Voici quelques mois, Comeos déboulait dans l’actu avec une étude qui mettait en garde contre la Bérézina qui pendrait au nez du secteur belge de l’e-commerce si aucune mesure de dynamisation – voire de simple conscientisation – n’est prise.
Intitulé-choc de l’étude: “14-18, la grande e-guerre. L’e-commerce belge peut-il contrer la concurrence étrangère?”.
Parmi les chiffres et constats émis par l’association professionnelle, citons notamment:
- 36.197 emplois perdus à l’horizon 2018 (voir encadré pour un décryptage de cette estimation)
- faiblesses structurelles et endémiques en termes de compétitivité salariale, de moyens logistiques, de sécurité des activités, de compétences (technologiques et commerciales), de cadre juridique défavorable…
Pour plus de détails et une remise en contexte de cette étude, voir notre article.
Début avril, une conférence réunissait à Technofutur TIC une brochette d’acteurs et d’observateurs de ce secteur: depuis des e-commerçants locaux jusqu’à des représentants des pouvoirs publics (Cabinet de la ministre Sabine Laruelle), en passant par des prestataires de services (Ogone, HiPay, BPost). Objectif: réexaminer les mises en garde de Comeos, faire le tri entre le bon grain et l’ivraie et dégager les points faibles mais aussi les zones d’espoir de l’e-commerce à la belge (pour ne pas dire à la francophone).
Ne plus tergiverser
Comeos, en la personne de Dominique Michel, son administrateur-délégué, répétait critiques et mises en garde: “L’e-commerce belge a de deux à cinq longueurs de retard sur les pays avoisinants, en raison des désavantages qu’induisent les environnements juridique, fiscal, légal… Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, par exemple, ont pris le train en marche. Nous, nous sommes au mieux dans le wagon de queue, voire sur le quai. Pour rattraper ce retard, plus le temps passe, plus il faudra allouer de gigantesques moyens financiers, tant en termes technologiques que marketing…”
Dominique Michel (Comeos): “Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, par exemple, ont pris le train [de l’e-commerce] en marche. Nous, nous sommes au mieux dans le wagon de queue, voire sur le quai.”
“Il y a en effet quelque chose d’anormal à ce qu’il faille passer par un opérateur logistique hollandais pour des raisons de coûts ou de voir de belles success stories locales en e-commerce se délocaliser””, estimait pour sa part Benjamin Beeckmans, président de la FeWeb (la fédération des métiers du Web).
Des actions à concerter
“La prochaine législature devra donner une chance au commerce électronique belge”, insistait Dominique Michel (Comeos). “Face aux risques de pertes d’emplois, j’en appelle aux pouvoirs publics pour qu’ils réagissent afin d’éviter la délocalisation de l’e-commerce belge.”
Face à cette interpellation, il n’y a pas eu, lors de la conférence, de réponse réelle du “pouvoir” public – pas assez de représentants pour obtenir ne serait-ce qu’un début de réponse ou d’idée sur les visions des premiers concernés. Une première réaction et prise de position est toutefois venue de Jean-François Krenc, expert auprès du Cabinet de la ministre Sabine Laruelle (classes moyennes, PME, indépendants et agriculture): “Pour que l’e-commerce décolle chez nous, il faut mettre en place un cadre législatif et sécurisant le plus clair possible, avec des règles transparentes et allégées. Il faut également harmoniser les législations en Europe. Les enjeux de l’e-commerce sont sous-évalués par le politique”, reconnaissait-il. “Il faut par ailleurs mettre en oeuvre des outils régionaux pour développer l’e-commerce, qu’il s’agisse de susciter des activités par des acteurs locaux ou pour attirer des opérateurs étrangers.”
Benjamin Beeckmans, président de la FeWeb, y allait pour sa part d’un petit réquisitoire à l’attention du prochain gouvernement. ‘“Il est incompréhensible qu’il n’y ait pas de Ministre du Numérique, ou de l’économie numérique, en Belgique. C’est incompréhensible parce que c’est là qu’est l’avenir. Le fait de désigner un Ministre – ou un Secrétaire d’Etat – à l’économie numérique aurait au moins l’avantage de donner à réfléchir aux gens. Ce serait un signal fort pour une prise de conscience des enjeux.
Je plaide aussi pour une stimulation de l’innovation. Intuitivement, je dirais qu’il faut agir au niveau des taxes. Pourquoi ne pas exempter de taxes et de charges sociales, pendant par exemple un an, ceux qui se lancent dans le numérique? Histoire de les aider à se lancer… J’ignore quel serait l’impact pour les finances publiques mais pourquoi ne pas prendre ce “risque”?
En matière de financement, trouver de l’argent est une réelle catastrophe en Belgique. Il faut des venture capitalists, il faut développer une culture du risque, du capital-risque. Il faut pouvoir favoriser le développement de “niches” en e-commerce afin de pouvoir aller concurrencer les Amazon ou Zalando. Mais pour générer cet effet de levier, il faut du capital-risque. Tous les venture capitalists américains ou israéliens que j’ai pu rencontrer m’ont confirmé que le taux de réussite était certes bas mais que même 1% de réussite [parmi les sociétés financées] constitue un levier suffisant, pour eux, pour rentrer dans leurs frais. Rien n’empêche donc de se lancer dans cette voie. Ici, nous sommes trop frileux. Il faut oser prendre un risque sur l’avenir. Le fait est qu’on est déjà envahi, que l’e-guerre, comme l’appelle Comeos, est perdue. Il nous faut donc développer le capital-risque, l’économie de la connaissance, trouver une bombe atomique…
Côté secteur [e-commerce], il faut fédérer nos associations, les différents acteurs et prestataires, au niveau fédéral. On ne réussira que si on réunit nos talents.
Enfin, il faut un saut – un sursaut – qualitatif. Nous ne réussirons pas par la politique des petits pas. Il faut un développement audacieux. Car le retard dont on souffre vis-à-vis de l’étranger, ces deux ou trois années de retard sont une éternité dans le monde du Web et du numérique.”
“Provoquer” les aides
La difficulté qu’ont les e-entrepreneurs (e-commerçants compris) à trouver une oreille attentive auprès des banquiers était également critiquée par Bastien Leflère, directeur financier de Vente-Exclusive: “le monde bancaire n’est intéressé que par du concret, par de la brique, par du bâtiment. Il ne sait pas comment définir et évaluer le know how, ne veut pas investir sur quelque chose qui correspond à un remboursement à deux ou trois ans sur base de ce qu’auront produit des efforts marketing…”
Pour sa part Fabian Tasset, gérant de la Maison Tasset (e-commerçant spécialisé dans la vebte en ligne d’instruments de musique classique), embrayait sur l’idée du numérique synonyme d’avenir. “Si seulement on pouvait allouer à l’e-commerce ne serait-ce qu’une fraction des millions que l’on injecte dans la sidérurgie au profit de gens qui vont de toute façon prendre leur retraite… Investir dans l’e-commerce permettrait de garder chez nous tous ces emplois qui risquent de filer à l’étranger.”
Fabian Tasset (Maison Tasset): “Investir dans l’e-commerce, au lieu d’investir des millions dans la sidérurgie, permettrait de garder chez nous tous ces emplois qui risquent de filer à l’étranger.”
Et d’ajouter: “les petits acteurs locaux sont trop peu conscients des aides et de l’encadrement qu’ils peuvent obtenir auprès d’organismes tels l’AWT et en particulier de l’initiative Club PME 2.0. Il y a malheureusement un manque total d’investissement, en moyens financiers et humains, au profit d’organismes de ce genre…”
Aux yeux d’Evan Laloux, la recette du succès ou du simple décollage de l’e-commerce dans nos contrées tient dans le partenariat. “Dans un petit pays tel le nôtre, la solidarité doit être grande. Il faut partager, échanger. Il faut aussi donner le goût de l’entrepreneuriat Web aux jeunes.
Et, pour cela, il est bon de multiplier les couveuses d’entreprises, les accélérateurs. Il faut aussi des partenariats public-privé, des partenariats et collaborations spontanées entre un artisan qui a un produit mais ne sait pas quoi en faire et un jeune qui a les compétences Web… Les deux s’allient et prennent un risque mais c’est comme cela que l’on réussit.”
Renaud Delhaye, de l’AWT, soulignait pour sa part que ce ne sont pas les bonnes idées (ou les bons produits) qui manquent, pas plus que certaines compétences, mais plutôt les moyens de les concrétiser. “Si on n’intègre pas l’IT dans les cursus – du primaire au supérieur – au même titre que l’apprentissage du français ou des maths, on risque un jour de se retrouver en effet avec de bonnes idées mais sans personne pour les mettre en oeuvre.”
La nécessité de renforcer les compétences ne se limite pas au seul champ de l’enseignement. Le chantier est tout aussi important en termes de compétences des dirigeants. Et dans ce domaine, notamment, Renaud Delhaye s’alignait sur Evan Laloux pour recommander des alliances entre acteurs. “Notamment parce que la taille critique est un véritable défi, notamment pour les jeunes qui se lancent. Il faut dès lors mutualiser la veille technologique, le travail et les compétences entre cyber-commerçants.”
Les moyens financiers pouvant venir des autorités publiques étant limités, une réorientation des aides est sans doute nécessaire. En la matière, l’AWT prône depuis quelque temps déjà une “redistribution des aides e-business en faveur des interventions de Rentic (responsables de projets d’intégration e-business) et de projets ayant un réel effet d’entraînement pour l’économie locale, en ce compris en termes de bonnes perspectives à l’exportation. C’est là une chose sur laquelle nous [lisez: l’AWT] insisterons au cours de la prochaine législature.”
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