Quel avenir pour les “clusters”? Ont-ils une raison d’être encore plus prononcée en temps de crise? Comment s’insèrent-ils dans une politique de développement économique régional? Comment pérenniser le concept et la structure? Quels services proposer aux membres? C’est de tout cela, notamment, que nous avons discuté avec Benoît Hucq, président de l’Infopole Cluster TIC.
Le “cluster” Infopole, qui réunit aujourd’hui quelque 180 sociétés ou entreprises individuelles actives dans le secteur de l’ICT en région francophone, est entré dans une phase qu’on pourrait sans doute qualifier de second souffle. Les premières années, où il a fallu insufflé dynamisme et intérêt objectif, sont désormais chose acquise. Même si la participation active et l’objectivation des activités demeurent un défi constant. Le temps, désormais, est venu d’asseoir réellement le cluster dans le paysage et dans la vie économique du sud du pays. Avec des contraintes budgétaires, économiques, voire stratégiques qui continuent par ailleurs d’encombrer l’horizon.
Pour parler présent et avenir, nous avons rencontré Benoît Hucq, président du conseil d’administration de l’Infopole Cluster TIC. A ce titre, il est chargé non seulement d’animer le réseau mais aussi et surtout de veiller à ce que son fonctionnement et son orientation stratégique correspondent à la fois aux attentes des membres et à la réalité du marché- en ce compris dans sa dimension de pérennité économique pour l’écosystème local.
Régional-IT: Après 8 années d’activités, quel regard portez-vous sur le principe de “cluster”, sur son utilité, l’impact qu’il a sur les entreprises et sur le secteur ICT?
Benoît Hucq: D’une manière générale, je suis convaincu que le principe de clustering, de mise en réseau d’entreprises est une source de business. Ce n’est pas négligeable dans une situation où on est à la recherche de croissance. Les entreprises se connaissent, peuvent collaborer sur des affaires, développer un marché, répondre à des appels d’offres ou appels à projets, régionaux ou européens, qu’elles ne pourraient pas aborder en solo…
Ce réseautage des forces et des compétences est donc un élément essentiel. Non seulement pour faire du business ensemble mais aussi pour innover ensemble.
Autre élément: la taille des entreprises dans le secteur ICT [local], souvent de moins de 10 personnes. Leur besoin en ressources et expertises externes est donc et donc plus important, de façon assez mécanique.
Troisième justification de l’existence d’un cluster: la rapidité d’évolution des technologies et des expertises est telle qu’une structure individuelle n’a pas le temps de se maintenir constamment à la pointe de l’évolution. Pouvoir établir des partenariats, sur des technologies qui ne sont pas forcément liées à l’expertise interne, est donc important.
Benoît Hucq: “Le réseautage des forces et des compétences est un élément essentiel, non seulement pour faire du business ensemble mais aussi pour innover ensemble.”
Quatrième point: la tendance à l’exportation est très certainement une lacune de notre tissu local des entreprises- et l’ICT connaît également cette lacune. Le rôle du cluster, pour soutenir et motiver les entreprises à exporter, est à cet égard également important.
On pourrait ajouter une cinquième raison: c’est aussi un moyen de rendre l’ICT visible au niveau du tissu économique régional, des instances politiques régionales, des pouvoirs de décision. C’est donc aussi un outil de visibilité du secteur.
Dans une situation de contrainte, telle qu’on la connaît actuellement, les entreprises adoptent-elles davantage un esprit de réseautage, de proactivité, de recherche d’expertise tierce, ou assiste-t-on plutôt à un repli sur soi?
Cela dépend de la mentalité de l’entrepreneur. Mais je crois qu’on assiste à un changement de mentalités vers moins de repli sur soi.
Il demeure néanmoins plusieurs freins. A commencer par l’aspect générationnel. Le réseautage suppose d’avoir un esprit plus ouvert, ce qui n’est peut-être pas une caractéristique d’une génération plus âgée d’entrepreneurs.
Autre frein, peut-être plus permanent: participer à un cluster, nouer des contacts prend du temps. Une réunion ne suffit pas. Naviguer sur le site du cluster pour identifier des compétences ne suffit pas. Il faut se donner le temps de créer la confiance, de détecter des complémentarités. C’est peut-être, là, un frein en période de crise, parce qu’on tente plus volontiers de répondre à un maximum d’appels d’offre, de trouver une nouvelle affaire, que de participer à des activités de réseautage.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre stratégie est de mettre en oeuvre différents types d’action, de permettre aux membres de choisir celles qui leur conviennent, “à la carte”. Un engagement minimal consiste à participer aux deux ou trois réunions annuelles entre membres. Un engagement maximum est de participer aux “grappes” [sous-réseaux opérant par thématiques- cloud, Internet des objets, mobilité…] et au business club. A raison d’une réunion par mois.
C’est aussi pour cela que nous mettons en contact le réseau wallon avec le réseau Nord-Pas-de-Calais, pour accroître le nombre d’entreprises, et donc les chances de trouver des complémentarités.
En termes de relations en dehors du territoire wallon, des collaborations sont-elles ou seront-elles engagées par exemple avec d’autres réseaux, tels le Cluster Software bruxellois, des homologues dans la région Meuse/Rhin (Liège/Aix-la-Chapelle/Maastricht), au Grand-Duché de Luxembourg…?
Des choses sont en cours. Une action est déjà engagée, sur 3 ans (2012-2014), pour la mise en réseau Liège/Maastricht/Aix-la-Chapelle/Cologne via le projet ttC (Top Technology Cluster) Elle prévoit l’organisation d’événements, du partage de compétences, de la visibilité d’expertises trans-frontières. [le projet ttC a pour but d’“améliorer le contexte institutionnel de la coopération transfrontalière dans les domaines spécifiques de la santé et des biosciences, de l’ICT, de l’énergie, de la chimie et des nouveaux matériaux]
Développer davantage les contacts avec d’autres groupements…
Pour Bruxelles et le Luxembourg, des contacts ont été pris mais sont moins structurés que ceux engagés avec le Nord-Pas-de-Calais, via le projet Etoile+. Ce serait certes intéressant d’ailler plus loin, notamment du côté du Luxembourg, pour faire de la visibilité de nos entreprises mais pas forcément pour faire du “co-clustering”. Il y a là un potentiel à développer.
A quel stade en est-on: réflexion, possibilité, mise en oeuvre…?
Possibilité. C’est forcément lié à l’énergie qu’on peut y mettre. Nous avons en effet un certain nombre de missions qui nous sont imposées en tant que cluster subsidié et on a des priorités à gérer. Notre plan stratégique, pour 2012-2013, est de renforcer l’offre de services aux membres, de croître lentement mais sûrement pour atteindre les 220 ou 230 membres. Une croissance raisonnée puisque nous voulons viser la qualité, l’implication réelle, plutôt que la quantité. Le troisième axe concerne ce développement international, le développement de contacts avec des clusters non-wallons pour augmenter la masse critique des entreprises. Après deux ans d’activités avec le Nord-Pas-de-Calais, nous avons initié, cette année, l’axe allemand/hollandais. Manifestement on peut aller plus loin… Du côté de la Flandre, l’absence de “cluster” limite nos relations à de simples échanges épistolaires.
Pouvez-vous détailler davantage votre plan stratégique? Quel type de services projetez-vous de mettre en oeuvre l’année prochaine?
Le plan sera présenté à l’assemblée générale des membres, en janvier. Le principe est d’élargir les services et de proposer des services à la carte, avec un membership valable. Troisième axe: le développement de services individualisés.
Comment allez-vous procéder pour augmenter le nombre de membres? Visez-vous davantage certains profils?
Nous ferons des actions plus systématiques, de parrainage, par exemple. Une fois encore, on veut avoir la qualité plus que la quantité. Nous allons également améliorer la visibilité des nouveaux services pour attirer par le contenu.
Dans quelle mesure le nombre de membres a-t-il évolué ces deux dernières années?
Jusqu’il y a deux ou trois ans, nous plafonnions à environ 140 ou 150. Nous sommes aujourd’hui aux alentours des 180 membres. Notre but est de croître encore d’une vingtaine de pour-cents. Ce serait optimum.
La majorité des membres sont de petites structures…
En effet. 75% des membres sont des entités de moins de 10 personnes. Voire moins de 5 personnes. Avec quelques structures au-delà de 50.
On souligne souvent cette caractéristique des sociétés en Wallonie: une limitation en taille qu’il faudrait dépasser pour assurer la croissance, individuelle mais aussi celle de l’économie locale en général. Avez-vous constaté une évolution allant dans ce sens, récemment?
Nous n’avons pas fait ce genre d’analyse. Mais je crois qu’il y a certainement un potentiel important, non spécifique au secteur ICT, pour une aide à la croissance, en termes de fonctionnement, de financement, d’approche de marché. Certains instruments existes, tels les invests ou l’AWEX, mais il subsiste un frein qui empêche les entrepreneurs d’entrer dans une nouvelle dynamique.
Avec Agoria, nous nous sommes par contre engagés dans une réflexion sur la manière de mettre en oeuvre une croissance. Certaines conclusions ont été reprises dans le Master Plan TIC- qui a malheureusement difficile à avancer. Le groupe de travail a dressé la cartographie des acteurs du secteur ICT. Le but est de favoriser la progression de chaque acteur dans l’écosystème. Pour pousser un acteur de niche vers l’exportation, pour faire progresser un éditeur d’outils de productivité en termes de présence sur le marché et de taux d’utilisation…. Pour que chacun puisse monter d’un cran dans l’écosystème, il faut une politique volontariste du secteur. Il faut identifier les “pépites” dans chaque catégorie. Autrement dit, des sociétés démontrant un réel potentiel pouvant être développé dans un contexte d’internationalisation et de croissance forte.
[Ndlr: cette “cartographie”, maintes fois annoncée, tarde à être présentée et, surtout, exploitée. Alors qu’elle ne dépend pas, en principe, de l’évolution ou de la réorientation du Master Plan TIC].
Pourquoi ce retard? Pourquoi n’a-t-on pas encore progressé dans cette idée d’identifier les pépites et de mettre en oeuvre des mécanismes qui puissent les accompagner?
Fondamentalement, en dehors des pôles de compétitivité, c’est un peu le désert au niveau de la politique économique de la Région wallonne et des axes stratégiques de un développement économique. Indépendamment du Master Plan TIC, notre réflexion était de dire qu’en regard de la structure du secteur ICT local, il y a clairement des actions, une réelle politique de développement économique à engager.
Il ne s’agit pas de consacrer de gros moyens à l’innovation et à la recherche, comme on peut le faire- et c’est intéressant- pour les pôles de compétitivité, mais plutôt de consacrer des moyens au développement business de produits et de services existants, qui ont un gros potentiel de croissance, en ce compris à l’international.
Benoît Hucq: “En matière de politique et d’axes de développement économique, en dehors des pôles de compétitivité, c’est un peu le désert.”
Quel avenir y a-t-il pour le principe-même du cluster, en termes de pérennité? Le financement public est organisé selon un mode dégressif. Les contraintes budgétaires actuelles ont-elles un impact sur le schéma prévu?
Le mécanisme de financement des Clusters, tel qu’il existe, n’est pas durable. Un nouveau décret avec des mécanismes de financement différents n’a pas avancé et ne sortira sans doute pas. Le Décret précédent reste de mise. La pérennité des clusters est donc fort fragile. D’où notre stratégie de développer le nombre de services et le membership afin d’avoir un taux d’autofinancement assez important.
Une réflexion s’impose sur la pérennisation du concept de cluster. Divers outils pourraient être fédérés, créant de la synergie. Par exemple, une fédération au niveau des Innovation Centers. Ou le partage des moyens administratifs entre les différents clusters, tous secteurs confondus, pour que leur viabilité soit améliorée, tout en gardant le même enveloppe globale au niveau des subsides régionaux. Sans parler d’une réduction des charges administratives.
Benoît Hucq: “Le constat que la Wallonie a trop de petites structures [entreprises] et pas assez de structures qui se développement est évident.”On pourrait également, tout en plafonnant les subsides alloués aux structures [les équipes qui gèrent les clusters], augmenter les ressources orientées projets de clustering. C’est-à-dire financer des initiatives ayant un objectif et un returnprécis, des résultats mesurables. Dans l’immédiat, nous allons rentrer un nouveau dossier pour être assuré de bénéficier d’un nouveau financement de 3 ans. En parallèle, on analyse avec les autorités la possibilité éventuelle de pouvoir aller plus loin dans la piste que j’ai évoquée. Notamment une synergie de moyens entre clusters et un accès à des dotations supplémentaires sur des projets d’animation précis.
Au-delà de l’administratif, quelle collaboration ou synergie est-elle possible entre Clusters?
Nous menons déjà des actions en commun avec TWIST. La grappe Transmédia est un exemple de collaboration entre les deux clusters. Idem pour la grappe Serious games. Les autres clusters sont actifs dans des domaines non directement liés à l’ICT. Par contre, des collaborations sont possibles du côté des pôles de compétitivité BioWin (santé et biotechnologies), Logistics in Wallonia (transports et logistique) et GreenWin [premiers axes d’activités: chimie verte et matériaux durables] où les aspects ICT sont importants. On est en contact avec eux. L’idée est de pouvoir les aider à récolter des idées de projets ICT dans leur secteur. La dynamique commence à prendre forme. Les pôles font appel à nous pour récolter des idées de projets. Mais il faut encore voir comment l’intérêt pourrait être mutuel. Cela permet à nos membres de déposer des projets d’innovation mais sans retour réel. Les clusters, apporteurs de projets, pourraient par exemple être rétribués pour ce travail, ce qui n’est pas le cas.
Cette piste de financement est-elle liée au choix des thèmes qu’identifie l’Infopole Cluster TIC pour focaliser ses activités? par exemple, en matière d’Internet des Objets?
Tout-à-fait. On a plusieurs grappes: datacenter, Internet des objets, sémantique, Web, transmédia… Ce pourrait être le point de départ d’une action de clustering plus spécifique.
Comment choisissez-vous les thèmes de ces grappes?
Nous avons fait une analyse, voici 3 ans, sur base des grandes tendances, des thèmes intéressants en termes de croissance. Nous la réactu aliserons d’ailleurs. Seconde source d’inspiration: nos membres, qui définissent des thèmes en rapport avec leur dynamisme ou avec le potentiel du marché.
Comment évolue chacune de ces grappes?
Cela dépend en partie de la dynamique des membres. Le bilan est globalement positif. Celles qui marchent bien, par exemple, sont les grappe Serious games, Web ou Datacenter, L’objectif étant, pour cette dernière grappe, de voir comment les entreprises-membres peuvent, en partenariat, avoir une meilleure offre, face aux grands donneurs d’ordre, en termes de datacenter sur la Wallonie.
Quelles réalisations ont pu se faire, au niveau des membres, qui n’auraient pas pu voir le voir si le cluster n’existait pas?
Via notre participation au projet Etoile, nous avons pu lancer un site PIB (Portail Information Business) qui propose des services de veille sur les offres de marchés publics, belges et français, pour déclarer anonymement son intérêt à remettre offre, chercher des partenaires, répondre en commun…
Grâce au Cluster, qui a assuré la dynamique et qui a mis les bons acteurs autour de la tableau, plusieurs entreprises ont pu se coaliser pour réponse à un gros appel d’offres du CERN, qui désirait implanter un datacenter supplémentaire dans un des pays européens cotisants. Sans le Cluster, elles n’auraient pas pu y ont répondu. L’offre n’a malheureusement pas été retenue mais pour des raisons de prix. Les compétences, elles, étaient tout-à-fait à la hauteur.
En termes de missions à l’étranger, y a-t-il eu des résultats concrets?
Nous avons au minimum deux missions par an. Le taux de participation et de satisfaction des membres est bon. Nous avons par exemple organisé des missions au Luxembourg, en Bretagne, à Lyon, à Barcelone. Par ailleurs, un agent spécialisé en IT a pris ses fonctions à l’AWEX qui nous permet de définir des missions plus efficaces. Il peut nous proposer des domaines de prospection davantage ciblés sur l’ICT. On reste certes relativement dans les pays limitrophes. On pourrait aller plus loin. Il y a de l’énergie à investir, notamment par rapport à un intérêt éventuel du côté des pays de l’Est. C’est là un domaine potentiel de croissance pour les activités de l’Infopole.
L’élargissement possible du rayon géographique des missions est-il tributaire de moyens financiers, de l’existence de contacts, de la détection d’opportunités…?
C’est sans doute un mélange de plusieurs choses: énergie à investir, possibilités et opportunités réelles, contacts qualifiés… L’idéal est d’avoir un cluster ou une organisation dans le pays hôte et faire du collectif à collectif. On a des contacts avec des clusters
Autriche, Nord de l’Espagne (région de Barcelone), Nord-Pas-de-Calais, Lyon, Québec. On a des points d’entrée en Allemagne via le projet ttC. Dans les pays de l’Est, nous n’avons pas encore de points de contact réels.
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