Université d’été des Digital Wallonia Champions: Quelle société digitale – éco-responsable, éthique, socio-hygiénique – favoriser en et pour la Wallonie?

Hors-cadre
Par · 02/09/2019

La fin août devient une période de rentrée studieuse pour les Digital Wallonia Champions, ces figures peu ou prou connues de l’univers IT/numérique wallon que la Région a estampillé à la fois ambassadeurs bénévoles, sources d’inspiration, ou relais (bidirectionnels) vers les réalités et besoins du “terrain”.

Rentrée studieuse puisque ce jeudi 29 août, pendant une après-midi, l’AdN les réunit pour des ateliers d’échanges et de conciliabules afin de dégager idées et propositions sur des sujets liés à la stratégie numérique de la Région et qui pourront éventuellement se retrouver dans les décisions et initiatives prises par les instances gouvernementales.

L’édition 2019 (la deuxième du genre) de l’“Université d’Eté” des DW Champions avait été placée sous le signe et thème de la “société digitale” et, plus spécifiquement, sur le type de modèle de société numérique que l’on désire construire pour la Wallonie et les générations futures”. Un travail de co-réflexion qui a présenté une bonne dose de coloration écologico-sociétale.

Trois thèmes étaient proposés à la réflexion et aux suggestions des “Champions”: identités et démocratie ; obsolescences et transformations ; résilience et souveraineté. Tous concepts et vocables auxquels rattacher systématiquement le qualificatif numérique.

Quels furent les résultats des cogitations? Une petite session-bilan, tenue en fin de journée, en a donné quelques indications – même si le travail de synthèse doit encore être fait par l’AdN, avec relais de la substantifique moelle vers le Conseil du Numérique et, de là, au (futur) gouvernement. pour inclusion – autant que possible – dans le Plan wallon du numérique et les initiatives et projets concrets à poursuivre ou initier. Comme le déclarait, en fin de séance, Pierre Rion, président du Conseil du Numérique, les résultats des travaux de cette Université d’Eté “seront relayées avec force vers la future coalition régionale” – du moins pour ce qui est des propositions et idées qui puissent intéresser la Région et son périmètre de compétences. D’autres idées, par contre, dépassent largement le cadre régional ou ne pourront avoir une pertinence que dans un cadre plus vaste – belge, voire européen.

Mais venons-en donc aux faits et passons en revue certaines de ces idées et suggestions dans les différents thèmes de cette Université d’Eté.

Identités et démocratie

En jeu ou en question ici: “quel le contrat social numérique pour demain?” Les DW Champions qui s’y sont attelés ont en fait cogité sur trois sous-thèmes: participation citoyenne, identités numériques, données et démocratie.

En matière de participation citoyenne, une suggestion en mode recommandation fut de favoriser l’émergence d’outils de participation “augmentés”. Lisez, des outils plus riches et plus fonctionnels que des solutions qui permettent au citoyen de pleinement défendre et expliquer son opinion.

Sur cette question de la participation citoyenne, l’optique de réflexion a notamment pris le problème sous l’angle de la manière dont les acteurs publics abordent ce dialogue renouvelé avec les citoyens.

La question de la qualité, de la pertinence, de la fiabilité de l’information et de la communication a – forcément – été abordée. En raison de la montée en puissance de ce qui est ou est apparenté aux “fake news” et autres manipulations de la réalité. Partant du constat que “la qualité et la pertinence de l’information est le socle de la démocratie numérique”, la réflexion s’est faite sur la manière de la garantir ou certifier.

Avec parfois des propositions étonnantes. Du genre: faut-il envisager une labellisation de l’information? Mais qui pour labelliser? L’idée que ce soit l’instance publique ne manque de faire se lever les sourcils – même si on reste dans le seul champ des échanges participatifs… Et selon quels critères? Comment les instances publiques pourraient-elles “labelliser” l’authenticité et la véracité de contenus, informations, échanges initiés par les citoyens?

Autre aspect de la qualité, de la “valeur” que peut représenter la participation citoyenne, la capacité des citoyens à agir en pleine connaissance de cause. Notamment, leur capacité à comprendre ce que fait, dit, promulgue, etc. la “force” publique. En la matière, le constat posé par les DW Champions était celui posé de longue date par le citoyen lambda: les lois, arrêtés et autres expressions publiques sont souvent incompréhensibles. D’où la proposition de “documenter”, dans des termes accessibles à tous, les décisions politiques.

Identités numériques. Le RGPD (Règlement européen pour la Protection des données) fut l’un des sujets discutés dans ce registre. L’un des avis émis par les DW Champions, rejoignant en cela d’autres voix qui s’étaient déjà élevées en ce sens (notamment celle d’Agoria), fut d’estimer que la mise en oeuvre de ce Règlement est (trop) complexe, en particulier pour les associations et les PME, voire pour les acteurs publics locaux, et mériterait des mesures de simplification. 

Un système de qualification ou homologation des processus ou services, garantissant qu’ils sont bel et bien respectueux des obligations de protection des données privées, pourrait par ailleurs être une bonne chose, pour générer la confiance du citoyen, ont estimé les DW Champions. Ici encore, cela pourrait prendre la forme d’un label, d’icones ou sigles reconnaissables.

Le concept de respect de la vie privée, de ses implications et de ses ressorts, mais aussi le concept d’“identité numérique” deviennent chaque jour plus complexes, périlleux, remis en jeu par les “progrès” de la technologie (numérique). D’où l’importance, ont insisté les participants à cette Université d’Eté, de concocter et organiser des formations et opérations de sensibilisation pour tous, tout au long de nos parcours de vie respectifs. Et cela, sous des formes digestes, “éventuelles gamifiées, conviviales afin que chacun puisse se l’approprier”.

Autre idée: certes des autorités de protection des données existent à d’autres niveaux (notamment fédéral) mais, compte tenu des compétences croissantes qui sont les siennes, la Région ne devrait-elle pas créer et se doter de son propre organe de protection des données, capable et ayant autorité pour contrôler par exemple les finalités des traitements des données? Par exemple, pour vérifier que les traitements de données personnelles que revendiquent les acteurs publics au niveau régional ou infra-régional sont bel et bien respectueux des contraintes légales (finalités…) et n’outrepassent donc pas le champ de l’“utilité publique”? Ou encore – on en revient à la véracité – pour garantir la validité des sources desdites données?

Données et démocratie. L’un des enjeux soulignés est celui – une fois encore – de la qualité des données tout comme celle des algorithmes. Qualité mais aussi “transparence”. Avec nécessité ou à tout le moins utilité de préserver une certaine dose d’intervention humaine (gare aux systèmes entièrement automatisés dans leurs “raisonnements” et “décisions”, rendus opaques par l’incapacité de déterminer comment et pourquoi ils arrivent à leurs résultats).

Ici encore, les DW Champions proposent la création d’une “autorité wallonne de contrôle des données” qui devrait non seulement avoir un rôle de contrôle mais aussi d’accompagnement et reposer sur une équipe multidisciplinaire, présentant des profils ayant des compétences et connaissances juridiques, technologiques, sociétales…

L’un de ses rôles serait de “cartographier les créations et flux de données, le croisement de jeux de données” (voir supra – paragraphe sur les identités numériques).

Dans un même souci de transparence et de vérifiabilité, la suggestion a été faite de “publier les rapports sur l’analyse [et traitements] que font les administrations des données ayant permis de prendre les décisions politiques. Histoire, à la fois, de permettre aux citoyens d’avoir une meilleure compréhension de la chose publique mais aussi d’autoriser d’éventuels recours (justifiés) face à certaines décisions.

Obsolescences et transformations

Périmètre du débat et des échanges dans ce chapitre: “Comment réconcilier numérique et développement durable?”

Ici encore, trois sous-thèmes ont été débattus: éco-conception numérique, circularité économique (lisez: circuits courts), données et développement durable.

Eco-conception numérique. Du capteur IoT ou du smartphone jusqu’au méga-data center, le numérique est un dévoreur et gaspilleur d’énergie. De plus en plus gargantuesque, ivre de puissance. Les participants à l’Université d’Eté ont donc, eux aussi, discuté de la nécessité de freiner cette course folle. L’“éco-conception by design” en est l’un des possibles leviers. Autrement dit, l’optimisation ou modération énergétique, environnementale, de la manière dont sont conçus – dès le départ -, structurés, fabriqués, scénarisés… produits et solutions numériques. Avec obligation de documenter pour chaque produit les coûts environnementaux et sociétaux induits (le calcul ne sera pas une sinécure…)

Parmi les pistes évoquées…
– une transparence sur l’impact, le coût environnemental et sociétal de tout produit, appli ou autre manifestation de l’inventivité numérique
– un processus de labellisation par un référent public opérant au minimum à l’échelon régional (trans-sectoriel)
– la mise en oeuvre de mesures anti-obsolescence programmée qui touchent non seulement aux matériels et dispositifs IT/numériques en tous genres mais qui prennent également en compte ce phénomène en matière de logiciels et de données – l’idée d’un “digital/éco-score” pourrait permettre à tout un chacun d’avoir conscience du coût écologique/énergétique de ses comportements d’usage (utilisation de produits, de logiciels, d’applis, création et conservation de données…). Là où l’idée serait d’éviter que l’on change d’outils numériques comme de chemise (parce que le bouton du haut a changé de couleur et mérite que l’on bazarde tout), la démarche serait quasi-inversée pour les données (savez-vous ce que coûte à la planète le fait de conserver dans un recoin du “cloud” ces photos d’il y a 20 ans, jamais visionnées, ou ces mails sans importance…?)
– l’obligation d’inclure une clause “green IT” dans les marchés publics. Et, en filigrane et transversal, la nécessité de sensibiliser et de former aux principes d’éco-conception numérique.

“Un éco-score pour que l’usager puisse faire un choix éclairé par rapport à l’impact de son utilisation des nouvelles technologies”

 

Circularité économique. Un groupe de DW Champions s’est penché sur quelques aspects numériques de l’économie circulaire et du concept de circuits courts. L’une des propositions fut d’imaginer lutter contre le phénomène de consommation excessive d’équipements de plus en plus venus d’horizons lointains, accentuée par le phénomène d’obsolescence de plus en plus rapide, en préconisant… une obligation de publier les plans de matériels “désuets” afin que, localement, on puisse produire les pièces de rechange. L’idée pourrait évidemment s’appliquer à tout matériel, quel qu’en soit la provenance – et pas seulement lointaine. D’autant que si on pense “obligation”, on voit mal comment, à notre niveau, on pourrait avoir un quelconque effet d’injonction efficace…

Données et développement durable. Une idée, ici, en a rejoint d’autres, allant toutes dans le sens d’une meilleure compréhension, par l’utilisateur lambda, de l’impact environnemental et/ou sociétal de ses choix et comportements d’usage. En l’occurrence: informer plus précisément et clairement sur les cycles de vie des produits numériques. Par exemple, l’espérance de vie d’un disque dur, d’une batterie… Mieux informer pour que l’usage se fasse plus responsable, pour prolonger la vie de l’engin tout en maintenant ses performances.

Favoriser des pratiques-réflexe grâce auxquelles les données non pertinentes à l’usage soient automatiquement éliminées. Réduire la consommation aléatoires de données.

 

Plus ambitieux et nettement plus difficile à concrétiser… boucler cette boucle qui se veut vertueuse en faisant remonter les informations sur les comportements (et améliorations ou changements de comportements) des usagers vers les fabricants afin qu’ils adaptent leur offre auxdits comportements !

Résilience et souveraineté

Question générale donnée en pâture aux DW Champions: “Quel cadre d’action numérique pour l’autonomie de notre territoire?” A nouveau avec déclinaison en trois sous-thèmes: gouvernance de l’espace public, continuité de services et confiance numérique, données et territoire.

Gouvernance de l’espace public. Des capteurs qui se multiplient à rythme effréné… Déployés dans l’espace public par les acteurs publics (locaux ou non) mais aussi par des entreprises privées.

Mais que collectent-ils au juste? Dans quel but? Avec quelle pertinence?

Et si on mettait en oeuvre un cadre “éthique”, des règles, des moyens de contrôle afin d’éviter que les données de tous et toutes soient collectées sauvagement, sans respect aucun, sans raison (ou presque), à l’insu de notre plein gré et en dépit du bon sens?

“Il faut limiter les pratiques d’innovation sauvage et de privatisation de l’espace public par les plates-formes captant la donnée et ne prenant pas en compte les politiques publiques.”

 

Cette “charte éthique”, destinée et devant être respectée par les acteurs publics, serait un “canevas sur lequel d’autres surveillances de services, fournis cette fois par des acteurs privés, pourraient venir se plugger…”

L’objectif: “limiter les pratiques d’innovation sauvage et de privatisation de l’espace public par les plates-formes captant la donnée et ne prenant pas en compte les politiques publiques ; empêcher la surveillance de masse rendue possible par les dispositifs Internet des Objets et l’Intelligence artificielle, empêcher la logique intrusive et punitive, le détournement des services au détriment du citoyen.”

Une charte à elle seule serait largement insuffisante. Ici encore, l’accent a été mis sur la nécessité d’informer et de former davantage – aussi bien les citoyens que les instances publiques -, d’adapter le cadre législatif et/ou réglementaire, introduire des clauses pertinentes dans les marchés publics…

Continuité de services et confiance numérique. En jeu, notamment, la sécurisation des systèmes et solutions, en ce compris et tout particulièrement ceux mis en oeuvre par les pouvoirs publics qui, on le sait, on souvent quelques guerres de retard sur les potentiels technologiques. Or, estimaient les participants à la réflexion, “de grandes divergences dans les niveaux de sécurité des systèmes engendrent et alimentent des perceptions négatives, la méfiance [du citoyen]”. Méfiance, d’ailleurs, qui est parfois justifiée…

Recettes préconisées? Mieux former les usagers, généraliser le principe d’audit et d’analyse de risques, constituer une réserve de formateurs en sécurité, mettre en oeuvre des “crash-tests” pour valider la robustesse des services numériques proposés…

Données et territoire. Un constat: la Wallonie (mais est-ce différent à l’échelon belge?) n’a “pas de vision stratégique globale sur la souveraineté des données publiques, ce qui freine le développement d’applications et l’utilisation des open data.” Des applications qui aient quelque chance d’être viables et compétitives…