En Belgique, tant au niveau régional que national, une multitude d’instruments et d’opérateurs ont été mis en place pour l’accompagnement économique et l’aide à la création d’entreprises. Mais comment juger des résultats obtenus, de l’efficacité des dispositifs?
Carl-Alexandre Robyn, associé-fondateur du Cabinet Valoro, se livre à un décryptage de ce qui existe et… de ce qui n’est pas mesuré, évalué, en termes de résultats.
Une évaluation statistique, analytique, claire et pertinente fait encore défaut…
Une palette très complète d’opérateurs…
En Belgique, les structures d’accompagnement à la création d’entreprise sont nombreuses, variées et complémentaires: c’est un bienfait.
Parmi les principaux acteurs de l’accompagnement des créateurs d’entreprises, il y a nos nombreux opérateurs d’animation économique agréés qui incluent les opérateurs de proximité (Cap Innove, Cide-Socran, UCM, BEP, CCI Luxembourg belge, Idelux, etc.), et les opérateurs spécialisés dans les matières qui touchent à la recherche et aux technologies.
Par exemple, les services de transfert de connaissances et de technologie des universités et des hautes écoles, membres du réseau LIEU (Liaison Entreprise-Université), et la vingtaine de centres de recherches agréés (Wal-Tech, Adisif, Picarré, Innovatech, etc.).
Le dispositif compte également des incubateurs publics spécialisés (I-Tech Incubator, WSL, etc.), des agences conseils en économie sociale (Credal, Ages, etc.) et une bonne douzaine de structures d’aide à l’autocréation d’emploi (SAACE). Sans oublier une dizaine de formations pour la création d’entreprise (dispensées par l’Ifapme, Group One, etc.) et le plan Airbag pour les indépendants (initié par le Forem).
De manière générale, à quelques exceptions près, chaque opérateur définit ses méthodes, son programme d’accompagnement, sa cible privilégiée, ses objectifs et son mode de financement.
… et une gamme très variée de dispositifs
Concomitamment, les dispositifs de soutien à la création d’entreprise sont très nombreux et peuvent prendre des formes extrêmement différentes. Ils peuvent être classés selon plusieurs critères, en fonction:
- du destinataire du soutien financier du dispositif
- on peut distinguer les dispositifs d’aides directes qui sont perçues par les créateurs eux-mêmes
- et les dispositifs d’aides indirectes qui visent à faciliter la création d’entreprises en soutenant des actions qui bénéficieront indirectement aux créateurs.
- On trouve, parmi ces derniers, le développement de la culture entrepreneuriale, l’encouragement des investissements dans les entreprises en création, le financement d’acteurs pour accompagner ou héberger les créateurs, le développement de systèmes d’information à destination des créateurs, par exemple ;
- de la forme du soutien financier
- on peut classer les dispositifs d’aides directes en quatre grandes catégories :
- les subventions et les exonérations, qui ne donnent donc pas lieu à un remboursement ultérieur ;
- les prêts et avances diverses qui devront être remboursés, parfois uniquement en cas de succès ;
- les dispositifs de garanties qui facilitent l’accès aux crédits bancaires ;
- les prises de participation en capital dans les nouvelles entreprises ;
- on peut classer les dispositifs d’aides directes en quatre grandes catégories :
- du type d’entreprises à créer – on peut, en particulier, distinguer les dispositifs visant les entreprises innovantes mais aussi s’intéresser à la variété des aides en fonction de la taille des entreprises ;
- du type de créateurs, sachant que les dispositifs peuvent viser, selon les cas, les chômeurs, les personnes éloignées de l’emploi, les chercheurs, les femmes, les séniors, les jeunes…
- de la phase de la création dans laquelle se trouve l’entreprise à créer: en amont, pour aider le créateur à définir son projet ; au moment de la création, pour l’aider à finaliser et à financer les premiers pas ; en aval, pour permettre la survie et le développement de l’entreprise.
Evaluation très lacunaire
Comprendre quel est l’impact réel des politiques menées par les différents opérateurs relève de la gageure. L’évaluation de l’efficacité et de l’efficience économique de chaque dispositif est un exercice délicat, qui suppose que l’on soit capable de rapprocher chaque dispositif de son impact. Cela présente plusieurs difficultés :
- il est rare qu’un créateur ne bénéficie que d’un seul dispositif de soutien. Ce cumul de mesures rend très complexe, voire impossible, le rapprochement d’une mesure et de son résultat, en termes de nombre de créations ou de consolidation de leur développement ;
Une évaluation très lacunaire de l’impact des opérateurs et des dispositifs en raison des difficultés pratiques pour recueillir des informations.
- les facteurs qui influent sur la pérennité d’une entreprise sont nombreux (formation initiale du créateur, moyens financiers, contraintes de santé ou de famille, capacité de management…). Cela empêche souvent d’isoler la corrélation entre l’effet d’une aide et le devenir de l’entreprise ;
- le contexte économique et financier fédéral et régional est un élément structurant pour la pérennisation des entreprises nouvelles: il impacte fortement l’efficacité des dispositifs et relativise les comparaisons temporelles ;
- l’analyse des taux de pérennité doit être faite avec prudence. D’une part, les taux de pérennité sont “naturellement” différents selon les entreprises. D’autre part, la disparition d’une entreprise n’est pas systématiquement le signe d’un échec: il peut s’agir d’un retour à un emploi salarié du créateur, d’une reprise de l’entreprise par une autre, etc.
Une grande méconnaissance du coût global
Compte tenu de la multiplicité des acteurs publics (Union européenne, Etat fédéral, Régions et Communautés, Provinces et communes), associatifs ou privés, proposant aux créateurs d’entreprise des prestations d’accompagnement (pendant la phase de montage du projet et parfois dans les premières mois ayant suivi la création) et des nombreux dispositifs existants, le coût global du soutien à la création d’entreprise est extrêmement difficile à déterminer, d’autant plus qu’il n’y a aucun système prévu pour regrouper ces informations.
Carl-Alexandre Robyn: “Aucune vue d’ensemble, ni aucun chiffrage global, ne se dégage des différentes interventions publiques en matière d’accompagnement à la création d’entreprises.”
Par conséquent, aucune vue d’ensemble, ni aucun chiffrage global, ne se dégage des différentes interventions publiques en matière d’accompagnement à la création d’entreprises.
Ainsi, on constate, entre autre, que, concernant l’Etat, les exonérations fiscales et sociales, qui constituent les montants les plus importants de son intervention, sont souvent oubliées au profit d’interventions moins coûteuses mais plus “visibles”, tels que les dispositifs de soutien direct à l’accompagnement pour la création et la reprise d’entreprises.
La mesure et l’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs sont très limitées.
Concernant particulièrement ces dispositifs de soutien direct:
>> Les informations en provenance de l’Etat et de ses opérateurs
Compte tenu de la multitude de financeurs et de l’absence de dispositif de suivi global, le coût total des financements publics destinés à l’accompagnement des créateurs d’entreprise est aujourd’hui inconnu.
Actuellement, en Belgique, on ne peut que recueillir des informations limitées sur les crédits de l’Etat et des organismes publics régionaux puisque même les interventions du Forem pour son plan Airbag pour les indépendants ne sont que partiellement chiffrées.
“Compte tenu de la multitude de financeurs et de l’absence de dispositif de suivi global, le coût total des financements publics destinés à l’accompagnement des créateurs d’entreprise est aujourd’hui inconnu.”
>> Les financements reçus par les réseaux
Les informations fournies par les réseaux permettent d’avoir une vue globale des financements publics, nationaux et locaux reçus. Mais le processus de collecte des informations est fastidieux.
Sur six réseaux analysés — ce qui ne permet pas d’avoir une connaissance exhaustive des financements reçus par l’ensemble des réseaux d’accompagnement —, on a par exemple pu constater que les crédits publics reçus représentent 71% de leurs budgets consolidés en moyenne mais avec des écarts importants entre les extrêmes (28% pour un réseau et 82% pour un autre réseau), les modèles économiques des réseaux étant sensiblement différents.
En outre, trois éléments doivent être gardés en mémoire :
– les budgets de fonctionnement ne couvrent pas uniquement les activités d’accompagnement des réseaux mais aussi leurs frais de structures (gestion, animation, communication, etc.), qui sont toutefois intrinsèquement liés à leurs actions d’accompagnement, les plus consommatrices de moyens humains ;
– les budgets couvrent les actions d’accompagnement des créateurs comme des repreneurs d’entreprises ;
– ces budgets n’intègrent pas la valorisation du bénévolat qui représente pourtant des montants très importants, notamment pour certains réseaux (75% du budget consolidé pour un des six réseaux étudiés).
>> Des sources de financement public nombreuses et non coordonnées
Comme on l’a vu ci-dessus, les sources de financement publiques sont très nombreuses et ne sont pas coordonnées puisque personne n’a une vue d’ensemble de ces financements, ce qui a plusieurs conséquences :
– un coût notable et une perte de temps et de moyens pour les structures d’accompagnement, qui doivent “partir à la chasse” aux financements chaque année, chaque financement faisant l’objet d’une convention particulière. On dénombre ainsi près d’une septantaine de financements publics annuels différents;
– la gestion des conventions est lourde, chacune comprenant des objectifs et des indicateurs à remplir et à suivre avec des cibles variées, les modalités de reporting étant différentes selon les financeurs. On estime que ces charges de gestion peuvent aller d’un tiers à parfois la moitié des financements accordés.
– un risque non négligeable, pour les financeurs, d’être plusieurs à financer la même action, tous les réseaux ne disposant pas de comptabilité analytique et une même action pouvant avoir éventuellement plusieurs effets qui peuvent intéresser des financeurs différents ;
– un saupoudrage qui prive chaque financeur public de la possibilité d’influencer réellement les orientations stratégiques des différents réseaux financés.
Mais cette situation n’est que l’illustration d’une insuffisance de coordination et de pilotage des acteurs.
Complications byzantines
Concernant les interventions des Régions, Communautés, Provinces et communes, les éléments chiffrés sont encore plus rares et disparates. Il n’y a pas de synthèse globale des crédits consacrés au soutien à la création d’entreprises, ni par type de collectivité, ni même, parfois, au sein de certaines collectivités.
En outre, de nombreux dispositifs impliquent à la fois la création et la reprise d’entreprise et il est souvent difficile de distinguer la part des coûts qui relève de chacune de ces deux cibles, dont les définitions sont par ailleurs fluctuantes, selon les acteurs ou les actions menées.
Aussi, compte tenu de cette absence ou insuffisance de chiffrage, les importances respectives de l’intervention financière globale de l’Etat et de celle des autres pouvoirs publics, cette intervention fait l’objet d’appréciations divergentes, selon les acteurs rencontrés. Et ces derniers s’accordent au moins sur un point: les complications byzantines de notre système informationnel engendrent une dose considérable d’incertitude, pour toutes les parties prenantes (pouvoirs dispensateurs, opérateurs, bénéficiaires des aides).
Les aperçus contradictoires reposent souvent sur des diagnostics insuffisants, faute d’informations disponibles. L’ensemble rend les évaluations ex ante et ex post particulièrement difficiles. L’amélioration des statistiques sur le sujet de la création d’entreprises, notamment en facilitant les rapprochements entre les systèmes d’informations existants, est donc très souhaitable.
Une action positive, en dépit de tout
Le labyrinthe des différents opérateurs, de leurs différentes missions (dont certaines se chevauchent) et de leurs divers outils, est souvent présenté comme le fruit d’une nécessité, voire un raffinement illustrant son haut degré de perfection. Pourtant le caractère superfétatoire d’une partie de ce millefeuille est indubitable.
L’amélioration des statistiques sur le sujet de la création d’entreprises, notamment en facilitant les rapprochements entre les systèmes d’informations existants, est plus que souhaitable.
L’effroyable complexité des démarches pour obtenir des informations (études et statistiques pertinentes) concernant l’impact réel de nos dispositifs de soutien direct aux créateurs d’entreprises n’est pas seulement coûteuse, elle peut également être interprétée comme l’outil de l’opacité de l’Etat.
Ces complications sont en réalité des tirs de barrage: protégé par l’opacité de ses propres dédales, le dispositif public de soutien direct aux créateurs d’entreprise peut grossir en paix, engendrer des postes confortables, servir ses clientèles, distribuer selon ses préférences l’argent du contribuable (plusieurs dizaines de millions d’euros) en toute impunité, puisqu’il n’y a pas d’analyse suffisamment profonde de son efficacité.
Malgré ces limites, les résultats des réseaux montrent que leur action est positive pour faciliter la création, améliorer les taux de pérennité et d’embauche des entreprises.
Ce qui est donc compliqué pour un observateur attentif, c’est de relativiser l’apparente efficacité du dispositif d’accompagnement en fonction de la masse de crédits publics abondés dans les différentes structures d’accompagnement.
“L’effroyable complexité des démarches pour obtenir des informations (études et statistiques pertinentes) concernant l’impact réel de nos dispositifs de soutien direct aux créateurs d’entreprises n’est pas seulement coûteuse, elle peut également être interprétée comme l’outil de l’opacité de l’Etat.”
Quand un réseau d’accompagnement cite à titre d’indicateur d’impact et d’efficacité pour les créations d’entreprises le nombre d’emplois créés par entreprise créée (par exemple 1,3 emploi créé par entreprise créée), il est bien en peine d’expliquer, de manière convaincante, le coût réel moyen de l’emploi créé, ou l’effet de levier moyen des prêts accordés (notamment les prêts d’honneur) aux créateurs de start-ups.
Carl-Alexandre Robyn
Associé-fondateur du Cabinet Valoro
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