ainsi que certains algorithmes qui font du profilage et des décisions automatisées aboutissent à des résultats aberrants, voire discriminatoires.
Les algorithmes de recommandation (d’achat, de lecture, de consommation culturelle) ont souvent tendance à entretenir les utilisateurs dans leurs modes de consommation, de pensée, d’amplifier des biais de perception de conforter certaines représentations du monde réel….” On verra plus loin que ce prisme de lecture débouche sur des propositions parfois étonnantes (voir au chapitre ANCRE
Comme le MR et Ecolo, le parti émet par ailleurs l’idée d’un “Conseil des enjeux éthiques de l’intelligence artificielle”. A mettre en oeuvre, selon lui, au niveau européen. Autres idées: “créer un label et une certification éthique des algorithmes sur base des critères de contrôle, de transparence et de lisibilité” et “former les informaticiens aux balises éthiques en la matière.”
Open data
Permettre l’utilisation de données publiques est un sujet souvent mal aimé, qui progresse peu – surtout au sud du pays. Il est néanmoins traité ou évoqué, à des doses et selon un volontarisme fluctuant, dans les programmes des partis.
L’un des plus en pointe est sans conteste Ecolo qui préconise une “politique systématique d’open data dans toutes les administrations publiques” et dit vouloir “encourager” les acteurs privés à “partager leurs données, anonymisées, lorsqu’elles représentent un intérêt pour la collectivité”. Exemple: pour la mobilité, la santé publique…
Une petite phrase du programme MR laisse par contre quelque peu songeur: “Développer la “culture de la donnée” au service de l’environnement”. Jusque là pas trop de souci même si on se demande pourquoi se limiter au “service de l’environnement” mais voici ce qui suit: “si certaines organisations sont capables de lire, créer, exploiter et communiquer ce type de données, beaucoup d’autres ne le sont pas, à commencer par des institutions publiques.”
C’est un rien emberlificoté et dénigrant comme formulation. Ce que le MR veut dire: les institutions publiques ne pratiquent pas (encore) assez l’open data et il faut renforcer la chose. Mais autant le dire clairement…
MR: “Il faut encadrer l’utilisation des données pour ne pas s’en priver tout en respectant le concept d’anonymisation des données”
Le cdH est plus affirmatif, évoquant la nécessité de promouvoir les open data pour “stimuler le développement de solutions favorisant la gestion numérique des territoires”, en sollicitant et faisant agir de concert – notamment au travers d’un comité de pilotage – les différents “opérateurs gestionnaires des infrastructures et des réseaux de distribution d’électricité, de gaz, d’eau, des réseaux de transport et de mobilité, de gestion des déchets, de caméras de surveillance… (Sibelga, Vivaqua, STIB, Bruxelles Propreté, mais aussi les gestionnaires de parkings, l’agence régionale de stationnement, les sociétés de taxis, de covoiturage, la police…).”
Outre le concept de données ouvertes, le parti y associe la notion d’interconnexion des solutions techniques et logicielles mises en oeuvre par ces différents “réseaux”, afin de favoriser une sorte de mise en commun et de méta-exploitation des données collectées en vue de “prises de décisions intelligentes: compteurs électriques intelligents dans toutes les habitations et dans les entreprises et administrations ; capteurs de taux de remplissage des bennes à ordures ; puces GPS dans chaque véhicule de transport public ; capteurs d’occupation de places de parking, en voirie comme hors voirie ; capteurs de mouvements dans chaque rue, pour allumer ou non les lumières lorsque nécessaire.”
Retour au concept proprement dit d’open data pour faire un petit détour vers le programme du PTB, où l’on retrouve ce principe des données ouvertes à la fois au bénéfice de la transparence des actions gouvernementales et dans le domaine culturel.
Pour la “transparence”, le parti propose “un droit de regard sur les décisions du gouvernement en visualisant bien clairement les priorités dans le budget du gouvernement et en rendant les informations à ce propos disponibles en ligne.”
Autre proposition, davantage orientée citoyenneté participative: création d’une “large plate-forme digitale démocratique permettant aux citoyens de faire des propositions, d’en discuter et de les soumettre au débat et au vote du Parlement.”
En matière d’ouverture des données dans le domaine culturel, on peut lire ceci dans leur programme: “Nous encourageons l’accès à la culture numérique en favorisant l’utilisation de logiciels libres, en stimulant les licences creative commons. […] Nous nous engageons à mettre en oeuvre une stratégie de libre accès dans le domaine culturel et encourageons les institutions culturelles à accorder un accès en licence libre à leurs produits et leurs publications numériques par le biais de creative commons.”
Dans le même ordre d’idée, le parti propose la création d’une “bibliothèque numérique centralisée du gouvernement [ou “plate-forme commune publique”], pour mettre en réseau les institutions et organisations culturelles et scientifiques et permettre ainsi de partager les contenus, informations et services entre les différents départements.”
Même principe pour une “médiathèque publique en ligne […] qui offre de la musique, des films et des contenus culturels en ligne.”
Open source
On retrouve le thème de l’open source, au PS, au rayon enseignement, pour lequel le recours à des logiciels en source libre est préconisé, notamment pour éviter que de nouvelles inégalités, induites par l’essor du numérique, ne “s’ajoutent aux précédentes”.
PS: Promouvoir l’open source, notamment au niveau de l’enseignement, pour éviter de créer de nouvelles inégalités ou fractures.
Conviction identique du côté du cdH dont le programme parle de mise à disposition de logiciels libres et open source pour les élèves. Une position qui rejoint ainsi celle d’Ecolo…
Nous reviendrons d’ailleurs plus en détails, dans les jours à venir, sur la position des différents partis en matière d’open source dans un article dédié à cette problématique. Stay tuned…
De “petites idées” – parfois plus étonnantes…
Au fil des programmes des partis politiques francophones, on trouve aussi parfois des idées et propositions ayant trait au numérique et à l’IT qui ont une touche – disons – plus originale ou “assertive”.
Nous en avons piochés quelques-unes pour vous.
MR
– Développer le gaming, parce que “ce secteur économique en forte croissance recèle de nombreuses opportunités économiques”
– Petite incursion en terre Ecologie et “vertitude” de l’IT: “procéder à un bilan carbone des projets numériques pour inclure cette donnée dans les analyses d’opportunités et les décisions d’investissement”
– Le MR souffle par ailleurs l’idée d’un “droit à l’apprentissage qui donnerait la possibilité à chacun de développer des compétences tout au long de sa vie”. Un “droit” à l’apprentissage? C’est interdit jusqu’ici? Disons que c’est 1 – une nécessité (on est d’accord) et 2 – quelque chose de sous-utilisé. Mais le terme “droit” étonne. Dans la philosophie des bleus, on rognerait le droit de grève (par exemple) mais on imposerait le droit à l’apprentissage? Certains apprécieront…
Ecolo
– Assurer l’éco-conception des appareils numériques et l’utilisation d’un pourcentage minimum de matériaux recyclés afin de soutenir le « green by design”. Comme quoi, les verts pensent parfois comme les bleus, et vice versa…
PS
– “Le développement de la télé-médecine [Ndlr: au sens d’e-santé] doit être orienté au bénéfice de la collectivité. Il ne peut être réservé à une élite qui dispose des moyens financiers pour s’offrir les bénéfices des dernières avancées technologiques. Nous nous opposons à une conception qui conduirait à ce que la télé-médecine soit utilisée dans une logique néolibérale où seuls les plus riches pourraient en profiter.”
Il s’agit, selon le parti, de veiller à couvrir égalitairement les zones isolées, d’utiliser la “télé-médecine” afin de faciliter le “maintien à domicile des personnes âgées et/ou en perte d’autonomie ainsi que pour la surveillance des maladies chroniques.”
DéFI
– Le retour de l’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation). Au chapitre réduction du nombre d’OIP (devant passer, selon le parti, de 74 à 32, “notamment via une fusion des opérateurs de financement et d’investissement”), l’une des mesures préconisées est la création d’une “Agence de l’Entreprise et de l’Innovation aux compétences élargies, après absorption de la nouvelle Agence du Numérique (AdN)”.
Le scénario en avait été imaginé à la fin de la législature précédente, dans le cadre du plan Digital Wallonia, mais remis en cause et annulé par l’arrivée du MR à Namur. Avec suppression de l’AEI et ré-autonomisation de l’AdN.
– Au rayon (e-)santé: “Mettre en oeuvre le dossier médical numérique de l’enfant afin de garantir le meilleur suivi de sa santé par ses parents et l’ensemble des professionnels qu’il côtoiera durant sa vie.”
– Dans un tout autre domaine et selon un concept qui soulève quelques interrogations: “impartir à la Rtbf l’obligation de concevoir des algorithmes de recommandation qui invitent ses usagers à s’ouvrir à de nouveaux centres d’intérêt et à découvrir prioritairement les contenus relevant de ses missions de service public.”
Cette position est de toute évidence à mettre en corrélation avec la perception de risque de discriminations évoquée précédemment, notamment du fait d’algorithmes de recommandation “qui ont souvent tendance à entretenir les utilisateurs dans leurs modes de consommation, de pensée, d’amplifier des biais de perception de conforter certaines représentations du monde réel….” Dans le cadre de son rôle de service public, la Rtbf serait donc chargée de compenser, en quelque sorte, ces risques et biais…
PTB
– Le PTB aborde le sujet du “travail 4.0”, préconisant notamment la prise de certaines mesures destinées, selon lui, à redresser certains des torts occasionnés par le numérique. Le parti lance par exemple l’idée d’un “droit de veto individuel des travailleurs destiné à contrer la surcharge numérique” ou “des temps de repos pour le télétravail” (sans expliquer comment ils seraient “mesurés” ou vérifiés!).
– Un peu plus loin dans le programme, le PTB traite du concept d’industrie 4.0. Sans qu’il soit honni – parce que source potentiel de progrès, social notamment -, il est malgré tout accusé d’être avant tout “synonyme d’exploitation 4.0: flexibilisation des horaires, intensification du travail, ultra-polyvalence, perte d’emplois.”
– Travail encore, à l’ère numérique, mais du côté de l’emploi du temps des fonctionnaire: “Quant au temps libéré grâce à la digitalisation et à une plus grande efficacité de l’administration, nous faisons en sorte que les travailleurs des services publics le consacrent à aider les gens dans leurs démarches. Ainsi, le gouvernement ne pourra pas utiliser la digitalisation ni pour supprimer des emplois ni pour rendre les services plus difficilement accessibles.”
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