Cédric du Monceau est échevin de l’Urbanisme à Ottignies-Louvain-la-Neuve. C’est à ce titre mais aussi en raison de son engagement pour la planète (voir en fin d’article) qu’il a saisi l’occasion que lui offrait, voici environ un an, EuroGreen IT de réaliser un audit “Smarter Cities Assessment” (conduit par le duo IBM/Climact).
Objectif: évaluer comment la ville se positionne par rapport à d’autres environnements urbains, belges et étrangers, en termes d’efficacité de ses services et modes de fonctionnement. L’évaluation passe au crible différentes “dimensions”: mobilité et transports, gestion de l’énergie et de l’eau, services à la population ou aux entreprises, empreinte carbone…
Nous avons voulu savoir, au-delà des résultats bruts de l’audit, dans quel esprit il avait engagé sa ville dans cet exercice. L’entretien fut l’occasion de parler de ville intelligente, des atouts d’Ottignies/Louvain-la-Neuve, des efforts encore nécessaires. Il a aussi été question, d’un point de vue plus général, de la manière dont une ville peut ou doit s’approprier ou non la maîtrise des technologies, de la possibilité qu’elle a ou non d’impulser le changement en faveur du développement durable. Cela fut l’occasion pour Cédric du Monceau de mettre l’accent sur ces freins et obstacles qui, du côté des procédures, des lois et des habitudes, rendent la chose parfois difficile. Le tout sur fond de rouages démocratiques qui se sont complexifiés, avec des processus et fonctionnement de niveaux de pouvoir qui ne permettent pas forcément de tirer parti – dynamiquement – des nouvelles technologies. Politique et réactivité sont deux réalités qui, indique-t-il, se dirigent vers un clash.
Régional-IT: Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce Smarter City Assessment, qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cet exercice?
Cédric du Monceau: La conviction que nous avons la chance d’avoir une ville qui, dès le départ et sans le savoir [Sourire], a été conçue avec des concepts de développement durable pour la gestion urbanistique. Le fait de créer une ville piétonne dans les années ‘60-’70 est en soi exceptionnel puisque c’était les 30 glorieuses et que c’était le tout à la voiture, à l’étalement urbain plutôt qu’à la densification urbaine. Cet engagement vers un développement urbanistique durable s’est fait un peu sans le savoir et pour des raisons qui avaient davantage à voir avec le plaisir urbaniste d’historien de l’art. En effet, Raymond Lemaire, le fondateur de Louvain-la-Neuve en matière d’urbanisme, n’était pas urbaniste mais historien et avait une vision de la convivialité d’une ville. Sa vision urbaniste. anticipait le retour vers l’humain que forcent aujourd’hui les exigences d’un monde qu’on découvre non durable.
Quand on nous a approché [pour cet audit Smarter Cities], nous nous sommes dit que bien qu’on en fasse déjà beaucoup, on n’en faisait peut-être pas assez. On ne s’appuie par exemple pas assez sur les technologies nouvelles qui nous permettraient une meilleure gestion de la ville et de la convivialité entre les habitants. On ne s’en sort pas mal mais sans rien d’exceptionnel. Nous rencontrons les mêmes problèmes que les autres villes parce que la tendance structurante fait qu’on est dans le même environnement que chacun. L’étude nous a permis de mieux cibler les projets, d’encourager davantage d’initiatives qui soient par exemple complémentaires de ce qu’on faisait déjà. A savoir un Plan 2050, un plan de développement durable et un Agenda 21 actuellement en construction.
Cédric du Monceau: “On ne va jamais assez vite. On ne fait jamais assez bien. Il reste beaucoup de choses à faire.”
Depuis que le Smart City Assessment a été réalisé, nous avons ajouté un annuaire géolocalisé qui permet à toute personne qui a un service à offrir de s’inscrire gratuitement et d’être géolocalisé sur une carte plus précise que celle de Google puisque c’est celle de la ville. On peut être averti des problèmes de trafic par SMS…
“En matière d’énergie, avoir une évaluation macro-économique de notre ville et de son impact est extrêmement utile.”
En termes de CO₂, il y a encore beaucoup de choses à faire mais nous avons un échevin de l’énergie, ce qui en soi est déjà révélateur d’une volonté d’action. La ville avait déjà initié pas mal de projets de gestion de ses propres bâtiments mais nous avons initié une révision de notre règlement communal d’urbanisme pour faire en sorte que le concept de développement durable soit mieux intégré dans le règlement. Tout cela est long, lent, laborieux mais on y arrivera.
“On ne s’en sort pas trop mal”, dites-vous. Quels domaines aviez-vous ciblés dans les aspects que vous vouliez faire évaluer?
Ce qui m’a le plus plus dans l’étude, c’est l’étude carbone car on ne l’avait pas avant. On travaillait déjà beaucoup dans le domaine de la mobilité, du lien route-rail… Par contre, pour ce qui est de l’énergie, avoir une évaluation macro-économique de notre ville et de son impact est extrêmement utile.
Le rapport d’audit [en répartissant par exemple les émissions par domaine] nous démontre facilement où mettre l’accent: mobilité, énergie, infrastructures, logistique… Cela objective le débat sur le travail qu’on doit faire…
Avez-vous eu des surprises par rapport à ce que vous attendiez, par rapport aux projets déjà en cours, aux objectifs définis? Avez-vous réorienté vos objectifs ou vos priorités?
Pas nécessairement réorienté parce que nous avions la chance d’être déjà dans un effort collectif puissant. Nous avons plutôt accéléré. Quand on voit l’impact du type d’urbanisation sur les résultats, on se dit que le rôle de l’urbanisation, du permis d’urbanisme et des structures qu’on met en place sont capitales pour l’avenir, voire le conditionnent. Si je prends les recommandations et conclusions du rapport, certaines étaient déjà perçues- telles les économies que permet une simple réduction de 1°C dans les bâtiments-, ou évidentes pour nous- par exemple l’amélioration de la mobilité des employés par une utilisation plus importante des transports en communs et “modes doux”. Pour d’autres, telles la réduction des déplacements domicile-travail, nous appliquons déjà des formes de co-voiturage sur tous les systèmes qui existent (car sharing…). On a l’un des seuls points-vélo/gare du Brabant wallon… En matière d’énergie, nous sommes en train de redéfinir notre plan communal de développement durable, en y intégrant un Agenda 21, ce qui complète, comme le recommande le rapport, la stratégie existante.
L’exercice de réflexion et le document d’audit ont servi de catalyseurs. L’audit n’a pas totalement changé la perception mais a amené un regard plus moderne, puisqu’il part des ICT. Les perspectives sont intéressantes.
A cet égard, le rapport recommande de “travailler en partenariat avec des acteurs wallons afin d’introduire le métrage intelligent [via compteurs intelligents] sur la consommation de l’énergie”…
Je suis tout à fait d’accord avec ce conseil d’introduire le métrage intelligent. C’est clair que la ville pourrait y participer même si ce n’est pas son métier. Mais des expériences réalisées en Angleterre démontrent qu’il est important d’installer l’équipement dans la cuisine ou dans un espace de famille, où toute la famille peut être sensibilisée par un truc sympa, plutôt que de le mettre à la cave où seul le père de famille passe de temps à autre pour relever le compteur…
Ce métrage intelligent ne serait-il pas utile aussi pour les bâtiments publics, services publics en général ?
Je pense que chaque pièce devrait avoir un indicateur de consommation. Il faut trouver un moyen ludique. L’homme fonctionne par le désir quand il fonctionne bien. Sinon il fonctionne par la peur. Il faut donc créer le désir. Avoir un indicateur qui montre qu’on est dans le bon ou non, dans le vert ou dans le rouge, inciterait sans doute toute personne à baisser le chauffage, à fermer la fenêtre…
Nous avons 10% de la population qui sont dans des quartiers sociaux. Pour eux, c’est tout simplement capital, bien plus utile que pour n’importe qui, puisque c’est de l’économie directe. Or, dans ces maisons sociales qui ont été mal faites, mal isolées, il n’y a aucune sensibilisation. Il faut agir sur les deux aspects: le structurel et la motivation.
Comment la ville peut-elle s’approprier ces technologies? Est-ce elle qui doit avoir la maîtrise, la connaissance et donc la décision d’appliquer les technologies? Ou doit-elle se faire aider par des partenaires, neutres ou commerciaux?
Tout dépend des secteurs. Mon avis personnel est que la puissance publique doit être moteur et doit dès lors rarement s’enliser dans la gestion. Dès qu’on est dans la gestion, on connaît la pesanteur de l’inertie. Si on veut rester une puissance publique forte, il faut éviter de s’enliser dans des gestions besogneuses, opérationnelles. Il vaut mieux être petit et puissant que gros et léthargique. Une ville comme la nôtre se doit d’être agile, d’utiliser les technologies existantes pour rendre de plus grands services à sa population et avoir le moins d’impact nocif sur la nature qui l’entoure. Ce n’est pas à nous de posséder ces technologies sauf si elles touchent aux droits des personnes, au respect de leurs libertés. Pour tout le reste, je crois qu’on peut être locataire de la machine, des technologies. Cela permet d’évoluer plus rapidement. Pourquoi ne pas partager avec d’autres villes ? Avec la location, on paie peut-être plus cher à l’heure mais ce sera toujours moins cher dans la durée. Il y a comme un effet d’optique à cet égard.
Cédric du Monceau: “Si on veut rester une puissance publique forte, il faut éviter de s’enliser dans des gestions besogneuses, opérationnelles.”
Vous dites que la puissance publique doit être moteur. Il doit donc malgré tout y avoir une maîtrise, une connaissance, une impulsion qui est donnée par des décideurs de la ville…
C’est toute la difficulté. Il est beaucoup plus difficile d’être proactif que réactif. Une administration a du mal à être proactive parce qu’elle s’enlise souvent dans trop de gestion et en devient donc otage. Si on possède les technologies, il faut les amortir. On est alors otage pendant des périodes de 5 ans. Ce raisonnement ne tient que là où c’est stratégique de posséder. Il y a, dans le secteur public, une réticence à aller vers le cloud computing. A juste titre, d’ailleurs, en ce qui concerne le core business, puisqu’il y va de la protection des droits de gens. Mais cela ne correspond probablement qu’à 10% seulement de l’IT et des besoins…
Comment définissez-vous une ville intelligente?
C’est une ville où les services à la population accompagnent les gens dans leur propre énergie, où les services sont disponibles de la manière la plus efficace possible. Ce que j’entends par intelligence, c’est la capacité d’utiliser toutes les technologies qui existent pour rendre service.
L’intelligence, au sens bon sens du terme, c’est le bien-être. Nous portons une responsabilité par rapport à notre quotidien. La ville doit faciliter ce bonheur de vivre au quotidien.
Comment voyez-vous une Ottignies-Louvain-la-Neuve « intelligente »? Quel degré d’intelligence lui voyez-vous?
En matière d’infrastructure, Louvain-la-Neuve est unique, exceptionnelle. De son côté, Ottignies a eu l’intelligence d’accepter certains éléments hardware. Par exemple; accepter l’infrastructure ferroviaire comme étant un progrès, l’implantation de Louvain-la-Neuve sur les champs comme étant un progrès. Aujourd’hui, c’est l’implantation du RER… Il y a dans le “hardware” de notre ville tout ce qu’il faut pour créer au mieux une ville harmonieuse. En matière d’intelligence “soft”, on n’est encore nulle part mais on n’est pas moins loin que les autres [Sourire]. Ce n’est pas par manque d’envie ou de compétence de l’administration mais en raison des obstacles que le droit nous impose, dans les processus de gestion de la démocratie.
Vous pouvez donner des exemples?
Pourquoi faut-il encore se réunir nécessairement pour décider dans des réunions figées? Si la démocratie veut s’agrandir… Je constate que la démocratie s’est complexifiée. Lorsqu’elle est née, il n’y avait que trois niveaux: commune, province, nation. En analyse combinatoire, cela donne une puissance 3 en complexité. Aujourd’hui, pour les mêmes pouvoirs, on est à 6 ou 7 niveaux de complexité: commune, province, communautés, régions, nation, Europe, Fond monétaire et OMC- ces deux derniers niveaux ayant la préséance pour le pouvoir des lois et de l’argent.
En analyse combinatoire, la puissance 6 c’est beaucoup plus que 2 fois plus compliqué. Et en même temps, les individus vivent aujourd’hui dans une société où la communication est à la vitesse de la lumière.
“Le personnel d’une administration a peu de motivations à oser le changement puisqu’il n’y a aucun incentive de récompense au changement. Les gens vivent dans la crainte d’être dans l’erreur plutôt que dans l’ambition de bien faire. C’est davantage la peur qui domine que le désir et la possibilité du désir.”
Quand on en était encore à une époque “puissance 3” de la démocratie, on en était encore à la vitesse de communication du cheval. Aujourd’hui, le mail est immédiat. On a deux mondes qui deviennent totalement antagonistes. D’une part, les gens et les entreprises qui fonctionnent à la vitesse de la lumière. Et, de l’autre, le monde politique qui est censé donner du sens à l’action, qui vit dans un monde complexité 7, avec une vitesse de décision, de réaction qui n’arrive pas à suivre.
Je crois qu’on va vers un clash inévitable où la politique, la gouvernance politique doivent être simplifiées et, en même temps, où la légitimité démocratique doit être orchestrée de manière différente en utilisant par exemple Internet. En partie, tout au moins. C’est une vraie révolution structurelle dans la manière dont fonctionne la démocratie. Les nouvelles technologies vont être utiles pour permettre, malgré tout, de compenser la complexité du système de processus de décision.
Dans mon domaine, à savoir l’urbanisme, pourquoi une demande de permis doit-elle suivre le cheminement de l’enquête publique qui impose qu’on mette une affiche à côté du terrain? On est dans le hardware, pas dans le software. On peut imaginer qu’on impose que cela passe aussi par Internet. Mais comme nous vivons dans un processus de décision qui a cette énorme complexité, cela impose au politique et à l’administration un stress qui devient ingérable.
Comment briser cette complexité à votre niveau puisqu’une partie de la problématique du développement durable dépend non seulement du citoyen mais aussi des étages intermédiaires dans cette construction à 7 étages de complexité que vous avez expliquée? Quelles possibilités d’impulsion avez-vous à votre niveau?
Là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin. Mais cela dépend du domaine. Il y a des freins, une inertie. Si je reprend l’exemple de l’enquête publique par Internet, pourquoi pas? Je peux le faire sans que la loi m’y oblige. Mais est-ce que j’arriverai à convaincre l’administration de le faire alors que la loi ne l’oblige pas et que par ailleurs la loi lui impose plein d’autres choses qui ne sont pas utiles ?
Quelle sera la suite de l’audit de votre côté ou de la part des initiateurs du Smarter City Assessment? Y aura-t-il, à moyen ou plus long terme, un nouvel exercice d’évaluation pour mesurer vos progrès ou projets, pour vérifier l’application des recommandations?
Je trouverais très utile qu’à chaque législative une évaluation soit effectuée en matière d’énergie et d’empreinte carbone. Pour ce qui est des autres choses, il n’y a pas forcément le besoin de refaire le point aussi souvent.
Cédric du Monceau est échevin de l’Urbanisme à Ottignies-Louvain-la-Neuve. Mêlant fibre humaniste (sa couleur politique) et environnementale, il a également été à l’origine du forum One People One Planet qui se veut “un lien entre Davos et Porto Allegre”, un lieu de “dialogue participatif pour un développement durable”. Organisé pour la première fois fin août 2011 à Louvain-la-Neuve, ce Forum vise à réunir les acteurs de la gouvernance publique (en particulier les instances de financement), les organisations citoyennes (ONG et entrepreneurs sociaux), les entreprises privées et les citoyens de différentes générations “afin qu’ils élaborent ensemble une vision alternative et commune du monde. Cette dernière part de la nécessité et de l’urgence d’établir une meilleure liaison entre l’humanité, sa démographie et ses besoins et les limites de la biosphère dont elle dépend. Elle appelle à un changement de paradigme dans la structure de nos pensées et de nos activités.”
L’édition 2012 du Forum se déroulera à Louvain-la-Neuve du 23 au 25 août.
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