Benoît Macq, professeur à l’ICTEAM (Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics) de l’UCLouvain, vient de rentrer du Québec où il a passé une année sabbatique – et studieuse. L’occasion de lui demander ce qu’il a retiré de cette expérience, comment il voit, compare, évalue le monde de la recherche, les projets et recherches, en Intelligence Artificielle notamment, la collaboration entreprises-recherche des deux côtés de l’Atlantique.
Benoît Macq avait installé ses pénates, pendant un an, à l’Université McGill de Montréal. Son “camp de base”, comme il l’appelle, était le département Electronique et Télécommunications de la faculté d’ingénierie. Mais très rapidement, des contacts ont été établis avec le département d’ingénierie informatique dont les travaux, entre autres, en intelligence artificielle en apprentissage par renforcement l’intéressaient plus particulièrement.
Cela lui a permis d’alimenter ses propres travaux et réflexions en participant notamment aux séminaires du Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle qui réunit des chercheurs spécialisés dans les domaines de l’apprentissage profond (deep learning) et par renforcement (reinforcement learning – le principe étant que l’intelligence artificielle apprend et se renforce par elle-même sur base d’expériences).
Parmi les spécialités du Mila, citons la modélisation du langage, la traduction automatique, la reconnaissance d’objets et les modèles génératifs. Des domaines dont certains croisent les centres d’intérêt de Benoît Macq, à l’UCLouvain.
Continuant de travailler à distance avec l’équipe de son labo néolouvaniste, il a, pendant un an, consacré la moitié de son temps en travaux sur l’IA. En se concentrant essentiellement sur l’application de l’IA au monde de la santé.
Il a ainsi participé à des séminaires sur le traitement du cancer à l’aide de la protonthérapie et de l’IA, avec des exemples concrets de recherche en cours au CHU de Montréal et à l’hôpital de McGill.
“Mon année sabbatique m’a permis de me centrer sur certaines choses, de mettre de côté toute une série de scories d’activités et de reprendre foncièrement goût à la recherche.”
Qu’a-t-il essentiellement retenu de son passage à McGill?
Benoît Macq a essentiellement orienté sa veille et ses travaux sur des recherches IA appliquées à la santé. Les travaux et recherches en cours au CHUM (CHU de Montréal) par exemple, où l’IA intervient non seulement au niveau du traitement du cancer mais aussi de l’organisation et de la structuration des décisions de l’hôpital, pourraient à terme donner naissance à un projet-jumeau en Belgique. Des contacts en ce sens sont notamment établis avec les Cliniques Saint-Luc.
“L’IA pourrait permettre de faire des choix optimisés, d’expliquer au patient les scénarios possibles, de mieux utiliser la radiothérapie par rapport à la protonthérapie ou encore la chimiothérapie… Avec des mécanismes qui permettent d’avoir des modèles d’apprentissage respectueux de la vie privée, du consentement du patient, etc.”
“Ma feuille de route”
Benoît Macq est donc revenu de Montréal avec un plein sac à dos d’idées et de contacts. Son “goût renouvelé” pour la recherche, il compte le concentrer dans les années qui viennent sur la prise de décision, assistée par l’IA, à partir d’images.
Benoît Macq compte y consacrer les quelques années qui viennent, en explorant, validant et faisant appel “à de nouveaux mécanismes”, en combinant les ressources de l’IA “avec des outils plus classiques, de telle sorte à avoir une grande confiance dans les personnes qui prennent des décisions à partir de ces images.”
Benoît Macq (UCLouvain): “Je voudrais utiliser des techniques de traitement de l’image “à l’ancienne”, basées sur des caractéristiques visuelles, en parallèle avec l’IA, pour prendre des décisions plus robustes, dans lesquelles un humain peut intervenir.”
La sphère médicale ne sera pas le seul domaine d’application potentiel. Benoît Macq cite également le monde des jeux, l’e-learning, la vidéosurveillance, les médias, la conduite autonome…
“L’intelligence artificielle pour la reconnaissance d’image, notamment pour les voitures autonomes, fonctionne tellement bien qu’on en vient à oublier certains écueils. L’IA permet de prendre des décisions avec un taux d’erreur beaucoup plus faible que les anciennes techniques mais il arrive qu’une mauvaise décision soit prise sans qu’on comprenne pourquoi.
Avant, les erreurs, on pouvait presque les prédire. Aujourd’hui, des cas qu’on appelle “adverserial” se produisent brutalement sans qu’on comprenne pourquoi. Je voudrais utiliser des techniques de traitement de l’image “à l’ancienne”, basées sur des caractéristiques visuelles, en parallèle avec l’IA, pour prendre des décisions plus robustes, dans lesquelles un humain peut intervenir. Pour une interaction homme-IA la plus efficace possible. Et comprendre comment, tout en utilisant l’IA, l’humain peut préserver une expertise.
Un médecin qui utilise par exemple l’IA pour développer des plans de traitement d’un cancer peut améliorer sa pratique mais ne peut pas lui laisser tout faire. Parce qu’il y a des erreurs. Parce qu’il doit donner des explications au patient, ce qui n’est pas possible en cas de boîte noire. Et, plus important encore, il doit garder une certaine expertise, garder la main sur certaines choses. C’est cela que je voudrais adresser, travailler sur la confiance qu’on peut avoir à propos d’une décision d’IA.”
Pour le reste, Benoît Macq veut renforcer l’interaction entre les différentes composantes de son labo, ainsi que les échanges impliquant Multitel, le hub créatif OpenHub… “Je veux mieux faire le tri des sollicitations qui nous parviennent, aiguiller certains projets vers ces centres, me concentrer sur une équipe de cinq à dix chercheurs de très haut niveau [pour la plupart, venus des universités locales], et travailler sur l’IA pour en arriver à des prises de décision optimales au départ d’images. Avec un focus principal sur le médical et un focus secondaire sur les médias.”
Cette refonte des rôles de chacun et des passerelles et interactions entre eux devra contribuer à faire naître un meilleur “continuum” de recherche (fondamentale et appliquée).
Un “modèle” québécois transposable?
En termes de relations et de collaboration recherche-entreprise, ou encore de collaboration entre chercheurs, l’expérience québécoise a-t-elle inspiré Benoît Macq par rapport aux pratiques existant en Belgique, en Wallonie? La comparaison vaut-elle raison? Comment certaines choses pourraient-elles être transposées chez nous?
“Je pense que des centres de compétences tels que Multitel doivent jouer leur rôle d’interface vers les entreprises, intervenir dans des projets plus à court terme, tandis que les chercheurs sont dans une perspective long terme. Notamment afin de pouvoir discuter avec les meilleurs spécialistes du domaine et amener les jeunes le plus loin possible pour faire naître, plus tard, des spin-offs…
Il faut un écosystème complet et pas que tout le monde fasse tout. Les chercheurs du Mila, par exemple, se concentrent sur la recherche tandis que des cellules-interface travaillent sur des problèmes beaucoup plus concrets avec les entreprises. Mais le tout s’inscrit dans un continuum organisé.
Mon message, sur base de ce que j’ai appris, c’est qu’il ne faut pas hésiter à encourager la recherche de base, long terme, également en Région wallonne.”
Tout n’est pas plus vert ailleurs
Même si, à certains égards, le Québec peut servir d’inspiration, il est aussi, estime Benoît Macq, des domaines et des pratiques où la Wallonie a le dessus. “Dans ces grandes institutions nord-américaines, les chercheurs sont très cloisonnés. Chacun travaille dans son domaine. Le rythme est dicté par de grandes conférences, des publications. Tout est centré sur la publication et l’impact de la publication.
Plus modestes mais avec davantage de collaboration et de perspectives pluridisciplinaires en Belgique…
En Wallonie, nous sommes plus petits, mais moins cloisonnés, davantage pluri-disciplinaires. On se challenge à travers différents domaines de manière plus naturelle. Le petit côté Village des Hobbits wallon est très sympa. J’étais donc content de rentrer pour retrouver un écosystème que j’estime moins cloisonné. Le fait d’être plus petits et dispersés nous donne peut-être une connectivité plus grande. Mais on manque de visibilité internationale.”
Les contacts entre chercheurs, chez nous, se font en outre en mode ad hoc. Benoît Macq estime qu’il serait donc utile de trouver des mécanismes pour renforcer cette “connectivité”, “d’autant qu’on s’entend plutôt bien ensemble, entre universités. Mais atteindre un seuil, ce serait vraiment pas mal…”
Quel créneau IA choisir? Et le faut-il?
Le Québec a-t-il réellement une énorme longueur d’avance sur ce qui peut se faire en Wallonie? Quels sont les points forts de chacun?
“Là où ils ont pris une énorme avance, c’est en investissant dans un centre d’excellence inter-universitaire qui regroupe l’université McGill, la Polytechnique de Montréal et l’Université de Montréal. Tous les chercheurs en IA ont été regroupés en un lieu unique. Cela leur confère une puissance de feu qui est sans doute impossible à reproduire en Région wallonne. Liège, Namur, Mons se battraient. Louvain-la-Neuve n’aura sans doute même pas droit au chapitre…
C’est le fameux Digital Wallonia Hub qu’on voulait faire [référence à la structure esquissée lors du lancement du plan Digital Wallonia, à l’époque de Jean-Claude Marcourt]. C’est un peu, à échelle plus modeste, ce qu’on a essayé avec la Deep Learning Academy mais chacun demeure dans son truc. Mais peut-être serait-il bon de trouver des mécanismes pour mettre plus de chercheurs ensemble… Même s’il ne faut pas nécessairement les localiser au même endroit.
A Montréal, grâce à ce centre et à leurs chercheurs de réputation mondiale, ils ont réussi à attirer des laboratoires de Facebook, de Google, ou encore ElementAI. Cela leur permet d’avoir une attractivité significative.”
Benoît Macq (UCLouvain): “Contrairement aux chercheurs québécois qui sont tous dans des silos AI, chacun des chercheurs wallons IA en vue combinent IA et un autre domaine d’expertise. Les réseaux l’énergie pour Damien Ernst, l’imagerie médicale en ce qui me concerne, la reconnaissance vocale ou les arts numériques pour Thierry Dutoit à Mons… Le fait d’être plus petits et dispersés nous donne peut-être une connectivité plus grande. Mais on manque de visibilité internationale.”
Imaginons que les collaborations se fassent plus massivement ou systématiquement, cela aurait-il un sens que ce “pool” de chercheurs en IA choisisse une thématique? Un positionnement est-il nécessaire, vertueux, pour une région comme la Wallonie, ou pour un pays?
L’avis de Benoît Macq, en la matière, n’est pas tranché. “On a un excellent pôle en médecine, en pharma, en thérapeutique cellulaire. Un pôle AI for medicine pourrait donc avoir un sens. Même si on ne serait pas les seuls à le faire. Mais je ne suis pas sûr qu’il faille choisir quelque chose. Beaucoup de choses sont en train d’émerger, en IA forte, en nouveaux médias, en santé, etc.
En tout cas, l’intersection entre l’intelligence artificielle et les grands thèmes des Pôles de Compétitivité est sûrement quelque chose à favoriser.”
Quid de la collaboration entreprise-recherche et entreprise-université?
“En matière de collaboration entreprises-universités, comparativement [notamment au vu de ce que propose le Quartier de l’Innovation à Montréal], la Wallonie dispose d’un bon écosystème. On n’a certainement pas à rougir.”
Le concept de chaires, financées par de grands groupes, a également été appliqué à McGill “mais cela ne donne pas nécessairement naissance à des projets qui débouchent sur du concret.
Chez nous, la vie de professeur d’université ou de chercheur offre de nombreuses possibilités de connexion, de collaboration avec l’industrie. A certains moments de sa carrière, on peut être très “mains dans le cambouis” avec des développements davantage orientés entreprise et, à d’autres moments, se recentrer sur le fondamental.”
Benoît Macq (UCLouvain): “Des passerelles, pour les chercheurs existent entre la Belgique et le Québec, pour de nombreuses universités. J’ai d’ailleurs signé un accord de collaboration avec l’Université de Montréal et le CHUM et on est en discussion avec le McGill Neurological Institute au sujet d’échanges de données pour l’IA dans une démarche open science.”
Quid pour les étudiants? Quelles seraient les opportunités, les enrichissements potentiels? “Médecine, ingénierie, biomédical, médias… Le Québec offre des pôles très forts. Les étudiants peuvent donc gagner en expertise. Sans parler de l’expérience de l’étranger dans une ville comme Montréal qui est un hybride, un peu nord-américaine, un peu à l’européenne.”
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