[ Dossier Métavers ] – Nouveaux métiers, nouveaux jeux de compétences

Hors-cadre
Par · 03/06/2022

Comme à chaque étape ou évolution technologique, on constate immanquablement un changement plus ou moins profond, plus ou moins large, de l’éventail des métiers et des compétences. A la fois pour créer en s’appuyant sur ces technologies et pour les assimiler dans le quotidien – qu’il soit professionnel ou privé.

Le métavers, même s’il s’appuie dans une large mesure sur des technologies déjà existantes, n’échappera pas à la règle. De nouveaux métiers vont faire leur apparition, d’autres vont être plus ou moins impactés. Des compétences nouvelles ou additionnelles vont devoir être enseignées et acquises.

Notamment du côté des concepteurs et développeurs. Des concepteurs qui, dans une certaine mesure, devront un peu être des couteaux suisses, pouvant allier aptitudes purement technologiques et aptitude à intégrer des doses plus ou moins importantes d’inventivité narrative, prendre en compte des modalités d’interaction, des impératifs de convivialité et d’efficacité des interfaces, avec un (gros) zeste d’attention portée à la sécurité et à la gestion des données (signaux forts et signaux faibles).

Ce qui ne veut pas forcément dire que chaque développeur ou créateur devra maîtriser toutes les compétences. Impossible d’ailleurs. Il faudra donc aussi démontrer une aptitude à collaborer entre plusieurs spécialités, en travaillant par projet. “Hyper-spécialiser les jeunes serait tuer le talent. Il faut travailler sur l’ensemble de la chaîne des compétences”, soulignait un intervenant français, venu d’une école qui actuellement forme de futurs développeurs de jeux vidéo interactifs, à l’occasion d’une conférence de Cap Digital.

S’adapter sans cesse

Le même intervenant expliquait que “les métiers seront très nouveaux dans la mesure où ils s’appuieront sur de nouveaux procédés de production dans des univers immersifs, nouveaux lieux d’expression. Il faut dès lors, dès à présent, former les apprenants à des dimensions telles que la médiation culturelle ou, comme nous le faisons déjà, apprendre à nos étudiants à travailler sur des scénarios concrets tells que la préparation pré-anesthésiste d’un patient.

L’enseignement du métavers

Preuve de l’intérêt ou de la curiosité dont les professionnels, notamment, font preuve vis-à-vis du phénomène métavers, les formations et événements orientés apprentissage se multiplient. Capgemini, par exemple, en organise deux sessions d’ici la fin de l’année à Paris.

Les sites de formations en-ligne et MOOC s’y mettent également. Exemple parmi d’autres, la Realm Academy qui propose un cycle de cours en-ligne au sujet des métavers et des NFT (caractéristiques et composantes du Web 3, token-économie, blockchain, infrastructure crypto…).

Tout le monde, par ailleurs, ne possède pas forcément tous les talents de création nécessaires, pour créer une histoire, une narration…

Vendre des NFT en en tirant un bon prix n’est pas à la portée de tout un chacun. Il faut une bonne dose de créativité convaincante. La vocation d’une école reste de former des créatifs, pour faire rêver le monde – qu’il soit réel ou virtualisé.

Le plus important est la qualité des contenus et l’existence d’une audience qui soit prête à payer pour ce qu’on lui propose.”

A l’avenir, les développeurs et créateurs devront pouvoir créer pour de multiples univers, peu ou prou interopérables et compatibles. 

L’adaptabilité d’une même personne est également considérée comme une vertu plus que jamais nécessaire par Hervé Verloes, co-fondateur du studio belge de production virtuelle Magic Loom. “C’est avant tout une question de développement personnel, de faculté à se mettre constamment à la page. Mon conseil est toujours de dire : Passez vos nuits sur YouTube. C’est là que sont les professionnels. Ils vous montrent leurs trucs et astuces. 

Si des jeunes sont bien formés en 3D, s’ils ont l’esprit ouvert, ils apprendront bien par la suite. Les débouchés sont multiples.”

Nouveaux métiers

Il n’en reste pas moins qu’on assistera immanquablement à un renouveau des métiers, des fonctions et des registres de compétences.

Prenons l’exemple de la modération des contenus, des interactions et des comportements dans le métavers. Déjà épineuse quand il s’agit de juger de la nature d’un commentaire laissé sur un site ou d’un message publié sur les réseaux sociaux, la question de la modération deviendra nettement plus complexe encore dans le métavers.

Il y a la “modération”, la surveillance des comportements et des éléments de langage dans les échanges et propos que tiendront des individus avatarisés dans divers contextes – avec décisions à prendre en temps réel ou a posteriori. 

Source: Interface3.

Il y a aussi l’évaluation de la pertinence de certaines décisions qui seraient guidées ou prises par des algorithmes intervenant par exemple dans des simulations immersives à des fins de formation.

“Dans certains contextes, par exemple la formation d’un médecin, d’un pompier…, la simulation confiée à l’intelligence artificielle permet aux algorithmes d’adapter en temps réel l’enchaînement des défis proposés à l’apprenant”, explique notamment Matei Mancas, fondateur de la start-up montoise Ittention, et chercheur à l’ISIA Lab de l’Institut Numediart de l’UMons. 

“Si l’IA constate par exemple que l’apprenant répond très aisément à une question ou à une mise en situation, que le geste est trop simple pour lui, l’IA peut complexifier la situation, pour ajouter des éléments de stress supplémentaires, par exemple.

Dans certains cas, il ne sera pas bon de laisser la décision à la seule discrétion de l’IA. “Seul le formateur humain peut décider, dans certains cas, s’il est judicieux ou non de complexifier l’exercice. Peut-être vaut-il mieux n’évoluer en degré de difficulté qu’à l’étape suivante. L’être humain doit alors pouvoir juger des propositions de l’IA. Ces propositions doivent par exemple s’afficher à l’écran pour validation.

Cela signifie que le métier de modérateur est susceptible d’évoluer profondément. De nouvelles expertises seront nécessaires.”

Expertises nouvelles, ou outils nouveaux. Mais la conception de nouveau outils de modération, qui soient efficaces sur des contenus aussi complexes et multi-formes que ce que l’on trouvera dans le métavers, sera un réel défi.

D’une manière plus large, les fonctions et métiers orientés éthique prendront, eux aussi, de nouvelles dimensions. Depuis les règles de conception d’un avatar jusqu’à l’exploitation des données, l’éthique sera en effet un enjeu majeur. Mais comment, là aussi, définir et imposer un cadre, des contraintes de type ethics by design? Christophe Herremans, fondateur de Vigo Universal et du centre de réalité virtuelle HollloH, n’y croit pas: “personne ne pourra imposer quoi que ce soit, sinon on verra immanquablement naître un métavers underground. Comme, aujourd’hui, n’importe qui peut aller sur le Dark Web… 

On peut certes interdire à une société de vendre un produit sur un marché mais on ne peut pas empêcher les gens de faire ce qu’ils veulent dès l’instant où on leur donne les outils pour le faire. On aura beau inventer des solutions, il y aura toujours quelqu’un pour être aussi inventif et contrecarrer dans la foulée. Ajoutez-ici la notion de VPN [virtual private network], synonyme de connexions anonymes… Les gens peuvent et pourront faire ce qu’ils veulent…”

Quels seront les futurs nouveaux métiers? Difficile de le prévoir. Bien entendu, il y aura les “créateurs” (avatars, scènes immersives, espaces de travail ou récréatifs, objets et artefacts en tous genres, infrastructures virtuo-urbaines, intérieurs à vivre…), ou encore les producteurs ou régisseurs d’événements de toutes natures – concerts, fêtes, expositions d’art, événements sportifs, tourisme, voyage, conférences professionnelles…

Il aura aussi des gestionnaires ou agents de biens virtuels, des spécialistes du marketing immersif… Verra-t-on apparaître des rôles de guides, de coachs pour métavers? On sait que certains influenceurs ont déjà ajouté une corde à leur arc pour évoluer et interagir à partir de représentations virtuelles de ce qu’ils sont réellement, derrière leur écran et leur casque immersif…

Plus étonnant peut-être, certains parlent déjà de métiers d’archivistes ou d’historiens du métavers, “pour garder la trace de tous les éléments fondateurs de la méta-culture”.

Sans parler de gestionnaires de communautés, chargés de créer des relations et des interactions solides, en-ligne et hors-ligne, afin de renforcer l’engagement et l’adhésion à la plate-forme…

Pénurie et guerre des talents

Comme ce fut souvent le cas par le passé et comme on le voit encore aujourd’hui avec la chasse aux talents dans le domaine de l’Intelligence Artificielle et du 3D, le danger est que les majors – les GAFAM mais aussi les acteurs dont l’envergure se situe un cran en-dessous – monopolisent les ressources de talents européens. Meta a déjà avancé son chiffre: 10.000 recrutements en Europe dans les années qui viennent pour concevoir et peupler ses solutions métavers. Ce qui risque d’assécher la réserve de compétences.

Qu’est-ce que cela présage pour tout acteur européen qui voudrait se lancer dans la constitution d’un “métayers européen”? Ou même pour les entreprises locales qui voudraient implémenter des solutions et services tenant du métavers?

“C’est là quelque chose qui, dès à présent, inquiète profondément les entreprises qui envisagent de faire quelque chose en la matière, ou, plus simplement, avec les technologies VR et XR”, déclare Alain Gallez, président d’Image&3D Europe, notamment organisateur de l’événement VR Stereopsia et cheville ouvrière de XR4Europe.

“Elles ont déjà des difficultés à trouver des collaborateurs, des compétences. Qu’est-ce que ce sera si Meta ou d’autres acteurs viennent encore assécher davantage le vivier des compétences? Qu’est-ce que cela augure pour la capacité qu’auraient nos propres sociétés de développement d’applications à développer des solutions virtuelles?”

Cette interrogation, inquiète, se retrouve tout naturellement du côté des développeurs locaux d’outils, de contenus… “Le problème de la pénurie de compétences est de nature internationale mais est plus particulièrement aiguë en Belgique”, déclare Hervé Verloes (Magic Loom). “On manque de gens capables de travailler à des développements sur base, notamment, des moteurs de jeux, du genre Unreal [Epic Games]. Trouver ce genre de profil chez nous est compliqué. L’écosystème n’est pas adapté. Et cela commence par l’enseignement où trop peu de professeurs sont formés à ces moteurs de jeu. Moins de formateurs donc forcément moins de formés.

S’y ajoute le désavantage concurrentiel des salaires. Pour une start-up comme nous, il est compliqué de faire face aux prétentions salariales des quelques talents disponibles”. Talents qui trouvent des offres nettement plus alléchantes auprès des grands noms. 

Pour aggraver encore le problème, “les prétentions salariales de nombreux profils locaux ne se justifient pas par leurs capacités réelles. Souvent, ils ne disposent pas des compétences nécessaires et on est obligé de les former à nos frais pendant six mois…”

Il enfonce également le clou de l’inadéquation des formations. “Les structures éducatives sont lentes, peu souples, peu agiles. Elles forment les futurs professionnels à des choses qui étaient utiles il y a de ça 15 ans. Or, le marché évolue tous les six mois…”

Petite lueur d’espoir, selon lui. Les choses bougent du côté du Hainaut [avec une volonté de miser sur le 3D, la XR]. Mais l’effort ne devrait pas se limiter à ce seul territoire. “On devrait penser national, sans se sentir insulté chaque fois que l’on parle d’une approche trans-régionale…”

La boucle à boucler

La boucle à boucler est bien connue: sensibiliser, attirer vers les métiers et l’acquisition de compétences, former, spécialiser, retenir les talents sur la scène locale plutôt que de les voir captés quasi systématiquement par de gros acteurs (essentiellement américains jusqu’ici). Et pour cela, il faut revaloriser les opportunités, faire en sorte que, du côté des entreprises, notamment, il y ait un appétit et des projets pour ce genre de talents, susciter la naissance de davantage d’acteurs présents sur ce terrain et ayant donc besoin de compétences… Cercle vertueux, cercle vicieux.