Le constat posé par le groupe d’experts AI 4 Belgium est rude: “Nous n’avons actuellement ni la masse critique, ni les outils nécessaires pour soutenir la transition [numérique / IA]. Nos écoles ne préparent pas les prochaines générations pour le 21ème siècle. […] Les programmes publics de reconversion professionnelle sont sous-financés et la gamme des services de formation est insuffisante en quantité et insuffisamment adaptée à la nouvelle économie. Nous n’avons pas les outils pour être transparents et donner suffisamment d’incitations pour la reconversion professionnelle.”
Le rapport de la coalition AI 4 Belgium propose dès lors de “créer un dynamisme qui encourage toutes les parties prenantes, y compris les syndicats, à investir dans et à encourager la formation permanente. […] Des études plus approfondies doivent être menées sur l’impact de l’IA au travail et l’interaction de la technologie et des humains. Cela permettra de se concentrer sur les emplois à risque [voir aussi notre encadré sur le sujet de l’emploi].
[…] Nous devons rassurer les gens en leur offrant des opportunités de formation mieux guidées et financées. […] La formation permanente doit faire partie intégrante de la mission centrale de toutes les écoles, particulièrement les universités et les hautes écoles. Il faut étendre la population d’étudiants à des personnes plus âgées.”
Reprenons tout cela dans l’ordre.
Démythifier et former
Face aux défis et aux potentiels de l’intelligence artificielle, la question des compétences, à créer ou à adapter, est considérée par tous comme l’élément essentiel, vital, indispensable.
Il faut apprendre aux humains à comprendre l’intelligence artificielle, son mode de fonctionnement, de réflexion, de déduction, de prédiction, afin que les algorithmes et, surtout, leurs formes autodidactes, ne soient pas des boîtes noires non maîtrisables.
De manière encore plus fondamentale – et prioritaire -, il faut expliquer ce qu’est l’IA, éliminer les préjugés et les idées conçues, ouvrir les yeux de manière objective sur les risques, les pièges, les lacunes…
Et pas uniquement pour les jeunes, pour pas uniquement les personnes actives (l’employé ou le travailleur “lambda”) mais aussi et peut-être essentiellement pour les leaders, les managers, les responsables politiques…
Voilà en gros les tâches qui nous attendent. Mais quelles méthodes employer, quelles mesures prendre? Une série d’avis et de “pointeurs” ont été énumérés lors de l’événement de présentation du rapport AI 4 Belgium.
Réinventer l’enseignement
Tous les échelons et lieux d’éducation ou formation potentiels sont invités à se mobiliser et à évoluer.
Le message d’un nécessaire apprentissage de l’algorithmique, dès le primaire et au secondaire, a été répété par les membres de la coalition AI 4 Belgium. “Il faut apprendre dès le plus jeune âge à développer un esprit critique face à l’IA, aux algorithmes afin que tous, notamment, puissent détecter les biais, qui sont inévitables, et pouvoir les réduire…”
Il faut “intégrer la pensée algorithmique dans le programme de formation et les compétences technologiques dans les cours existants. Il faut intégrer l’utilisation des données dans les cours tels que la géographie ou voir le codage comme une langue supplémentaire obligatoire.”
L’école doit – sans exclusive – reprendre la main: “il existe des programmes ambitieux en dehors du système scolaire, comme CorDojo ou xperibird.be. Mais ils n’ont pas l’envergure nécessaire. Et ce sont souvent les parents les plus aisés qui motivent leurs enfants à suivre ces programmes extra-scolaires.”
Et, quant à faire, utilisons l’IA pour décider de meilleurs formations possibles: “Nous conseillons d’intégrer des méthodes IA pour proposer des trajectoires d’apprentissage adaptées à chaque niveau de compétences, style et rythme d’apprentissage des étudiants. De même, les technologies OA peuvent aider les enseignants à se concentrer sur les éléments primordiaux.”
Jouer de tous les outils
D’autres acteurs ont également leur pierre à apporter à l’édifice. Du genre BeCode et sa récente initiative d’“école IA” (nous vous en parlions récemment)
Les Centres de compétences wallons, eux aussi, sont visés. “Il faut rapidement mettre en oeuvre des formations IA à leur niveau”, confirme Pierre Rion, président du Conseil du numérique wallon.
Les avis divergent apparemment sur l’identité des acteurs qui seront appelés à mettre les adultes à niveau, qu’ils soient professionnellement actifs ou non. Le rapport signale notamment que “la formation permanente doit faire partie intégrante de la mission centrale de toutes les écoles, en particulier les universités et les hautes écoles.” C’est là aussi un rôle que pourraient (devront) assumer les Centres de Compétences. Les uns n’excluant d’ailleurs pas les autres.
“Pour assurer la formation générale et le reskilling des citoyens, différents outils sont possibles”, souligne Ferdinand Casier, responsable Digital Industries chez Agoria: notamment des MOOC (un projet verra le jour au niveau fédéral, d’autres sans doute en régions) et des formations données par les Centres de Compétences tels que Technofutur TIC ou Technocité… Le privé aussi doit lancer des initiatives. On constate d’ailleurs que des entreprises initient des académies internes. Il y va après tout aussi de leur responsabilité…”
Où en est-on?
Mais qu’il s’agisse de former des jeunes ou de réorienter et mettre à niveau des personnes déjà actives, un exercice préliminaire consistera à faire un état des lieux précis à la fois des besoins en profils et des formations déjà existantes ou à ajouter au catalogue. Cette “cartographie” métiers-profils-compétences-formations sera l’un des tout premiers chantiers à entamer, tant au niveau fédéral qu’à celui des régions. L’analyse devra être suffisamment fine et précise afin d’aménager les formations adéquates, par l’opérateur le plus indiqué, avec une fluidité et une coopération entre les différents acteurs concernés.
“Il faudra une assez grande variété de profils – data scientists, analystes métier, data translators, data architects… Certains supposent de suivre une formation universitaire, pour d’autres un graduat suffira. Pour d’autres encore, une formation de courte durée, fournie par exemple par BeCode ou BeCentral sera plus indiquée”, explique Ferdinand Casier. “C’est pour cela qu’il faut une cartographie des profils, auxquels on relie les compétences et les rôles, les formations disponibles ou à prévoir…”
Il estime également important que “tous les étudiants, dès la première bac, qu’ils suivent des études d’économie, de droit, de sociologie, de psychologie…, puissent suivre un cours commun leur expliquant l’impact de l’IA sur la société. Tous doivent être sensibilisés.”
Cette formation commune devra aussi prendre une autre forme. Le rapport AI 4 Belgium met ainsi en avant la nécessité de créer des “masters interdisciplinaires en OA – par exemple, entre la médecine et l’ingénierie-, éventuellement via coopération entre les différentes universités.”
A suivre, dans notre petite série d’articles AI 4 Belgium:
– les actions destinées aux PME
– comment AI 4 Belgium envisage la suite
– le retour du national
Emploi: un de perdu, 3,7 de retrouvé?
Pour chaque emploi sacrifié ou supprimé en raison de l’IA, il s’en créerait 3,7 de nouveau… Un chiffre qui vient de McKinsey et que relaie volontiers Agoria.
“L’IA n’est pas un concurrent pour l’emploi”, soulignait, dans le même esprit, Alexander De Croo à l’occasion de la présentation officielle du rapport d’experts. “C’est juste un outil. Il faut dès lors le considérer sous un angle différent. A savoir l’interaction qu’il permet et implique entre technologie et nous, les humains.”
Marc Lambotte, patron d’Agoria, renchérissait: “Si l’on veut que 3,7 d’emplois se créent pour chaque emploi perdu, il faudra (re)mettre les compétences numériques de tout le monde à niveau et que chacun accepte éventuellement de changer de boulot. La Belgique est, je crois, prête à saisir les opportunités de l’IA mais il faudra pour cela travailler sur la “convergence”. D’une part, motiver les personnes actives en raison des importants besoins en formation. D’autre part, chacun devra prendra ses responsabilités pour saisir les opportunités pour lui-même.”
Côté responsables politiques et pédagogiques, il insistait sur la nécessité d’investir la moitié des budgets dans la requalification/réactualisation des compétences, d’adapter les curriculums et de s’attaquer au sujet des compétences techniques/numériques dès le primaire. Sans oublier, dans l’univers professionnel, la place que devront prendre de nouvelles méthodes, à commencer par la créativité et le travail en équipe. [ Retour au texte ]
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