Nouvelle édition du Baromètre de maturité numérique du citoyen wallon. Comme à chaque édition, le “Baromètre” mesurant le taux d’adoption d’outils, pratiques et usages numériques par les citoyens wallons, concocté par l’AdN, regorge de chiffres, tendances, indications. Sont ainsi passés au crible les taux d’équipements, les fréquences de sollicitations des solutions et services numériques – depuis la “simple” bureautique (dématérialisée dans le cloud) à la pratique de services (quotidiens ou non, publics ou plus génériques, privés ou professionnels)…
La dernière édition a – par la force des choses – la particularité de prendre un cliché de ce que furent pratiques et tendances sous l’emprise du coronavirus et des confinements. Si l’“effet Covid” perdurera à maints égards, laissant des traces dans les usages, il sera intéressant, d’ici deux ans, de vérifier ce qui aura été le signe d’une tendance de fond ou juste une “anomalie statistique”.
Pour commencer et rendre la lecture et l’interprétation des chiffres et tendances plus efficaces, il est utile de s’arrêter d’abord sur quelques petites modifications dans la méthodologie d’analyse utilisée.
Fossé et fracture
Selon l’analyse faite par l’équipe de l’AdN, 32% des citoyens wallons demeurent des “éloignés du numérique”. Quelle définition donne-t-on à cette étiquette d’“éloigné”, notamment par comparaison à la notion de “fracture numérique”?
Méthodologie
Echantillon: 2.184 personnes. Citoyens wallons de plus de 15 ans.
Epoque de l’enquête: du 28 janvier au 19 mars 2021.
Période sur laquelle l’analyse des usages, ressentis et autres s’est focalisée: 2020 et le début 2021 (“effet Covid” dès lors garanti…)
L’AdN, s’appuyant sur une segmentation imaginée en Flandre par l’IMEC, parle d’“éloignés” pour désigner ces citoyens et citoyennes qui éprouvent des “difficultés à maîtriser les applications numériques qui permettent précisément d’exercer pleinement leur rôle de citoyen, dans toutes ses dimensions”.
L’“éloigné” considère le numérique, Internet, et tout ce qui va avec comme compliqué, trop mouvant, voire incompréhensible. Et préfère s’abstenir. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’utilise pas certains outils mais de manière très limitée et parcimonieuse.
“L’éloigné regrette que la société soit trop dépendante de cette technologie qui le bouscule avec ses changements perpétuels et son vocabulaire déroutant. Il n’a fondamentalement pas confiance dans la technologie mais, faute d’y être confronté réellement, se soucie assez peu des fake news, des applications de l’Intelligence artificielle ou de l’usage de ses données personnelles. […] L’éloigné a un sentiment de compétence numérique de 35/100 et exploite une dizaine des usages scorés et atteint donc péniblement, en moyenne, une maturité numérique de 31.”
Cinq profils de citoyens, selon leur rapport au numérique… Avec le pourcentage de population pour chaque “catégorie”. Une classification inspirée des travaux de l’Imec et de l’université de Gand, que l’AdN a intégrée cette année, pour la première fois, dans son analyse…
A ne pas confondre “éloigné” et “insoumis”. Cette dernière catégorie correspond, dans certains cas, à des personnes peu “matures” numériquement mais qui le sont par choix ou sélection: elles “utilisent le numérique de manière plus utilitaire, en restant à distance quand le numérique n’est pas indispensable”.
L’insoumis maîtrise certes un certain nombre de compétences et d’usages numériques mais se méfie et reste à l’écart d’autres. Exemple: le courriel, OK. Idem pour les transactions bancaires. Mais d’autres terrains – par exemple, les réseaux sociaux – peuvent être perçus comme (trop) dangereux.
AdN: “Si la majorité des indicateurs sont positifs en matière d’équipement et d’usages de base, on constate que la fracture numérique s’incarne désormais essentiellement dans la difficulté à maîtriser les applications numériques qui permettent précisément d’exercer pleinement son rôle de citoyen, dans toutes ses dimensions.”
Léger gain en maturité globale
18% des citoyens interrogés ne peuvent s’appuyer que sur une maturité numérique (degré de connaissance ou de maîtrise) faible. Ce qui représente un petit progrès de 3% par rapport à la situation telle qu’évaluée en 2019.
D’une manière générale, le taux de maturité a – légèrement – progressé: “Il apparaît que les résultats 2021 [en termes d’estimation de compétences numériques par les citoyens interrogés] sont pour l’essentiel voisins mais un peu supérieurs à ceux de 2019. […] Au total, le score global arrondi à l’unité passe de 56 à 59.”
Une progression, soit dit en passant, qui est surtout le fait de femmes puisqu’en ventilant les progrès selon les genres, il s’avère que le gain n’est que de 0,3 point côté hommes, contre 4,7% côté femmes [du moins sur base de l’échantillon de citoyens ayant participé à l’enquête Baromètre]. Cette différence vaudrait sans doute une petite analyse socio-démographique, mâtinée de considérations contextuelles (effet Covid, impact sur le quotidien et le rôle des femmes…).
Tableau chiffré des niveaux de maturité numérique des citoyens wallons – par genre et niveau d’éducation… Source: AdN/Digital Wallonia.
Quoi qu’il en soit, la cible (lisez la “maturité numérique”) demeure mouvante. Si la crise sanitaire a eu pour effet de forcer bien des citoyens à “s’y coller”, elle a aussi provoqué l’apparition ou l’essor d’outils qui demeuraient, par le passé, l’apanage (ou la nécessité) de catégories de citoyens nettement plus restreintes. Exemple typique: la visioconférence et son cortège d’outils de “productivité” (partage d’écrans, de documents…). Or, que constate l’AdN à l’issue de son enquête Baromètre? “La tâche “Organiser une réunion à distance en visioconférence” est perçue comme impossible par 38% de la population alors que la crise sanitaire a largement popularisé ce mode de communication.”
L’une des actions-repère (parmi la série de 15 “activités typiques” servant de canevas d’évaluation) pour évaluer les compétences numériques du citoyen lambda concerne le champ de la sécurité. En l’occurrence, “Identifier rapidement un courriel malveillant ou des données frauduleuses”. Et là, on constate… un recul!
Autrement dit, en raison sans doute de l’augmentation des menaces, de leur “efficacité” et complexité croissantes, mais aussi en raison de la flambée des usages, le citoyen se sent moins apte ou habile dans cette opération…
De manière tout aussi révélatrice, si le sentiment de compétences s’est amélioré chez les jeunes (essentiellement du côté des 15-29 ans), il est en recul chez les aînés (au-delà de 60 ans).
“Fracturés”, “décrochés”, “éloignés”. Juste une question de vocabulaire?
Lors de ses analyses antérieures, l’AdN avait évalué le degré de maturité numérique des citoyens, estimant le pourcentage de personnes souffrant de “fracture numérique”. Si, au fil des ans (et le processus se poursuit), la fracture dite de premier degré (non-utilisation des services et faiblesse des compétences par manque d’équipement et d’accès Internet) continue de se réduire, la fracture d’usages, elle, continue de progresser et de changer de visage, touchant aussi, au gré des circonstances et des évolutions technologiques, de nouvelles catégories de population.
C’est dans ce registre-là que l’on constate, sur les deux dernières années, une (trop) faible amélioration de 3% – 18% de citoyens continuant d’être taxés de “maturité faible”, en termes de connaissance ou de maîtrise de l’usage des outils, services ou fonctionnalités.
AdN: “La fracture ne se réduit pas réellement mais change plutôt de nature en isolant ceux qui ont des usages très restrictifs et qui ne se sentent pas à l’aise avec ces technologies et leurs implications sociétales.”
La notion d’“éloignés du numérique”, qui fait donc son apparition cette année dans l’analyse de l’AdN (selon la même classification que celle sur laquelle s’appuie la Fondation Roi Baudouin), adopte une optique légèrement différente, englobant davantage de citoyens qui, certes, ont une certaine pratique et une certaine maîtrise de certains usages mais qui peinent encore à divers égards.
32% des citoyens sont considérés comme relevant de cette catégorisation qui correspond à une “fracture de 3ème degré, à savoir l’incapacité à exploiter le numérique au profit de son propre développement.”
Quelle est dès lors la différence entre la fracture de deuxième degré et la fracture de troisième degré?
Ce qu’on appelle la fracture du deuxième degré concerne et désigne ceux et celles qui éprouvent des difficultés en termes d’intensité et de variété d’usage du numérique.
Le “troisième degré” fait référence à une notion plus floue ou, en tout cas, qui se laisse plus difficilement appréhender. Elle concerne en effet les “implications sociales” des aptitudes d’accès et d’usage. Autrement dit, l’incapacité de certaines personnes “à transformer les opportunités offertes par le numérique en bénéfices effectifs dans l’intégration aux multiples domaines de la vie sociale tels que l’éducation ou l’emploi.”
Pour être un tantinet plus clair, c’est l’incapacité d’une personne “à utiliser le numérique pour son développement en tant que personne au sein de son environnement sociétal ou de son entreprise, à transformer les usages en leviers de développement socio-cognitif”, explique André Delacharlerie (AdN).
“La vraie finalité sociétale est de faire un usage dynamique, créatif, du numérique, de devenir des utilisateurs éclairés et responsables”. Et là, quasiment un tiers d’entre nous n’en seraient pas encore capables…
Bien entendu, il y a une imbrication étroite entre ces deux types de “degré” de fracture. Dès l’instant où une personne prend ses distances (pour une quelconque raison) avec le numérique, doute de ses capacités, ou n’adopte pas une attitude “dynamique”, il est évident que cette personne aura une intensité et variété d’usage moindre… Retour, dès lors, vers le deuxième degré de fracture… En théorie…
A suivre…
– la demande d’aide et de formation s’accentue
– chiffres et tendances-clé du Baromètre 2021
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