La technologie: amie ou ennemie de la créativité participative?

Hors-cadre
Par · 28/11/2012

L’un des traits communs à nombre d’événements organisés au cours de la Semaine de la Créativité fut la mise en évidence des avantages que peut impliquer la participation à un même projet d’acteurs venus d’horizons divers et présentant des compétences variées.

C’est là le principe-même des Startup Weekends, où les équipes se forment en cours de week-end, selon les besoins des projets présentés. Dans l’espoir que ces équipes perdurent et se pérennisent par la suite. Ou tout moins qu’il en reste un noyau suffisamment fort et équilibré pour continuer le chemin.

C’est aussi l’élément moteur des divers ateliers de réflexion qui ont été organisés sur des thèmes aussi divers que le manque d’attractivité des métiers techniques, la problématique de l’accompagnement des start-ups ou encore l’intelligence stratégique. Barcamps, “un-conferences” et autres World Cafés réunissent autour d’une table, de manière éphémère et informelle, des personnes aux profils divers, aléatoirement complémentaires, dans l’espoir de susciter une réflexion et des idées sortant des cadres traditionnels.

Le fait est que le résultat est souvent inattendu: parfois positif, en ayant dégagé des pistes nouvelles, parfois décevant, parce qu’on retombe dans les chemins battus ou que les participants se sentent un peu perdu dans un schéma manquant volontairement de structure.

Le citoyen participatif

La créativité participative, si elle est bien imaginée au départ, peut apporter un renouveau intéressant dans bien des contextes, tant en entreprise que dans le cadre de l’action citoyenne, promue au rang d’artisan de la vie en communauté, voire de la vie politique. Ce domaine, que certains appellent l’open government, était là l’un des thèmes abordés lors du KIKK Festival de Namur.

Aux yeux de certains, en effet, le concept d’open data (ces données publiques mises librement- mais pas forcément gratuitement- à la disposition de tous) doit être replacé- et servir de simple outil- au concept plus vaste de l’open government ou, dirions-nous en francophonie, de la “démocratie ouverte”.

Cyril Lage, consultant en affaires publiques, est l’un des instigateurs du collectif DémocratieOuverte qui se définit comme une “communauté francophone, ouverte aux élus et aux citoyens qui souhaitent collaborer en vue de placer la transparence et la participation des citoyens au coeur des démocraties représentatives.” Initié par des citoyens français, tunisiens et québécois, il tente aujourd’hui de convaincre d’autres pays des vertus de cet open governement. A la manière de ce qu’a voulu insuffler Barack Obama, aux Etats-Unis, au lendemain de son élection à la présidence.

Le principe, ou la prémisse? Exploiter les nouvelles technologies et, plus particulièrement, tous les outils et vecteurs “2.0” pour permettre à chacun de faire entendre sa voix et d’influer sur les échanges d’idées et prises de décisions. Selon la conviction qu’ouvrir la démocratie à tous, c’est la renforcer, “promouvoir l’efficience et l’efficacité au sein des gouvernements, les rendre plus transparents et attentifs.” Pour ce faire, un certain nombre de mécanismes doivent être mis en oeuvre: faire un sort aux structures pyramidales, favoriser le travail transversal, organiser la participation et la construction collégiale de politiques.

Deux conditions sine qua non pour y arriver: ouvrir les données publiques et, peut-être surtout, faire de la pédagogie.

Bien entendu, cette vision des choses risque fort d’achopper sur des réalités moins optimistes. Du genre: jusqu’à quel stade, les structures en place accepteront-elles l’“ingérence” de l’individu? Quel poids aura réellement la “vigilance” citoyenne? Une question qui était soulevée, notamment, lors du Startup Weekend de Liège qui a récompensé le projet BetterStreet. Ce genre de projet, où le citoyen signale une incivilité, l’affiche haut et fort sur un site, tente de faire pression sur l’administration pour qu’elle agisse, aura-t-il réellement un impact? Jusqu’où la peur de l’image négative l’emportera-t-elle sur les immobilismes ou sur les manques de moyens à mettre en oeuvre?

Quoi qu’il en soit, début 2013, le collectif DémocratieOuverte compte mettre un premier outil de participation citoyenne à disposition. “Parlement et Citoyens” sera une plate-forme open source autorisant la rédaction collégiale de projets de lois entre citoyens et parlementaires (français). L’espoir est d’en étendre l’utilisation à d’autres pays.

Participez… “à l’insu de votre plein gré”

L’avènement d’objets communicants de tous poils donne une nouvelle signification au concept d’informatique omniprésente, quasi immanente. Depuis nos smartphones jusqu’aux puces RFID qui identifient une foule d’articles et de produits achetés ou croisés au hasard de nos déplacement, en passant par les puces et micro-équipements intégrés ou implantés ou encore les processeurs et capteurs multiples qui s’insinuent aux moindres recoins de nos demeures, maints objets de notre quotidien.

Lors du Kikk Festival de Namur, Rob Van Kranenburg, fondateur du groupe de réflexion Council, spécialisé dans les problématiques de l’Internet des objets (Internet of Things), était venu brosser les contours de noytre futur, fait de “flux libres et transparents” entre les divers cercles de communication que constituent les réseaux de télécommunications tels que nous les connaissons aujourd’hui, leurs cousins plus modestes et plus proches que son les réseaux locaux des entreprises (voire les réseaux domestiques WiFi) mais aussi les “réseaux corporels”. Ou, pour être plus exacts, ces nouveaux “concentrateurs de communications” que seront les corps humains, bardés de capteurs, de dispositifs électroniques intelligents implantés à des fins médicales ou récréatives (non, ce n’est déjà plus de la science-fiction. Des corps qui seront également habillés de vêtements ou accessoires, eux aussi dotés de pouvoirs de renseignements.

Nous évoluons en fait de plus en plus au coeur d’un “huge grid of control”…

Si l’on se plaint déjà parfois d’être harcelés en raison de cette obligation, parfois auto-imposée, d’être toujours joignable, que dire de cet état de signalisation permanente qui nous attend? Avec toutes les perspectives positives ou nettement moins attrayantes que cela suppose.

Le risque, relevait notamment Rob Van Kranenburg, est de ne pas avoir conscience de ces capteurs cachés, dont on ignore la présence et qui captent une myriade d’informations. “Attention à la vie privée, à la surveillance du moindre fait de votre vie.” Nous évoluons en fait de plus en plus au coeur d’un “huge grid of control”. Contrôle à la fois passif et actif.

Mais au-delà, il préconisait aussi une nouvelle réflexion et un changement de méthode dans la manière dont nous interagissons avec la sphère, les infrastructures et les ressources informatiques. L’interface qu’était hier le “terminal” a bien changé. Elle a muté, s’est démultipliée, prend des formes de plus en plus abstraites. “Etonnant que nous continuions de dialoguer à l’aide d’un clavier et d’une souris, deux outils imaginés dans le courant des années 60…” Réfléchit-on vraiment aux nouveaux modes d’interaction possibles. Par exemple “avec cette chaise qui peut me reconnaître automatiquement, par les simples caractéristiques uniques de mon corps?” Et, dès lors, interagir avec l’individu.

“Le monde d’aujourd’hui est un monde de traçabilité, de visibilité et de transparence totales. Il nous faut donc repenser les principes et concepts de vie privée, de sécurité, de responsabilité.”

Autre aspect: un objet (auto-)communicant “n’est plus un objet personnel.” Dans la mesure où il peut communiquer, avec un serveur, une plate-forme centrale de collecte d’informations mais aussi avec ses “pairs” ou d’autres objets, il devient un objet potentiellement utile à d’autres utilisateurs. “Si on réfléchit en termes de voisinage, tout objet électrique communiquant peut devenir un puissant vecteur d’efficience, de partage de puissance électrique.” mais il peut aussi devenir un instrument exploitable ou gérable par le voisin, par d’autres personnes qui pourront en tirer une utilité quelconque. “Nous avons besoin d’imaginer une nouvelle éthique.” Notamment pour ne pas devenir le jouet de l’omniprésence d’objets communicants. “Pour éviter de se retrouver dans un monde digne de Matrix, pour éviter d’être l’objet du contrôle, il faut repartir sur de nouvelles bases. Sur des concepts de voisinage, de communauté…”.