En début d’année, suite à la consultation de ses membres, Agoria Wallonie remettait une liste de 20 propositions au Ministre Marcourt dans l’espoir de les voir reprises dans le futur Plan numérique qui devrait sortir des limbes (et groupes de réflexion) au printemps.
Nous vous avions déjà énuméré certaines de ces idées et demandes sur base du texte publié – relire notre article “20 propositions du secteur IT wallon au ministre Marcourt”
Pour mieux comprendre les motivations et les arguments utilisés par Agoria, nous avons rencontré Baudouin Corlùy, directeur d’Agoria ICT, et Thierry Castagne, directeur général d’Agoria Wallonie.
Pourquoi 20 mesures? Par souci de concision, explique-t-on chez Agoria. “Le Master Plan TIC [dévoilé voici près de 3 ans par le Ministre Marcourt] était trop vaste” [sans parler d’un manque de balisage pratico-pratique et financier]. “Avec de tels plans, la moitié des mesures ne se concrétisent pas. Mieux vaut se concentrer sur 10 ou 20 actions-clé.”
Infrastructure, le défi des moyens
Parmi les lignes de force du document d’Agoria figure évidemment en très bonne place la modernisation (technologique) de l’industrie, de l’enseignement et de l’économie.
Ce n’est pas un hasard si l’une des toute premières demandes de la fédération de l’industrie technologique concerne la mise en oeuvre d’une infrastructure télécom performante.
Thierry Castagne: “Attention aux risques d’aggravation de la fracture et de l’isolement numériques de certaines régions.”
Baudouin Corlùy: “une infrastructure haut débit performante est indispensable pour développer de nouveaux services. Une mesure, telle celle de la taxe sur les antennes, est dès lors une décision malheureuse. Elle pousse les opérateurs à revoir leur stratégie d’investissement alors que l’équation couverture-rentabilité est déjà défavorable pour la Wallonie en raison de la typologie du terrain [zones peu peuplées + longues distances = couverture moins dense].
Une infrastructure haut débit performante doit être considérée comme un avantage sur lequel construire, pas comme un frein.”
Thierry Castagne confirme: “Il y a une contradiction entre, d’une part, la volonté affichée [par le gouvernement] de relancer l’économie et de créer de la valeur ajoutée pour refaire le retard du développement économique et, de l’autre, le risque que de telles mesures font courir en termes d’aggravation de la fracture et d’isolement numérique de certaines régions.”
“Les 50% de ménages disposant à l’horizon 2020 d’une couverture 1 Gbps [objectif que dit vouloir atteindre Alexander De Croo, ministre fédéral chargé de l’Agenda numérique], ce ne sera pas en Wallonie…”, surenchérit Baudoin Corlùy.
Le débat sur la manière de pallier la non-couverture, le non-investissement par les opérateurs, est ouvert.
Qui pour financer les infrastructures ou trouver des solutions de rechange?
“Nous travaillons sur l’identification des zones où la couverture est et sera moins bonne. Notamment via l’IBPT et son projet Atlas (voir encadré ci-contre). Il faudra trouver des solutions. Mais aussi identifier les causes du manque d’investissement.”
Refonder l’enseignement
On le retrouve dans plusieurs points du document d’Agoria: “(re)formation profonde de l’ensemble du corps enseignant en matière de nouvelles technologies du numérique”, “encourager vivement le monde académique à intégrer certaines nouvelles technologies dans les programmes d’études”, “mise en oeuvre d’un plan stratégique concernant la classe du futur dans les écoles primaires et secondaires”.
En matière d’enseignement, Agoria redit sa conviction qu’il ne suffira pas d’équiper les écoles, de déployer des tablettes, pour favoriser l’enseignement.
“Il faut une refondation de l’école, repenser la pédagogie, adopter une démarche par projet”, déclare Thierry Castagne. “Il faut commencer par les maîtres et la formation continue, avec une stratégie ambitieuse, qui dépasse le seul critère du matériel. Des ressources et compétences en formation à distance existent, par exemple au sein de Technofutur TIC. La question est de savoir comment de tels outils peuvent servir l’enseignant.”
Baudouin Corlùy: “L’avenir, ce n’est pas de faire des codeurs de tous les étudiants mais de leur donner les capacités analytiques nécessaires dans le monde réel. La première étape passe par l’adaptation des manières d’enseigner des professeurs.”
Thierry Castagne: “Il faut une refondation de l’école, repenser la pédagogie, adopter une démarche par projet.”
Quel regard portent-ils sur le plan Ecole numérique, sur la méthode choisie, sur le temps qu’il consomme avant de produire des effets? “Il est intéressant, en effet, d’agir d’abord avec les plus motivés et par phases-pilote mais il ne faut pas en rester trop longtemps au stade de l’expérimentation, comme ce fut le cas par le passé dans d’autres domaines, comme le Master en alternance pour l’ICT.”
Dans la suite de cet article – réservée à nos abonnés Select et Premium: la position et les propositions de nos interlocuteurs sur des sujets variés. Pour l’enseignement: la piste des MOOC, la présence de “référents” IT dans les écoles, la création d’un “conseil du numérique”.
Dans d’autres domaines: des incitants fiscaux pour pousser les entreprises à prendre davantage à bras-le-corps la question de la sécurité IT, ou encore la nécessité d’amorcer (même en mode mineur) le chapitre des “villes et territoires intelligents.”
Quid de l’idée d’un référent IT (ou numérique) dans chaque école? “Ce n’est pas un expert technique ou un professeur capable de réparer le réseau. Le référent auquel on pense est quelqu’un qui imagine la stratégie de l’école et échange avec les autres référents afin d’identifier et partager les bonnes pratiques. La présence d’un référent n’exclut nullement que chaque professeur doive s’approprier l’ICT pour ses propres pratiques.”
Parmi les “outils” que préconisent Agoria pour l’enseignement de demain figurent notamment les ENT (espaces numériques de travail) et le cloud. “Les MOOC, par exemple. Trop peu d’écoles les utilisent. Ce genre d’instrument s’inscrit dans la perspective de cette réalité nouvelle qui veut que le savoir ne repose pas sur une seule personne et qu’il s’agit de mettre davantage de matières à disposition.”
Thierry Castagne, pour sa part, insiste sur deux principes pédagogiques qu’il juge essentiel de mettre en oeuvre à l’avenir: le travail en groupe et par projet, et l’autonomie, la liberté de créativité, laissées aux directions des écoles, “tout en fixant des normes au niveau central. Par exemple, par le biais d’un référentiel de compétences.” Il recommande par ailleurs d’imaginer des programmes d“ immersion numérique”, un peu à la manière dont on a eu recours, par le passé, à l’immersion linguistique ou comme le font les écoles techniques avec immersion dans le monde de l’industrie (il fait référence au programme-pilote de formation alternée – chez Audi Brussels – qui a impliqué l’école Don Bosco de Bruxelles et la KTA Pro Technica de Hal). “Pourquoi ne pas labelliser des écoles “écoles d’immersion numérique”?
Thierry Castagne: “Tout, dans l’enseignement, aujourd’hui est individualisé: les études, les évaluations, la pédagogie. Il faut refondre l’enseignement sur des pratiques plus collectives. Il faut changer de culture.”
Autre proposition concernant l’enseignement: la création d’un conseil du numérique “dont le rôle sera de conseiller et de guider le gouvernement dans la mise en œuvre de sa politique numérique”. Ce conseil serait constitué de représentants du secteur professionnel, d’experts orientés usages, de professionnels, d’usagers… “L’approche doit être bottom-up. C’est notamment aux entreprises d’orienter les besoins. Avec, en finale, la décision du Ministre…”
Oser saisir – et créer – les opportunités
Considérées comme “clés de l’avenir”, les villes “intelligentes”, connectées, gérées plus efficacement, doivent faire jouer tout un ensemble de paramètres: mobilité, gestion des réseaux et ressources d’énergie, administration modernisée… “Il faudrait davantage de sociétés qui s’inscrivent dans cette dynamique”, regrette Thierry Castagne. Et si le bât blesse du côté des budgets communaux ou municipaux, pourquoi ne pas concentrer l’effort sur les grandes métropoles ou encore saisir l’opportunité de la création de nouveaux quartiers – voire de cette hypothétique ville wallonne nouvelle qui avait fait les gros titres, l’année dernière (proposition cdH).
L’une des choses qu’Agoria préconise est la création d’une “cellule de soutien publique-privée”. Il faut, aux yeux de Baudouin Corlùy, unir les efforts du public et du privé pour initier un “plan d’action commun. Il n’est pas possible d’imaginer un plan global, compte tenu du fait que chaque commune a ses particularités. Mais on peut imaginer des plans concrets pour les grandes villes…”
Thierry Castagne enchaîne en déclarant que des initiatives telle la création du Smart City Institute, à la HEC-ULg, “doivent être encouragées. Mettons les acteurs autour de la table, à Liège, à Charleroi… Agoria est prête à y contribuer. Eventuellement en collaboration avec l’UVCW (Union des Villes et Communes de Wallonie.”
Pourquoi, s’interroge-t-il, n’existe-t-il pas d’expert ès-smart cities, qui serait en mesure d’aider les responsables communaux?
Retour à la problématique budgétaire. On sait en effet que l’un des arguments qu’opposent nombre de villes et communes quand on leur parle de smart cities – et FuturoCité à Mons en sait quelque chose!- c’est la situation des finances municipales. Ce qui fait dire à Baudouin Corlùy qu’il faut en effet progresser par étapes. “On sait que le problème de mobilité, de toute façon, ne se résoudra pas en un jour. Mais il faut pouvoir créer des opportunités. Par exemple, en commençant par un projet de gestion de places de parking. Cela permet déjà d’améliorer la fluidité de circulation mais aussi, si on fait appel à un tiers, d’amener des recettes complémentaires dans les caisses de la municipalité…”
Il est où, l’exemple?
Les pouvoirs publics doivent montrer l’exemple. Refrain souvent entendu mais rarement entonné. Selon les responsables Agoria, plusieurs thématiques orientées IT devraient pourtant être saisies à bras-le-corps par nos gouvernants (aux différents niveaux de pouvoir) afin d’enclencher un effet percolateur ou boule de neige: la facturation électronique, les solutions mobiles, la sécurité de l’information.
Côté facturation électronique, l’obligation d’y recourir deviendra réalité au niveau fédéral en 2016. Les Régions suivront-elles? En Flandre, des actions de sensibilisation et de premières initiatives ont déjà vu le jour, notamment à l’instigation de l’Agentschap Ondernemen et d’Agoria. En Wallonie, c’est davantage le désert: “mais nous suivons le sujet de près”, déclare Baudouin Corlùy. “Jusqu’ici, nos actions se sont surtout centrées sur la promotion et l’information. Nous continuerons à l’avenir. Il faut absolument que l’information percole. Olivier Chastel, chargé de la Simplification administrative dans le précédent gouvernement, avait engagé le fédéral dans cette voie. Mais cela prend du temps…”
Autre sujet chaud: la sécurité informatique. “Est-on sérieux dans ce domaine face aux défis et aux chantiers à entreprendre?”, s’interroge Baudouin Corlùy. “Les chiffres semblent indiquer le contraire. Le Centre de Cybersécurité n’existe que sur papier. Le CERT belge se contente de deux personnes alors que le Luxembourg a mobilisé 30 personnes, les Pays-Bas 80 et la France 300…
Baudouin Corlùy: “Un serveur ou un data center qui tombe en passe pour cause de problème de sécurité a un impact économique énorme. Il faut dès lors avoir le courage de mettre en place des incitants pour que les entreprises investissent.”
Il y a une réelle carence à plusieurs niveaux. Au niveau fédéral, il faut renforcer les équipes, ayant des connaissances suffisantes de la problématique.
Au niveau des entreprises, il faut une prise de conscience. Au niveau des universités, il faut former les bons profils. Pourquoi n’existe-t-il pas encore de véritable master en sécurité informatique, au niveau purement technique? C’est pourtant là une condition fondamentale pour pouvoir mettre suffisamment de ressources à disposition des entreprises et des pouvoirs publics…”
Il déplore par ailleurs qu’“aucune attention particulière ne se manifeste au niveau des pouvoirs publics régionaux.”
Agoria plaide donc pour que “le thème de la sécurité informatique et de l’information soit mise systématiquement au centre des débats, en exigeant systématiquement un haut niveau de sécurité informatique dans tous les cahiers de charge émanant des différents niveaux de ouvrir, […] en stimulant les investissements en matière de sécurité informatique par des subsides et une fiscalité adaptée.”
Cette dernière mesure serait propre à “stimuler l’intérêt. Il ne faut pas oublier qu’un serveur ou un data center qui tombe en passe pour cause de problème de sécurité a un impact économique énorme. Il faut dès lors avoir le courage de mettre en place des incitants pour que les entreprises investissent”, estime Baudouin Corlùy.
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