L’un des thèmes qui tient à coeur à Baudouin Corlùy, directeur d’Agoria ICT depuis septembre dernier, est sans conteste celui de la formation et de l’adéquation des compétences. Qu’il s’agisse de motiver les jeunes, de les préparer au nouveau paysage numérique, de pallier aux postes vacants, de susciter le sens de l’innovation, le rôle de l’enseignement est indéniable.
Gare aux carences en compétences
En la matière, les carences persistent. Carences en formation des apprenants mais aussi des enseignants; faible représentation des filles dans les études IT (ou assimilées); désintérêt des jeunes pour ce genre d’études… Des mesures correctrices, structurantes, devraient être prises. Accompagnées d’un travail de promotion de longue haleine.
Baudouin Corlùy (Agoria ICT): “Les inscriptions aux études secondaires à orientation ICT augmentent mais insuffisamment par rapport aux besoins qui, eux aussi, sont en croissance.”
La réalité, souvent, est toute autre. Baudouin Corlùy s’insurge par exemple contre la décision prise récemment par la VVKSO (fédération flamande de l’enseignement secondaire catholique) de supprimer les cours d’informatique dans les écoles techniques et professionnelles du secondaire. “C’est une aberration totale. D’autant plus qu’il y a un manque de ressources humaines dans le secteur ICT et que l’ICT s’insère partout dans la société. L’argument selon lequel on supprime les cours IT parce que l’ICT va être intégrée, par la force des choses, aux autres cours, ne tient pas la route. Ce n’est pas parce qu’on utiliserait une tablette numérique dans tel ou tel autre cours que les étudiants maîtriseront l’IT…”
Or, une nouvelle étude d’Agoria [qui sera publiée courant avril] révèle que les postes à pourvoir, ne trouvant pas preneurs, sont de plus en plus nombreux. “Les derniers chiffres parlaient de 9.300 places vacantes dans le secteur IT et dans les départements IT (secteurs privé et public). La pénurie s’accentue. Surtout dans des métiers liés à l’architecture IT, à l’architecture d’entreprise et à la gestion de projets. Or, c’est là un élément déterminant pour la place que nous occuperons demain dans le monde. Certes, il y a le recours de l’outsourcing mais les IT locales ne tourneront pas d’elles-mêmes, comme si de rien n’était, si tout est externalisé en Roumanie, par exemple”, prévient Baudouin Corlùy.
Travailler sur l’attractivité
Pour attirer les jeunes vers les études IT, Agoria ICT entend poursuivre ses programmes d’informations, tels que les séances “100 informaticiens pour 100 écoles” (et son homologue flamand “CEO Tour”). “Il s’agit de souligner l’importance de l’IT, de donner une autre image du secteur.” Autre initiative: l’événement DigitaLife qui se tiendra le 25 avril à Tour & Taxis. “Des centaines d’élèves y participeront à des ateliers organisés par des entreprises. Ils seront destinés à montrer que l’ICT, ce n’est pas uniquement de la programmation. C’est aussi imaginer, mettre des architectures en oeuvre…”
Pour Baudouin Corlùy, “l’enseignement de l’ICT est nécessaire chez les plus jeunes, dès le primaire. Il faut en effet favoriser une approche analytique, plus holistique de l’IT, en ce compris donc dans ses aspects de logique, de réflexion, d’usages, d’infrastructure… Il s’agit aussi d’attirer davantage de jeunes vers les formations supérieures. Il faut travailler davantage avec les universités et les enseignants, éduquer ces derniers, aider les Hautes Ecoles et les universités à organiser des programmes qui soient en ligne avec les besoins des entreprises.”
Baudoin Corlùy: “L’informaticien de demain devrait avoir une vision globale, être à même de réorienter ses compétences vers les besoins qui se font jour. Il faut éviter de former les jeunes en silos. Il vaut mieux avoir d’excellents généralistes que des spécialistes. Quitte à se spécialiser lors d’un 3ème cycle. Les bacs devraient procurer des formations plus ouvertes.”
Ce genre de jugement n’est pas neuf. Baudouin Corlùy tient simplement à le réactualiser: “Les technologies mobiles sont très en vogue et c’est bien d’attirer les jeunes vers ce créneau mais il ne faut pas faire abstraction du phénomène hype, du fait qu’il ne s’agit que d’un marché de niche.” Sous-entendu: ne pas négliger pour autant tous les autres volets de l’ICT.
Quel regard Baudouin Corlùy jette-t-il sur les carences, le manque d’adéquation des programmes par rapport aux besoins du marché? “On manque de ressources humaines en Java, en .net, pour les solutions cloud… Mais il n’y a pas de réponse unique. Il faut éviter de trop se focaliser sur une seule problématique. L’informaticien de demain devrait avoir une vision globale, être à même de réorienter ses compétences vers les besoins qui se font jour. Celui qui aidera le plus la société est celui qui aura une vue d’ensemble des problématiques et des besoins. Il faut former les jeunes à tout et non en silos. Il vaut mieux avoir d’excellents généralistes que des spécialistes. Quitte à se spécialiser lors d’un 3ème cycle. Les bacs devraient procurer des formations plus ouvertes.”
Agoria et l’exportation
Quel rôle Agoria ICT veut-il ou peut-il jouer dans le registre exportations, pour stimuler ces activités du secteur ICT?
“Nous intervenons comme support aux entreprises mais aussi aux diverses agences à l’exportation [AWEX, Bruxelles Invest & Export, côté francophone]. Pour la prochaine mission princière [direction la Silicon Valley, en juin], nous avons participé au screening des participants et des sociétés à visiter. Nous sommes en effet plus proches des entreprises ICT et nous connaissons mieux leurs besoins et intérêts que les agences qui sont moins spécialisées que nous. Nous pouvons donc mieux mettre les entreprises participantes en contact avec les bonnes personnes. En ce compris du côté des venture capitalists, en personnalisant les contacts selon les besoins spécifiques, liés notamment à la taille des entreprises participantes.”
Equilibrer le secteur ICT
Le créneau des logiciels pèse désormais plus lourd dans le secteur ICT belge que le développement ou la vente de matériels. Faut-il y voir une bonne chose, accentuer ce phénomène ou vaut-il mieux privilégier un équilibre entre activités hardware, soft et conseils/services? “Il est préférable de préserver l’équilibre. C’est important pour la position concurrentielle du secteur. Si le développement de matériels présente une opportunité, il faut la saisir mais le matériel ne peut pas être isolé. Il doit s’accompagner de logiciels.”
Pas question non plus de miser exclusivement sur les logiciels. “Si on laisse partir, hors frontières, toutes les compétences en création et commercialisation de matériels, il sera aussi plus difficile de vendre les logiciels. Face à des sociétés venant de France, d’Allemagne ou de Chine, nos acteurs locaux auraient alors de grosses difficultés pour être présents sur leurs matériels. Il ne faut certes pas espérer qu’un futur Cisco naisse chez nous mais il faut vouloir aller dans ce sens-là.”
Même si la société connaît des difficultés, Baudouin Corlùy cite en exemple Option. Ou encore IRIS.
A cet égard, comment voit-il ce fleuron local passer (probablement) dans les mains du japonais Canon? “Si des sociétés belges se font racheter par des étrangers, c’est aussi la preuve que nous avons des compétences. Il ne faut pas voir ces acquisitions comme une menace pour ce qu’on fait. Il s’agit surtout et avant toute chose de développer ces compétences, de soutenir l’innovation, les jeunes pépites, les aider à se développer. Ce n’est pas parce que des sociétés qui ont grandi et réussi se font racheter que notre économie ne tournerait plus. Mais ce serait le cas si nous n’apportons pas un soutien aux pépites qui ont le potentiel de devenir de futurs succès.”
Baudouin Corlùy: “Si des sociétés belges se font racheter par des étrangers, c’est aussi la preuve que nous avons des compétences.”
Ce qui nous amène tout naturellement à l’une des questions chaudes du moment: y a-t-il trop d’initiatives, en tous sens, pour stimuler la création de start-ups? Est-ce au contraire, aux yeux de Baudouin Corlùuy, un passage obligé?
Il penche résolument pour cette dernière option. “Plus il y a d’initiatives pour stimuler les jeunes entreprises, plus grande est la prise de conscience qu’il est nécessaire d’aller dans ce sens. Il serait dommageable de réduire le nombre des initiatives. Pour autant toutefois qu’elles soient coordonnées et ne se battent pas entre elles.”
Quid des sources de financement? “Les capitaux existent. Des initiatives existent. Voyez par exemple Internet Attitude. Mais elles sont sans doute trop restreintes. Il faudrait les multiplier, stimuler le phénomène.” Comment? “Idéalement via la fiscalité.” Par la main donc des pouvoirs publics. Et par des “incitants, qui permettraient aux jeunes entreprises de se déployer.”
Qu’importe par ailleurs que les capitaux viennent éventuellement d’autres pays. “Ce serait beaucoup plus dommageable que les jeunes entreprises s’en aillent, dans la Silicon Valley ou ailleurs, parce que nous n’aurions pas été capables de les retenir.”
A lire également: la première partie de cette interview.
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