En décembre, l’accélérateur SpielFabrique, le réseau d’investisseurs Media Deals et le ministère allemand des Transports et des Infrastructures numériques BMVI organisaient une conférence (en virtuel) sur le thème du financement de l’industrie des jeux vidéo.
Ce fut l’occasion de présenter et de commenter les résultats d’une enquête internationale conduite en 2021 par l’accélérateur SpielFabrique et Media Deals auprès de studios de développement de jeux “de moyenne envergure” en Allemagne, en Suède, en Finlande et au Danemark. Objet: les besoins et modèles de financement (public et/ou privé) des studios de gaming européens.
Principaux problèmes rencontrés: financement de nouveaux projets ; épuisement des réserves financières avant la finalisation d’un projet ; départ de collaborateurs.
Parmi les principales conclusions tirées de l’enquête:
– Selon leur “profil”, les investisseurs interviennent à différents stades de l’existence d’un studio: “le secteur public intervient davantage pendant la phase de démarrage d’un studio de jeu tandis que les éditeurs se manifestent lorsqu’il atteint une certaine maturité. Quant aux banques, il reste difficile de les convaincre d’investir de l’argent dans le gaming” (voir ci-dessous pour plus de détails).
– “La plupart des financements publics sont orientés projet”, autrement dit sont liés à un projet spécifique, ce qui ne garantit en rien la stabilité ou la continuité du studio et lui impose un important exercice d’identification de nouvelles sources pour les activités et projets futurs. “Une fois le budget épuisé ou le projet terminé, c’est reparti pour la chasse au financement. Et, parfois, cela se traduit par une fin de vie ou de graves difficultés pour le studio. Nombre de studios de développement, qui avaient un fort potentiel, ont ainsi disparu…”
– Les investissements privés (sociétés de capital-risque, fonds d’investissement privés, éditeurs), eux, financent davantage les studios en tant que tels.
– “Généralement, les éditeurs sont le principal investisseur pour de petits studios indépendants. La question se pose dès lors de savoir comment les éditeurs pourraient jouer un rôle plus important que celui qu’ils jouent actuellement. Par ailleurs, comment financer de meilleurs éditeurs?”
– Même lorsqu’ils sont disponibles, les financements sont considérés comme trop faibles “par comparaison aux sommes débloquées dans d’autres secteurs”. Les auteurs de l’étude recommandent donc “d’imaginer de nouveaux incitants pour renforcer l’attractivité du secteur du gaming et d’augmenter les opportunités d’exit et d’opérations de fusion et acquisition” (à noter toutefois que le phénomène d’acquisitions semble être en augmentation ces derniers temps).
– Manque de connaissances et de compétences financières de la part de l’équipe dirigeante et/ou des fondateurs, “avec, de surcroît, l’incapacité dans laquelle se trouvent les petits et moyens studios d’engager ce genre de profil”. D’où le besoin, identifié comme tel, de formations en gestion financière mais aussi d’un regain d’échange de bonnes pratiques et d’expériences entre studios.
– L’accès aux financements et capitaux est largement tributaire du “réseau personnel et de la capacité des dirigeants du studio à bien communiquer avec les investisseurs (ou les banques)”.
– Manque critique de préparation pour anticiper, faire face, voire éviter les situations de crise. Cette lacune concerne aussi l’aptitude des responsables à se projeter dans l’avenir et à planifier à moyen et long terme. D’où la nécessité, selon les auteurs de l’enquête, de “doter les studio d’aptitudes et d’outils de planification à long terme”.
Des besoins en compétences similaires au niveau local
Ce besoin en formation (compétences financières, aptitudes à la négociation et à la planification à long terme) est également un constat posé au niveau local.
De manière plus spécifique, compte tenu des particularités du marché des acteurs wallons du gaming, Jean Gréban, coordinateur de l’association Walga (Wallonia game developers association), pointe deux besoins ou lacunes majeures. D’une part, des individus capables d’endosser le rôle de “producteur”, “qui englobe la notion de gestion de projet, de gestion à long terme, de planification, ou encore de recrutement de talents dans les différentes fonctions nécessaires au développement d’un jeu”.
Autre profil lacunaire: celui de “business developer”, capable de “gérer efficacement tous les aspects et étapes d’un appel à projets, de négocier avec les éditeurs, de coordonner les actions marketing, d’être un interlocuteur valable et efficace pour les agences de marketing qui, souvent, promettent monts et merveilles sans toujours délivrer…”
Des formations pour ce genre de compétences font encore défaut, côté francophone – que ce soit à Bruxelles ou en Wallonie. De nouvelles perspectives semblent toutefois se dessiner, souligne Jean Gréban. Notamment via la création d’un master en développement de jeux à la Haute Ecole Albert Jacquard à Namur, “qui inclura ces dimensions de producteur et de business development. Les programmes de bachelier préexistants [game art, game animation…) formeront en quelque sorte la main d’oeuvre qualifiée pour les développements. Le master servira pour une démarche plus entrepreneuriale…”
L’intention (ou l’espoir) est par ailleurs de ne pas limiter ce niveau de formations à la seule HE Albert Jacquard mais d’en faire bénéficier, d’une manière ou d’une autre, toutes les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles ayant une section dédiée aux jeux. Une approche en mode synergie est ainsi à l’oeuvre afin qu’un acteur wallon tel que Fishing Cactus, qui assure déjà des formations dans le cadre des Centres de compétences wallons (TechnicITé et consorts) puisse également intervenir à Bruxelles…
Financement bancaire: les prémices?
Même si elles commencent à s’y “aventurer” et si certaines ont même créé un département pour s’en occuper, les banques ne figurent encore qu’anecdotiquement parmi les sources de financement des créateurs de jeux (vidéo, sérieux…).
A l’échelle européenne, seulement 4% du financement est d’origine bancaire. Lors de la conférence organisée par SpielFabrique, plusieurs acteurs ont ainsi confirmé qu’aux yeux des banques, le secteur du gaming reste considéré comme une “niche” – en termes d’opportunité d’investissement et de rentabilisation des investissements. “Au mieux, on considère les acteurs du gaming comme des PME, dès lors peu intéressants et peu porteurs. Le gaming reste associé à l’image de loisirs, de pas sérieux…”
Même si la progression du secteur et les sommes assez plantureuses qu’il attire commencent à changer le regard des banques, et même si certaines commencent à s’y intéresser, elles restent encore souvent confrontées à d’autres obstacles. Notamment une méconnaissance du secteur, une difficulté à appréhender et à demeurer au courant des “modèles qui évoluent vite et des positionnements eux aussi marqués par des changements rapides, que l’on parle de type de jeux, de technologies ou de plates-formes”.
Conclusion: même s’il est devenu plus facile pour les décideurs bancaires d’évaluer (voire de prévoir) l’évolution des revenus d’un studio ou d’un prestataire de services (des outils tels que App Annie et SensorTower les y aident), “évaluer le risque demeure toujours un défi, même s’il devient plus prévisible”.
L’un des participants à la conférence, collaborateur de BPI France, soulignait par ailleurs que “si les banques s’intéressent désormais davantage au financement de studios de développement de jeux, c’est aussi parce que la maturité financière des fondateurs a progressé et que les créateurs sont désormais plus funding driven.”
A ses yeux, le secteur du gaming a souffert et continue encore de souffrir, mais dans une moindre mesure, d’un double problème convergent: “un problème de génération du côté des fondateurs [de studios] et un problème de génération du côté des décideurs bancaires”. [ Retour au texte ]
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