Suite de notre article “Ceux qui ont réussi se racontent”. Lors de la conférence organisée par le forum Digiwal, outre François Van Uffelen de Babelway, deux autres entrepreneurs IT locaux étaient venu expliquer quels leviers de croissance ils avaient mis en oeuvre pour conduire leur société à la réussite, en ce compris à l’international. Voici les témoignages de Nicolas Bonmariage (BSB) et de Tanguy Detroz (Dapesco).
Nicolas Bonmariage (BSB): “Il s’agit avant tout d’y croire”
Créé en 1995, BSB est un éditeur de solutions de gestion dédiées au secteur de la finance et de l’assurance (Soliam, Solife).
Nicolas Bonmariage (BSB): “Il faut se battre, le couteau entre les dents, sur chaque contrat. L’attitude doit avant tout d’être d’y croire.”
La société a connu un tassement de ses activités vers 2007. Pour passer ce cap difficile, elle s’est restructurée pour assurer sa croissance à l’international. “Nous avons voulu rendre la société scalable afin de pouvoir desservir les grands projets”, explique Nicolas Bonmariage, responsable de la stratégie produit et membre du comité exécutif de BSB. “Pour ce faire, nous avons industrialisé les processus de développement des logiciels, fait en sorte d’avoir des relations structurées avec nos clients, développé une méthodologie réplicable.”
Sa présence à l’international passe par des partenaires mais uniquement pour assurer les services d’implémentation. “Nos produits étant des logiciels métier spécifiques, destinés aux banques et aux compagnies d’assurances, nous les vendons en direct mais l’implémentation nécessite d’intégrer la culture locale. De même, impliquer des intervenants locaux est important d’un point de vue coûts. Les tarifs d’implémentation pratiqués par des acteurs belges ne sont absolument pas compétitifs en Europe de l’Est par exemple…”
Les conditions de croissance
Aux yeux de Nicolas Bonmariage, ce qui permet avant tout à une société d’initier et de conserver une dynamique de croissance réside en partie dans sa combativité: “Nous devons en effet faire face à des concurrents étrangers de taille, qui ont des moyens colossaux- qu’ils viennent des Etats-Unis ou de Chine. Il faut se battre, le couteau entre les dents, sur chaque contrat. L’attitude doit avant tout d’être d’y croire: la direction mais aussi tous les niveaux de la société doivent se battre jusqu’au bout.”
Plus = mieux ?
La question de la taille de l’entreprise prend de nouvelles connotations pour BSB. La preuve en a déjà été faite par le passé, lorsqu’il a fallu donner un coup de fouet aux activités, vers 2007, mais la règle demeure valable aujourd’hui. “Nous vendons des systèmes qui sont critiques pour les activités des institutions financières qui, elles-mêmes, après les problèmes de ces dernières années, sont aujourd’hui entrées dans une phase d’investissement très contrôlée, qui concernent par ailleurs des investissements à long terme. Dans un tel contexte, nous devons croître, non pour le plaisir de croître mais nous devons continuer à vendre et à amplifier notre stature parce que nos clients recherchent un acteur qui puisse donner toutes les garanties de maintien sur le marché à long terme, qui soit là à leurs côtés pour longtemps… La taille de nos concurrents devient de plus en plus importante. Dans l’état actuel des choses, nous-même rentrons tout juste dans les critères d’éligibilité [pour entrer en ligne de compte dans des appels d’offres]. Nous devrons donc à l’avenir rechercher une croissance autre que purement organique, avec les moyens de financement que cela suppose.”
Tanguy Detroz (Dapesco): abattre les barrières mentales
Spécialiste en conseils et solutions de gestion et de suivi de consommation énergétique (énergie, eau…), Dapesco a été créée en 2002. Elle a su convaincre de gros clients internationaux, tels Lafarge ou Ikea, et compte désormais 2.000 clients dans environ 50 pays. Preuve qu’une petite société wallonne peut réussir à convaincre de grandes marques.
Aux yeux de Tanguy Detroz, fondateur de la société, davantage de sociétés locales pourraient y parvenir à condition que l’on combatte un certain nombre de travers et que l’on écarte une série d’obstacles parfois solidement ancrés dans les habitudes ou les comportements.
Trois conditions (entre autres) pour un “eldorado wallon”
La première chose à éradiquer le plus vite possible aux yeux de Tanguy Detroz est de se morfondre ou de se contenter des discours du genre “on n’y arrivera pas parce qu’on n’a pas les moyens”. Les sociétés wallonnes “ne sont pas plus bêtes que les autres”, déclarait-il. “Il faut d’abord y croire. Ce n’est pas parce qu’on ne connaît pas Louvain-la-Neuve [où est implantée la société] à l’étranger qu’on ne peut pas s’imposer tout simplement par la qualité du produit.”
Tanguy Detroz (Dapesco): “Nous venons de définir un plan de croissance à 5 ans qui devrait décupler notre taille. Notre marché le permet, vu les besoins colossaux en économies d’énergie. Reste à trouver des partenaires financiers pour nous donner les moyens de cette croissance…”
Abattre les barrières mentales est, selon lui, un pas préliminaire plus que nécessaire. La “culture” de l’entrepreneuriat et du succès s’imposerait aussi plus aisément si on ne considérait pas souvent comme suspecte une réussite sortant peu ou prou de l’ordinaire.
Deuxième nécessité: éradiquer ce qu’il appelle les hypocrisies politiciennes, l’incohérence des politiques, la multiplication des organismes et des strates de régulation. “Multiplier les écochèques et autres choses du genre ne permet pas de prendre le problème à la source. Cela ne fait qu’ajouter une couche [à la complexité].”
Troisième condition: faciliter l’accès aux investissements. Pendant tout le temps où Dapesco a cherché et trouvé difficilement quelque 320.000 euros de capital (en deux tours de table), une petite start-up américaine, qui s’est lancée 5 ans après Dapesco, a récolté… 65,5 millions de dollars en trois levées de fonds. “J’aime bien courir vite mais si je ne trouve pas les moyens… Je ne les cherche d’ailleurs pas en Wallonie.” Trop de portes sont restées fermées. “Les refus sont souvent expliqués par des arguments qui sont parfaitement contradictoires avec ce que nous avons déjà prouvé à l’international.”
Il regrette par exemple que les aides du Plan Marshall n’aient pas suffisamment percolé jusqu’aux PME. “Une majorité des fonds sont allés aux universités. Je ne le critique pas en tant que tel mais cela signifie que les effets se feront sentir dans 10 ou 15 ans. Une autre partie des moyens ont pris la direction de grands acteurs- GSK et consorts- déjà bien implantés sur le marché. Les PME, elles, n’ont rien vu venir.”
Des obstacles objectifs
Il n’en demeure pas moins, selon Tanguy Detroz, que des obstacles bien réels subsistent qui rendent la vie dure- voire impossible- aux entrepreneurs locaux. Cela n’étonnera personne qu’il ait par exemple pointé la lourdeur des procédures et démarches. Pour ce qui est de l’étroitesse du marché, impossible bien entendu de la nier mais, souligne-t-il, il faut la transformer en avantage: “le marché wallon est trop petit pour assurer à lui seul la survie d’une entreprise mais nous avons toujours considéré la région comme un labo de R&D. Les clients, on les a trouvés à l’international [Ndlr: la société réalise plus de 50% de son chiffre d’affaires à l’international et même entre 60 et 80% si on ne considère que la seule vente de licences logicielles]. Etre une société issue d’un petit pays a en fait ses avantages. Là où des concurrents français, par exemple, sûrs de leur marché, développent des solutions franco-françaises- et la même chose se produit en Allemagne-, nous avons d’emblée conçu un logiciel que nous pouvions vendre à l’international: un produit multilingue, pouvant prendre en compte les contraintes de plusieurs fuseaux horaires… Cela nous a permis de décrocher de gros clients internationaux que ne visent même pas nos concurrents.”
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