En début d’année, la DG Entreprise et Industrie de l’Union européenne désignait deux “districts créatifs” – la Wallonie et la Toscane.
L’idée sous-jacente: démontrer, sur base d’un programme d’actions rentrée par ces régions, que les “industries créatives” (voir la définition qu’en donne la Commission) peuvent relancer la compétitivité économique d’une région en modernisant et faisant “pivoter” des activités industrielles plus anciennes qui ont longtemps constitué un axe porteur pour cette région.
Pendant 30 mois (c’est-à-dire jusqu’en juillet 2015), la Wallonie servira de “large-scale demonstrator” afin de mettre à l’épreuve et de formaliser des “bonnes pratiques” en matière de redéveloppement économique alimenté par les industries créatives (ICT, média, architecture, design…).
Coup d’envoi
Ce 24 avril, une soirée de lancement avait été organisée par la Région afin de donner quelques exemples de sources et ressources wallonnes de créativité et pour donner la parole à une série d’acteurs, venus d’horizons divers (économiques, politiques, académiques),, qui ont partagé leurs visions des défis et opportunités que sous-entend la mise en exergue des “industries créatives” comme sources de revitalisation économique.
Nous vous proposons donc revivre cette soirée, au fil de quelques petites phrases et de messages que ces divers intervenants ont tenu à faire passer.
Les préjugés subsistent
Elio Di Rupo était venu donner le coup d’envoi de cette soirée, rappelant que la désignation de la Wallonie comme “district créatif européen” était l’un des aboutissements d’un long processus de relance entamé voici déjà plus de 10 ans avec la mise en chantier de ce qui s’appelait à l’époque le “Contrat d’Avenir”.
Même si des progrès tangibles ont été accomplis, le Premier ministre relevait que “la Wallonie souffre… surtout de préjugés.” Les “images préconçues, les clichés” persistent alors que “la Wallonie résiste mieux que ses voisins en ces temps de crise”. Toutefois, soulignait-il, le regard porté sur la Région évolue. “La Wallonie est devenue très tendance. Les observateurs sentent que quelque chose de structurel et de fondamental est en train de bouger.”
S’en suivaient quelques petits messages à certains acteurs. Au monde de l’enseignement, d’abord. Si la formation est de qualité et s’il y a un “potentiel extraordinaire” du côté des chercheurs scientifiques, “il reste beaucoup de choses à faire pour transposer ce potentiel” dans la vie économique.
Aux jeunes, ensuite: “tous les métiers sont beaux, toutes les études sont intéressantes mais les études scientifiques peuvent favoriser la créativité, permettre aux jeunes d’apporter beaucoup à la Wallonie.”
La créativité n’a pas de frontière…
… et donc pas de nationalité. Elle n’est pas l’apanage de certaines contrées ou “vallées”.
Comme le déclarait Ben Stassen, fondateur de nWave Pictures, “nous disposons désormais des mêmes outils [technologiques]. Nul n’est donc besoin d’aller vers les studios Disney pour être créatifs.”
A ses yeux (et il était rejoint en cela par d’autres créateurs venus du monde du textile, des arts ou du secteur pharmaceutique), “la clé de l’économie créative est la propriété intellectuelle. Il faut être propriétaire de ses créations. Sans propriété intellectuelle, nous ne sommes que des artisans, aussi bons sommes-nous…”
S’il y a certaines choses qui sont bonnes à prendre dans des modèles lointains, notamment du côté de l’éducation et de la formation “made in US”, Benoît Macq, professeur à l’UCL, soulignait que “les Etats-Unis forment surtout des super-experts. En Europe, l’enseignement fait plus de place aux interfaçages, aux bouillonnements. Il faut préserver nos spécificités, à savoir les systèmes intégrés de nos universités où tout le monde collabore. Nos universités sont de taille moyenne mais avec une richesse énorme.”
Un avis partagé par Eric Haubruge, vice-recteur de l’ULg et président du comité de direction de la Faculté de Gembloux: “plus que d’industrie ou d’économie collective, je parlerais de “collectivité créative”. A cet égard, l’université doit en être l’un des acteurs. Il faut qu’il y ait interpénétration des disciplines de recherche et d’enseignement.”
Michel Vankerkem (Umons): “Il faut marier les opposés pour déclencher la créativité.”
Et même au-delà. Michel Vankerkem, professeur en économie et management de l’innovation à la Faculté Polytechnique de Mons, soulignait pour sa part que des lacunes existaient encore dans la composition de certaines équipes. “certains départements d’entreprises manquent de chercheurs, au sens de gens curieux. Pas étonnant dès lors que de nombreux départements commerciaux ne fassent pas de marketing research. De même, il n’y a pas non plus de marketing au sein des laboratoires de recherche. Il faut y remédier. Et il faut aller au-delà des simples équipes mixtes ou multidisciplinaires. Il faut marier les opposés” pour déclencher la créativité. Et pour trouver ce que Benoît Macq appelait des “innovations de rupture. la créativité artistique peut être l’un de ces feux que l’on doit allumer au sein des communautés. […] Certaines start-ups ne décollent pas suffisamment vite parce qu’elles ne sont pas assez dans la rupture, dans le décloisonnement, dans l’ouverture- en ce compris à la dimension internationale.”
Autre nécessité absolue à ses yeux: “donner envie. Parce que la nouvelle génération a besoin de sens.”
Benoît Macq (UCL): “Trouver des innovations de rupture. Adresser les grands défis sociétaux, Donner envie. Parce que la nouvelle génération a besoin de sens.”
A ses yeux, il s’agit aussi, pour l’enseignement, de revoir certaines pratiques, de se remettre en question: “il faut innover en pédagogie. Les grands auditoires ont fait leur temps. Il faut passer à davantage d’actions, au modèle de tutorat, avec davantage d’interaction. Le professeur n’a pas la science infuse. Il doit apprendre chaque jour en enseignant.”
Nécessité fait loi
Défavorisée? Meurtrie? Désenchantée? Démoralisée, la Wallonie?
“Le désenchantement était devenu comme une marque de fabrique”, déclarait Jean-Claude Marcourt. “Après les 30 glorieuses, on avait comme l’impression que plus rien ne serait possible. Mais la créativité est dans le patrimoine génétique de la Wallonie. Pour donner leurs chances aux nouvelles générations, il fallait décloisonner, clusteriser, mais en ne se limitant pas à l’innovation technologique. 90% de l’innovation est dans le non-technologique.”
L’un des symptômes du manque quasi chronique de confiance en soi dont fait preuve la Wallonie, le Wallon? “Sans la Commission européenne, sans cette nomination en tant que district créatif, beaucoup de Wallons n’auraient pas cru qu’on peut le faire. Un regard extérieur est parfois nécessaire pour insuffler la confiance. Biotechnologies, Franco Dragone… on peut tout faire en Wallonie.” Et de formuler cet espoir: “La créativité doit être quelque chose de pavlovien.”
Jean-Claude Marcourt: “La créativité doit être quelque chose de pavlovien.”
Une pensée iconoclaste, exprimée par Eric Domb, fondateur de Pairi Daiza: “Notre grande chance est de ne plus avoir, chez nous, de matières premières. Il ne nous reste plus que la matière grise sur laquelle miser. Une autre grande chance est la modestie des Wallons. Comparé à d’autres cultures plus impérialistes. Cela nous permettra de nous apercevoir bien vite que notre seule issue est de promouvoir l’esprit d’entreprise. Parce que nous n’avons pas d’autres choix, la Wallonie a de grandes chances devant elle.”
Sanghoon Degeimbre, chef étoilé, est le patron de L’Air du temps. Il est aussi l’initiateur de l’asbl Génération W, qui réunit pour l’instant neuf chefs. L’ambition: “tirer la Wallonie vers le haut, la réveiller.” A ses yeux, le Wallon doit devenir plus chauvin, mieux mettre en valeur et exploiter ses qualités premières (convivialité, dynamisme, amour du terroir, ouverture…). “La génération W, c’est à la fois la génération Web et la génération Wallonie.”
Quelques petites phrases encore:
Daniel Calleja Crespo (directeur général de la DG Entreprise et Industrie, à la Commission européenne)
“Les industries créatives sont le moteur de la réindustrialisation de l’Europe […] Elles portent en elles un potentiel régénérateur.”
”Les industries créatives sont plus entrepreuriales. Les acteurs qui y évoluent sont davantage prêts à prendre des risques.”
Jean-Claude Marcourt (ministre de l’Economie et des Technologies nouvelles)
“Wallonie Creative District” est une réelle opportunité pour pousser plus loin le mécanisme de décloisonnement initié par le programme Creative Wallonia.” Un décloisonnement qui doit permettre aux acteurs de tous horizons de travailler davantage ensemble: privé/public, enseignement/entreprises, innovation technologique et non technologique… “C’est l’occasion pour la Wallonie et s’inscrire plus nettement dans le concert européen et de prouver que de nouvelles choses sont possibles.”
Yves Delacollette (membre du comité stratégique de Franco Dragone Entertainment Group), au sujet de l’ambition de cette société: “faire de la Wallonie la Silicon Valley du spectacle vivant.”
Michel Vankerkem (Umons): “L’innovation, c’est savoir se remettre en question. Pivoter. Etre extrêmement humble devant l’erreur. Et ne pas en avoir peur.”
François Fornieri (fondateur et CEO de Mithra Pharmaceuticals): “Il y a une différence fondamentale entre un entrepreneur et un manager. On ne s’improvise pas entrepreneur. On l’est ou on ne l’est pas, par nature. Par contre, on peut devenir un manager.”
Une réflexion sur laquelle Eric Domb (Pairi Daiza) rebondissait en déclarant: “Un entrepreneur est une personne qui respecte l’enfant qui est en lui. Quelqu’un qui accepte de prendre des risques. Chacun naît entrepreneur. Un enfant d’un an qui tombe est un entrepreneur.” Plus tard, le principe de précaution, l’amour des parents… contribuent à brider cette nature première.
Cristina Scaletti (ministre de la Culture, du Commerce et du Tourisme de la Région de Toscane): “Il faut préserver la personnalité de chaque région pour que, toutes ensemble, elles aident à sortir de la crise. Il faut garder ses différences, les développer, pour être plus compétitif.”
Les industries créatives s’appuient sur un héritage culturel riche et diversifié, sur des aptitudes, des métiers et des praticiens créatifs, eux-mêmes supportés par des services novateurs et entrepreneuriaux, débouchant par une matérialisation créative. Les industries créatives procurent des services et des produits dans des secteurs tels que l’édition, les médias, les logiciels, la consultance, la publicité, les arts, le divertissement, la conception et l’architecture.”
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