Le référentiel européen DigComp répertorie et détaille 21 compétences-clé en matière de numérique.
Fin 2018, Agoria publiait les résultats d’une vaste étude de marché (“Be the Change”), effectuée avec le cabinet Roland Berger, afin de faire le point sur la situation et les perspectives du marché belge du travail jusqu’en 2030 à la lumière de l’impact qu’auront – sur les métiers, les compétences et l’emploi – les processus d’automatisation, de robotisation, de numérisation et de déploiement de solutions d’intelligence artificielle.
Perte et création d’emplois, évolution du marché, postes vacants, chômage, écart entre offre et demande de compétences numériques étaient ainsi traduits en chiffres et prévisions. Relire notre article de l’époque ainsi que le dossier que nous avons consacré à la problématique des compétences (type, besoins et déficit).
Poser un constat et dégainer des chiffres et prédictions est une chose. Agir en est une autre.
Qu’a fait par exemple Agoria depuis un an? Des actions ont-elles été prises? Nous avons récemment posé la question à Dominique Demonté, directeur d’Agoria Wallonie.
Pousser les entreprises à l’action
Première initiative d’Agoria: l’élaboration d’une “charte d’engagement” que la fédération de l’industrie technologique propose à ses membres de signer. S’engager à quoi? A “préparer et adapter leurs employés aux exigences du marché du travail de demain.”
L’objectif est d’inciter les entreprises à choisir dans une liste de 9 mesures possibles celle(s) qu’elles s’engagent à mettre en oeuvre. Au bout d’un an et un petit “audit” par Agoria vérifiant si l’engagement a été tenu, l’entreprise pourra alors décrocher le label “Employer ready for the future of work”.
Exemples de mesures et d’engagements? Dresser la liste des compétences numériques essentielles pour la stratégie de l’entreprise et préciser le degré de transition des profils ; identifier 10 compétences numériques clé parmi celles que répertorie le Digital Skills Indicator ; organiser des formations technologiques en-ligne ; accueillir davantage de jeunes pour des stages…
“Jusqu’ici, la mesure qui rencontre le plus de succès est celle d’un scanning des compétences actuelles des employés et du delta à combler”, indique Dominique Demonté. Pour cette évaluation, les entreprises pourront, sans doute d’ici quelques mois, faire appel à un outil que le Forem et l’AdN notamment sont en train d’élaborer.
Cet outil est actuellement en phase de test-pilote auprès de quelques entreprises – Safran, John Cockerill (ex-CMI), Fabricom…
Dans un deuxième temps et en parallèle, Agoria se donne pour mission de “coordonner les différentes initiatives lancées par les différents opérateurs actifs sur le terrain de l’emploi et de la formation, notamment les Centres de compétences.
Le but est de structurer les actions et d’éviter qu’il n’y ait des carences ou des redondances dans l’offre d’accompagnement et de formation aux compétences numériques. Il s’agira par ailleurs de vérifier la corrélation entre l’offre et les outils de formation ou de remise à niveau et le référentiel de compétences numériques DigComp.
“Le but sera d’aider les entreprises à procéder à l’évaluation de leurs besoins et à identifier les formations nécessaires pour combler les lacunes.”
Aux yeux de Dominique Demonté, c’est aux autorités régionales qu’il revient toutefois de veiller à “préserver la cohérence de l’approche collective”, de mettre à disposition et de (co-)financer les outils d’assistance et d’accompagnement des entreprises afin de mettre les actions en oeuvre.
L’éternel chantier (de l’attractivité) des STEM
Un autre axe sur lequel intervenir, selon le directeur d’Agoria Wallonie, se situe plus en amont, au niveau de la formation des jeunes et de la promotion des études STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques).
“Nous pouvons certes mettre en oeuvre une approche préventive et curative [Ndlr: mise à niveau des compétences des personnes actives] mais il faut aussi alimenter le pipeline. Voilà pourquoi, avec l’UWE et d’autres fédérations, nous demandons par exemple la création d’un centre de didactique et de méthodologie.
Dominique Demonté (Agoria Wallonie): “En parallèle, il faut passer à la vitesse supérieure en matière de formation en alternance, dans le numérique comme ailleurs. Le fait que cette notion soit réaffirmée dans la Déclaration de Politique Régionale est un bon signal.”
Il faut créer un label STEM. On dénombre en effet environ 80 initiatives dans ce domaine mais elles sont fragmentées et manquent de visibilité. Les différentes structures [organismes de formation] doivent échanger, partager leurs méthodologies. Et, par ailleurs, faire monter les entreprises à bord, sans oublier les syndicats qui sont, tout comme les fédérations, des partenaires intéressants. Certes, certaines structures le font déjà mais, ici encore, chacun agit dans son coin…”
Attirer vers et former aux STEM est à la fois une priorité et un échec dont on parle depuis longtemps. De même, la pénurie en profils IT et/ou numérique est une antienne bien connue.
Le recette, apparemment, n’a pas encore été trouvée. Faut-il transformer radicalement l’approche?
“On n’a pas encore épuisé tout le potentiel de renouvellement qui existe en la matière. Il y a encore place pour des ajustements avant de conclure à l’échec. Il faut travailler de manière incrémentale mais il ne faut pas attendre, pour agir, que l’idée révolutionnaire surgisse. Les premières idées sont rarement les bonnes… [sous-entendu: doivent donc être peaufinées]
La première chose à faire est d’identifier les filières, d’accentuer le lien avec les entreprises et leur implication. Par ailleurs, de nombreux initiatives intéressantes existent mais n’ont pas la taille suffisante pour être efficace.
Agir sur plusieurs fronts
Une autre piste pour faire face au manque de profils est celle de l’importation “intelligente” de compétences [via la promotion d’une sorte d’immigration choisie].
Il faut s’attaquer au problème sur plusieurs fronts. D’autant plus que la pénurie des profils va s’accentuer. Il faut un plan d’attaque global. La Région doit mettre en place une vraie stratégie, de concert avec des acteurs tels qu’Agoria, l’UWE, d’autres fédérations professionnelles. Voir à cet égard, dans l’encadré en fin d’article, quelques petites déclarations récentes de Willy Borsus, ministre de l’Economie et du Numérique.
Dès l’instant où cette stratégie est définie, si la Région identifie quelques secteurs forts, on peut alors combiner promotion des STEM à l’école, upskilling et apport extérieur, par exemple en allant pêcher un millier d’étudiants diplômés aux Etats-Unis…
Dominique Demonté (Agoria Wallonie): “Il ne s’agit pas de diminuer les lieux d’implantation mais de fusionner les stratégies et de développer une méthodologie commune.”
Dominique Demonté milite donc pour une collaboration plus étroite, concertée et cohérente entre tous les acteurs. “En matière de formations et d’upskilling, tout le monde doit intervenir. Pas uniquement les centres de compétences mais aussi des acteurs tels que BeCode.”
Mais il pointe aussi ce qui, à ses yeux, représente des écueils potentiels. D’une part, le grand nombre de centres de compétences. “On en dénombre une vingtaine en Wallonie. Peut-être faudrait-il rationaliser, diminuer leur nombre pour obtenir des structures plus fortes, qui soient structurées autour des bassins de vie, bien insérées dans le tissu économique.
Il faut faire des choix, éviter que chaque centre de compétences régional réinvente la roue et les méthodologies… Il ne s’agit pas de diminuer les lieux d’implantation mais de fusionner les stratégies et de développer une méthodologie commune.
Des liens plus étroits doivent également être noués avec les structures d’enseignement via des instances de bassins et des structures telles que Jobs@Skills” [l’incubateur de formations continues de Liège].
Du côté des initiatives venant du privé [BeCode et autres], Dominique Demonté met par ailleurs en garde contre les risques de “non continuité de leur modèle économique”. Il s’agit, selon lui, de tendre à la pérennisation, via mise à l’échelle. Avec un rôle réservé, dans ce domaine, à l’acteur public.”
Qu’en pense-t-on du côté du gouvernement?
Pour une série de choses, de choix et d’initiatives, la balle est donc (encore) dans le camp du gouvernement.
Lors de son intervention à la conférence ““Réinventer les métiers à l’ère du numérique” qu’organisait récemment NRB, en collaboration avec Agoria et l’AdN, le ministre Willy Borsus alignait quelques-uns des élément qui détermineront sans doute certaines décisions futures. En vrac…
”Pour ce qui est du rôle du public [et du gouvernement], la priorité est de sensibiliser l’ensemble des entreprises aux enjeux, potentiels et à l’actualisation des compétences numériques.” Selon lui il faut notamment faire attention à ce que des disparités ne s’installent entre secteurs et se concentrer sur les entreprises qui, moins soumises à la pression de la concurrence, ne s’engage pas dans la voie de l’économie numérique.
“A notre niveau [gouvernemental], l’enjeu est d’être aux côtés des entreprises, de déterminer ce qui manque encore dans le panel de l’offre d’outils, déterminer là où elle est mal articulée, repositionner les opérateurs…”
“La pénurie de compétences numériques que prévoit l’étude Be the Change ne se résoudra pas uniquement en attirant davantage de jeunes vers des métiers et carrières numériques ou en formant et qualifiant les demandeurs d’emploi. Une importante composante demeure la population active [dont il faut garantir la mise à niveau] Il faut créer une dynamique, via de nouveaux outils de formation continue et un soutien aux fédérations sectorielles.
Il faut également susciter davantage de transversalité, compte tenu de l’évolution des secteurs [et des compétences disparates à maîtriser].”
“Il subsiste trop de problèmes de “lisibilité” des dispositifs d’accompagnement. Trop de possibilités a un effet diluant. Il faut également mieux mesurer le réel effet de levier qu’ont les structures et programmes existants, mieux identifier les mesures ayant un effet déclencheur.”
Au sujet de l’attractivité (ou du manque d’attractivité) des études STEM: “On ne répond pas à un problème complexe avec une réponse simple. Il faut un faisceau d’actions.” Parmi les moyens ou idées de solution qui semblent lui tenir à coeur: “rapprocher et faire découvrir les entreprises aux jeunes, en organisant davantage de stages, en multipliant les contacts en cours de formation.
Il faut également mieux faire comprendre le sens de certains métiers.”
S’il est contre le fait d’imposer aux jeunes de s’orienter vers des études menant à des métiers en pénurie [un discours qu’on a pu entendre dans la bouche de son prédécesseur au poste de ministre de l’Economie – Pierre-Yves Jeholet, pour ne pas le citer], il est par contre partisan d’une information plus affirmée via des tests d’orientation à l’heure des choix d’études universitaires. [ Retour au texte ]
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