De par sa position de “chasseur de beaux projets” pouvant espérer retenir l’attention d’investisseurs privés ou business angels, Olivier de Wasseige, administrateur délégué du fonds d’investissement Internet Attitude, a un regard spécial sur les dossiers qui atterrissent dans la boîte aux lettres du fonds ou qui sont détectés au détour de divers contacts. L’ancienneté relative de ce fonds (bientôt 4 ans) et l’expérience acquise au contact des porteurs de projets lui permettent de poser certains constats, qui ne sont pas forcément enthousiastes (ceci est, à certains égards, un understatement) au sujet de la qualité de la “matière”. “Nous rencontrons beaucoup de dossiers de start-ups dont l’analyse de “traction” n’a pas été faite de manière suffisante.” Certes, le projet est beau et a parfois été applaudi par la communauté technologique. On a beaucoup investi dans le côté technicité du produit ou du concept mais qu’en est-il des produits délivrables, viables, attractifs pour le marché, s’interroge-t-il.
Les porteurs de projets pèchent également, à ses yeux, par deux travers – ou carences. D’une part, et c’est directement lié à ce qui précède, “les porteurs de projets n’ont pas toujours effectué une étude de marché sérieuse. Certains ne savent même pas qui sont leurs concurrents…” D’autre part, la manière dont la méthode lean est appliquée manque encore de rigueur. Notamment, et c’est à nouveau lié, “l’écoute du client (potentiel) devrait être l’un des premiers exercices auxquels se plier. Ce qui fait souvent défaut.”
Il y a là comme un besoin évident de mieux entourer les jeunes pousses prometteuses, de leur procurer, en phase initiale de lancement, un accompagnement plus rigoureux. “Les start-ups qui sortent par exemple de l’accélérateur Nest’Up correspondent parfois à de bons dossiers mais pas en termes de structuration. Peut-être le Lean Fund pourrait-il procurer une jointure intéressante” [sous-entendu: de relais de consolidation préparant à l’étape suivante des investissements d’amorçage et intervention de fonds tels qu’Internet Attitude].
Les pieds sur terre
Un projet, aussi beau ou sophistiqué soit-il en termes technologiques, doit aussi et avant tout être synonyme d’activité viable pour la start-up. Superbe lapalissade et évidence mais qui est loin de toujours se concrétiser dans les faits et dans la formulation des dossiers qui atterrissent sur la table du comité de sélection d’Internet Attitude (et on peut raisonnablement supposer que la chose est également vrai pour les autres fonds et investisseurs, privés ou publics).
Les embûches et faiblesses sont aussi nombreuses et variées que communément rencontrées. Olivier de Wasseige énumère un ensemble de points auxquels les jeunes pousses devraient faire davantage attention.
- Les compétences du ou des fondateurs: “ne pas oublier qu’il est difficile à un techie d’être aussi un bon commercial”. Par ailleurs, la recherche de ces compétences pour pallier à celles qui feraient défaut à l’équipe de départ n’est pas un long fleuve tranquille: “il est difficile de trouver de bons commerciaux, surtout trilingues, chez nous.” En la matière, la Wallonie est sensiblement défavorisée par rapport à Bruxelles ou à la Flandre.
- Toujours au rayon commercial, les jeunes pousses ne mettent pas suffisamment d’outils commerciaux en oeuvre. Et, de manière plus fondamentale, une réflexion fouillée sur le pricing, la “value for money” fait souvent défaut.
- L’un des paramètres sur lesquels l’attention et l’analyse doivent particulièrement se porter est le scénario de rentabilité, à court terme. “Les start-ups sont souvent confrontées à un problème de trésorerie induit par le modèle SaaS qui, à cet égard, peut être pervers”, prévient Olivier de Wasseige. Lancer une start-up implique en effet, très logiquement, de consentir un investissement de départ important qui ne pourra être récupéré de toute façon que sur le long terme. Or, les rentrées financières que permet le modèle SaaS (principe du paiement à l’usage) privent la jeune société de cash flow important. Non seulement, les rentrées immédiates sont minimisées mais l’arrivée à l’équilibre et le retour sur investissement sont ralentis. Et on ne parle même pas ici des projets qui reposent sur le lancement d’applis, proposées pour quelques cents, voire entièrement gratuites. Avec des modèles de “monétisation” qui doivent encore être peaufinés, validés, voire pour certains élaborés. Il n’est en effet pas rare de rencontrer des start-ups qui annoncent penser à ce genre de choses “après”…
Valorisation. Sujet sensible…
La valorisation demeure source de différend entre investisseurs et entrepreneurs. Les premiers estiment que les starters ont trop tendance à surestimer la valeur de la société. Un phénomène encore accentué, chez certains, par les chiffres mirobolants qui nous viennent parfois d’outre-Atlantique. “Les business plans souvent irréalistes, super-optimistes, impossibles à tenir.”
Les entrepreneurs, eux, jugent que les investisseurs se ménagent une trop grosse part du gâteau. Question de perspective, d’évaluation des qualités et potentiels intrinsèques non seulement de la société et de son produit (ou service) en tant que tels mais aussi et surtout de la validité et pertinence du modèle économique qui a été défini.
Les raisonnements devraient donc évoluer, et, éventuellement, de nouveaux mécanismes être mis en oeuvre. “Si un business plan aboutit à un succès, on peut envisager un principe d’excess return par rapport au scénario imaginé au départ mais, du côté de l’investisseur, il faut bien pouvoir dire à l’entrepreneur qu’il ne croit pas que le business plan tel qu’il existe et sur lequel il base sa valorisation ne réussira pas…”
La valorisation demeure un différend fréquent, une source d’incompréhension, entre investisseurs et entrepreneurs. Trop irréaliste aux yeux des premiers. Trop faible et dérisoire aux yeux des seconds.
Problématique connexe: l’investissement – en argent et pas uniquement en temps, compétences et efforts – qu’un entrepreneur consent dans sa start-up. “On constate que les jeunes entrepreneurs, aujourd’hui, ne procèdent plus beaucoup à des emprunts pour financer la société qu’ils lancent.”
Avec comme conséquence qu’ayant moins de choses à perdre… ils ont parfois tendance à quitter le bateau prématurément. Soit quand se présentent les premières difficultés ou des obstacles imprévus. Soit que la start-up “ne donne pas ce qu’ils avaient espéré.”
Olivier de Wasseige: imaginer des mécanismes pour faire en sorte que les business plans soient plus réalistes et mieux respectés.
Le risque pris est donc nul ou quasi nul – notamment lorsque l’entrepreneur a trouvé un financement d’amorce qui lui permet de se rémunérer dans les premiers temps.
Pas de risque ou de pénalité personnelle et, dès lors, une plus grande volatilité. Ce qui pousse les investisseurs, désormais, à inclure de plus en plus une clause “bad leaver” dans le contrat.
En clair: si le fondateur quitte la société prématurément, sans avoir exécuté le business plan qu’il avait défini avec les investisseurs, il sera pénalisé, financièrement, en devant revendre ses parts à un prix moins intéressant.
Olivier de Wasseige dit avoir rencontré plusieurs cas de start-ups où “si le fondateur avait été plus raisonnable et rationnel et avait été prêt à espérer un return un peu moins élevé que prévu mais garanti sur le plus long terme, nous aurions sans doute donné une suite favorable à son dossier [de demande de financement].”
L’influence de l’entourage
Savoir s’entourer ne concerne pas uniquement l’équipe de la start-up et les conseillers et autres coachs qui peuvent éventuellement l’accompagner. Olivier de Wasseige met le doigt sur une autre faiblesse souvent rencontrée. Double faiblesse ou source de faiblesse, en fait.
D’une part, la composition de l’actionnariat. “Il est souvent très dispersé, avec nombre de petits investisseurs, des amis ou connaissances notamment, ayant injecté quelques centaines ou milliers d’euros.” Leur mise étant faible [toutes proportions gardées, bien entendu, par rapport aux moyens financiers de chacun], “il est moins grave pour eux de perdre 5.000 euros dans l’aventure que ce ne le serait pour quelqu’un ayant investi 100.000 euros. Il arrive souvent, lorsque l’investisseur conseille ou demande un pivot [changement de plan] et qu’il y a désaccord avec le fondateur sur la nature de ce pivot, que ces copains ayant investi modestement préfèrent donner raison au starter, tout simplement parce que c’est leur copain, plutôt qu’au professionnel qui veut faire le pivot. Il y a là un effet d’inertie dû au morcellement des parts. Une personne ayant injecté 100.000 euros aurait peut être écouté le professionnel…”
Autre source potentielle de faiblesse: la composition du conseil d’administration. Là encore parce qu’on y retrouve également souvent des amis des fondateurs “et fort peu d’indépendants.” D’une manière générale, qu’il s’agisse d’amis ou de personnes indépendantes intervenant parfois en dilettantes, Olivier de Wasseige déplore que leur implication manque souvent de rigueur et de substance. Ce dont, en finale, c’est bel et bien la start-up qui pâtit…
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