Deuxième volet de notre petite série d’articles sur les pénuries en profils IT/numériques et les moyens mis en oeuvre par les organismes d’accompagnement à l’emploi pour s’y attaquer. Comment et quand proposer de nouvelles formations, attirer ou inciter les chercheurs d’emploi à la reconversion/réinsertion? Que font ou proposent le Forem et les Centres de Compétences?
Relire notre premier article où nous plantions le décor, en chiffres notamment, et où nous nous arrêtions sur les notions et mesures en matière de “métiers en pénurie” vs “métiers d’avenir”.
Quels critères pour initier de nouvelles formations?
Face à la pénurie, comment le Forem et les Centres de Compétences décident-ils d’initier de nouvelles formations ou de renouveler des parcours déjà existants?
“Environ 70% des formations que nous proposons sont orientées vers les métiers en pénurie et les métiers porteurs”, déclare Yves Magnan, directeur général ad interim du Forem (branche Formation professionnelle). Autrement dit, en matière d’IT, développeurs IT/Web, analystes IT/business, chefs de projet.
En troisième position viennent les formations aux “métiers d’avenir” (big data, analytique, IA, IoT…). “Au début, ces formations d’avenir prennent généralement la forme d’un projet-pilote, pouvant accueillir un nombre restreint de personnes. Si le thème est confirmé [par le besoin et/ou l’intérêt suscité], il est déployé à plus grande échelle.”
La vitesse de réaction par rapport à un besoin en profils du marché et/ou une nouvelle tendance technologique, de la part d’un Centre de Compétence, est évidemment essentielle. Même si le temps des plans stratégiques n’est pas celui du marché… “Les plans stratégiques des Centres de Compétences sont définis à trois ans mais réévalués chaque année.
Le fait de procéder également par lancement de projets-pilote [sur des sujets identifiés comme porteurs ou novateurs] est un autre moyen de faire évoluer l’offre de formations.”
Attention toutefois à la précipitation, entend-on dans certaines bouches. Être trop “avant-gardiste” peut s’avérer contre-productif. Le thème peut être éphémère. Le “public” peut ne pas être au rendez-vous. “Si l’on est trop tôt sur la balle, il y a un risque d’essoufflement et de désillusion”, souligne Pascal Balancier (AdN).
“Difficile de les dénicher”
Même lorsque des formations sont annoncées pour pallier à une demande de profils bien réelle, l’initiative n’aboutit pas forcément.
Le cas s’est à nouveau produit récemment pour des formations en sécurité Linux qu’envisageait de proposer Technocité.
Des demandeurs d’emploi se sont certes manifestés mais pas en nombre suffisant ou avec des profils qui ont été considérés comme ne convenant pas. Résultat: “faute de combattants” [“il faut au minimum 8 à 12 apprenants/stagiaires”] et pour des raisons de coût trop élevé par rapport au nombre d’apprenants “pertinents”, la formation a été annulée…
Voici comment Technocité a justifié l’annulation:
“Nous avons été contraints d’annuler cette formation, cette année, par manque de candidats: seulement 10 inscrits à la première séance d’information (avec tests psychotechniques effectués par le Cefora), quatre à la seconde.
Nous constituons des groupes de 12 personnes et nous tentons de créer un groupe le plus homogène possible en termes de compétences.
Malheureusement, après correction des tests et analyse des CV, nous n’avions identifié que quatre personnes ayant le profil requis pour la formation, à savoir, des bases minimum en administration réseau et système. Vu le laps de temps entre ce moment et le début de la formation, il semblait illusoire de pouvoir trouver encore huit autres personnes afin de compléter le groupe.
Nous avions été confrontés à la même situation en 2018. Du coup, nous n’avons pas pris le risque, cette année, de la reporter à une date ultérieure et d’essuyer un éventuel nouvel échec. Nous avons préféré l’annuler. Il faut savoir que cette décision est compliquée pour nous puisque nous remettons chaque année, comme tous les Centres de compétences, un plan d’action au Forem que nous nous devons de respecter et que, dans des situations telles que celle-ci, nous devons effectuer une modification à ce plan d’action, ce qui n’est pas chose aisée. Nous ne prenons donc pas ce genre de décision à la légère.”
Se montrer plus inventifs
L’un des soucis demeure donc la capacité des organismes d’accompagnement à détecter et ensuite à inciter les demandeurs d’emploi ou personnes en (possible) reconversion à se manifester et à participer aux actions d’activation. “Nous continuons à avoir du mal à intéresser et mobiliser la réserve de main-d’oeuvre”, admet Yves Magnan.
Le Forem dit donc vouloir communiquer de manière plus intensive et en utilisant de nouveaux canaux et “ficelles”. “Il faut davantage proposer de la pédagogie active, via la formation en alternance, agir sur base des besoins spécifiques des entreprises, varier la communication – en travaillant avec World Skills, via les sessions Mardis d’Avenir… Ou encore mutualiser les ressources pédagogiques, en inter-Centres de compétences [exemple: de nouvelles formations en IA – les AI Black Belts – pour lesquelles Technifutur, à Liège, et Technofutur TIC, à Gosselies, font cause commune].
Autre possibilité: des formations pour des groupes “mixtes” (personnes actives et demandeurs d’emplois).
Yves Magnan (Forem): ““Il faut davantage proposer de la pédagogie active, agir sur base des besoins spécifiques des entreprises, varier la communication…”
Pour Yves Magnan, il s’agit aussi de “travailler davantage en amont”, avec les établissements d’enseignement, “par exemple via l’opération “Les métiers vont à l’école” qui vise à présenter, en classe, les métiers technologiques dès le secondaire inférieur.
Le travail en amont doit aussi viser les parents qui ont un rôle à jouer “pour ouvrir les champs du possible à leurs enfants.” Pour certains, en effet, la désaffection vis-à-vis des études et métiers techniques et/ou technologiques est parfois alimentée – consciemment ou non – par les parents. Ne serait-ce qu’en renvoyant une image vieillie de ces métiers, tels qu’ils les ont peut-être connus ou perçus eux-mêmes mais qui, aujourd’hui, ont plus que sensiblement évolués. C’est là une réflexion qui avait été faite, notamment, lors de la table ronde organisée au récent salon SETT 2019 (School Education Transformation Technology).
Autre chantier: mieux identifier les besoins des entreprises et s’inspirer de leurs idées. C’est le but de contacts que le Forem noue avec des acteurs tels que SAP, BeCode ou encore Microsoft. “Mieux comprendre la manière dont ces acteurs vivent les choses nous permet de construire des parcours nouveaux, dédiés notamment à l’Intelligence Artificielle, à l’Internet des Objets…”
Et, selon Yves Magnan, des acteurs IT tels que SAP, Cisco ou Microsoft sont directement intéressés à pallier à la pénurie de talents: “Le manque de profils se manifeste chez leurs clients. Ce qui veut dire que leurs produits ne peuvent plus être utilisés. Ils ont besoin que des profils adéquats soient présents sur le terrain pour pouvoir vendre leurs solutions. Il faut des profils qui puissent les exploiter…” Logique!
A suivre: Des “compétences” numériques certes, mais lesquelles, à quel stade, et jusqu’où ?
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