Inauguration, semaine dernière, du premier Living Lab industrie 4.0 de Wallonie, dans les bâtiments de l’A6K, l’Advanced Engineering Center, à Charleroi.
Ce laboratoire “vivant” du futur tient dans une pièce vitrée d’à peine 40 m2. Mais cette petite dimension dissimule une énorme quantité de matière grise. Et pour cause : le Living Lab présente, en version miniature, 6 démonstrateurs de technologies numériques capables de montrer quels profits les industriels wallons peuvent tirer de la transformation numérique. Cela va de la détection de défauts et de pannes à l’anticipation de réparations en passant par des contrôles de qualité en temps réel.
Ce laboratoire est le fruit de plusieurs années de recherche et de mises au point effectuées par une dizaine d’entreprises wallonnes, sous la houlette du Pôle de compétitivité MecaTech, avec le soutien de l’Agence du Numérique.
L’objectif de cette plate-forme de démonstration est de « pousser les industriels à se retrousser les manches pour entrer dans l’industrie 4.0”.
Scanner en trois dimensions
Quand on pénètre dans le bureau vitré, on découvre une machine en train de scanner une carte électronique. C’est le premier démonstrateur, baptisé C3D. L’objectif est de vérifier si la carte électronique qu’on lui présente est conforme à son modèle de référence. Pratiquement, la carte est balayée minutieusement par une caméra haute définition et un éclairage laser rouge qui reconstituent la carte en 3D afin de vérifier, par comparaison, s’il existe des écarts entre la copie et le modèle.
Les moindres anomalies deviennent ainsi détectables au premier coup d’œil, grâce aux logiciels qui interprètent les images.
C’est valable aussi pour des pièces métalliques, comme des hélices, ou bien d’autres produits sortis de nos usines dont il faut s’assurer de la conformité.
Cette application intéresse immédiatement la CEO d’Alpha Innovations, Sophie Trinon. « Je ne savais pas qu’on allait trouver dans ce living lab des solutions qu’on cherchait partout sans obtenir de réponse satisfaisante”, dit-elle. Sa société produit des alimentations électriques sur mesure pour des industries sensibles comme le médical, le nucléaire, le ferroviaire. Ce sont des applications extrêmement pointues où le moindre défaut est intolérable. « Nous avons des tas de pièces à vérifier”, explique-t-elle. “Nos contrôles sont visuels, faits à la main. Avec ce démonstrateur nous voyons qu’il est possible de faire mieux et plus vite par un tel équipement… je l’adopte !”
Partenaires associés à ce démonstrateur C3D: Thales, Optec, Lasea, Inisma, Eresys, Open eVision, Multiple et Sirris.
Détecter les anomalies vibratoires
Le deuxième démonstrateur du living lab est appelé Trill2Still. Il permet de détecter des anomalies vibratoires non perceptibles à l’œil nu, grâce à une technologie d’amplification des mouvements basée sur l’intelligence artificielle.
Cette méthode de test est utile pour vérifier par exemple la bonne tenue des pales d’éoliennes. Elle est utile aussi pour tous les industriels qui tentent d’optimiser leurs matériaux, comme par exemple les recherches sur le composite dans le secteur aéronautique. En soumettant les nouveaux matériaux au test des anomalies vibratoires, on vérifie leur résistance (aux ondes, à la corrosion, etc). Cela permet d’eviter de longs et coûteux essais en laboratoire avant de passer à la production du matériau.
Certains de nos industriels y sont déjà familiarisés, comme Mathieu Franchi de JTEKT, une société spécialisée dans la production de différentiels à l’usage de l’industrie automobile.
“On fait déjà de l’analyse vibratoire chez nous, mais en la voyant dans ce living lab, on se sent confirmé dans le déploiement technologique qu’on a mis en place à l’usine. Cela donne une bonne visibilité à cette méthode.”
Partenaires associés à ce démonstrateur Trill2Still: Icare, Matgenix.
Organiser une maintenance prédictive
Les pannes de machine sont la terreur des industriels et pour les éviter, il faut que les entretiens d’outils soient faits à temps et à heure. Bien organiser la maintenance est un gage de fiabilité et de rendement, tous les chefs d’entreprise le savent. Mais ce qu’il savent moins, c’est que l’intelligence artificielle peut les aider dans cette tâche.
Le troisième démonstrateur du living lab le montre. En associant des capteurs de différents types à une plate-forme modulaire qui recueille les données, les traite et les analyse, on optimise le contrôle du matériel et on alerte sur les maintenances nécessaires pour éviter des défauts de production ou des mises à l’arrêt.
Tel capteur vibratoire, placé par exemple sur le système de rotation d’une machine, pourra dire s’il dévie ou pas et s’il y a lieu de le réparer.
Christophe Montoisy (MecaTech): “L’intelligence artificielle alerte les opérateurs sur des situations qu’il devront qualifier éventuellement d’anormales. Il y a une complémentarité entre les spécialistes de l’intelligence artificielle et les experts des entreprises”.
L’analyse des données se fait en temps réel, et les défauts identifiés sont notifiés à partir d’images. Un gain de temps et de performance susceptible d’intéresser les industriels, Christophe Montoisy de MecaTech en est convaincu: « dans toutes les usines, on travaille avec des moteurs, des machines et des outils qui ont besoin d’être entretenus et révisés. L’intelligence artificielle permet d’améliorer la prédictibilité du processus, elle alerte les opérateurs sur des situations qu’il devront qualifier éventuellement d’anormales et les prendre en charge. Il y a une complémentarité entre les spécialistes de l’intelligence artificielle et les experts des entreprises”.
Partenaires associés à ce démonstrateur Connected Assets: P4A, Icare, CRM Group, Cetic, Multitel.
Contrôler la qualité de surface
Il existe sur le marché toute une série de caméras qui permettent de réaliser des contrôles de qualité. Mais lesquelles choisir et comment prendre en compte les données qu’elles révèlent? C’est l’objet du quatrième démonstrateur du living lab, baptisé Quality Factory 4.0.
Il montre comment on peut intégrer des équipements pour réaliser un véritable tunnel d’inspection permettant un contrôle à 100%, en continu, sans perdre de temps de production. Une gageure, évidemment !
Le contrôle peut se faire par laser sur des lentilles optiques, par courant magnétique sur les pièces de l’industrie spatiale, par caméra optique sur les peintures, par infrarouge pour la chaleur, par spectre en agronomie, par ultrasons sur les cuves des réacteurs nucléaires, etc……il y là toute une panoplie de fonctionnalités où le directeur de Vinventions, société de Thimister spécialisée dans la production de bouchons de vin, a trouvé son bonheur. “On a déjà installé chez nous des caméras qui permettent de contrôler la couleur des bouchons”, explique-t-il. “Mais des caméras qui contrôlent la rugosité d’un matériau, ça je n’en avais encore jamais vu. Bien sûr, la caméra c’est une chose, mais ce qui nous intéresse surtout c’est le traitement de l’image par le logiciel qui a été mis au point.”
Partenaires associés à ce démonstrateur Quality Factory 4.0: Engie, Lambda-X, Desimone, CRM Group.
Automatiser et digitaliser le processus industriel
Le cinquième démonstrateur (Cube 4.0) tient en trois écrans. Il rassemble toute la chaîne de valeur destinée à automatiser et digitaliser le processus industriel. Il repose sur le déploiement de toute une série de capteurs pour collecter les données de fonctionnement du système. Des algorithmes d’intelligence artificielle analysent ces données afin d’améliorer le processus. Des automates et des outils de réalité augmentée complètent le tableau. L’objectif est d’optimiser les processus de production.
De quoi séduire Michel Collignon, directeur Développement pour l’entreprise Stûv, réputée pour sa production de poêles à bois et à pellets. « Nous faisions déjà de l’acquisition de données dans l’usine, mais le faire en temps réel en rendant l’information visible, comme dans ce démonstrateur, c’est tout autre chose. Non seulement on recueille les données, mais on les analyse et on propose de modifier la gestion des données en conséquence, sans recourir pour autant à un analyste extérieur. C’est une couche d’intelligence en plus !”
Partenaires associés à ce démonstrateur Cube 4.0: Icare, Equans, Sagacify, Multitel, Cetic.
Concentrer les données en une seule architecture
Beaucoup de chefs d’entreprise rencontrent des difficultés pour harmoniser leur outils de production quand ils sont obligés d’en renouveler une partie ou de changer de fournisseur pour certains de leurs équipements. Le sixième démonstrateur du living lab les aidera à se réorganiser puisqu’il offre un concentrateur de données permettant de récupérer des informations de sources diverses, jadis incompatibles, afin de leur faire parler le même langage. Via un modèle de données générique permettant de traiter indifféremment des données multi-sources, multi-protocoles. Une chaîne de fabrication miniature est proposée, notamment équipée de capteurs et actionnaires de genres divers.
Un pas de géant dans l’intégration des outils: le logiciel crée un véritable tableau de bord de l’usine en faisant parler toutes les machines dans le même cadre.
“On montre qu’il est possible d’avancer dans l’industrie 4.0 sans dépenser des fortunes”, dit Anthony Van Putte, directeur général de MecaTech.
“On peut le faire pas à pas. C’est important pour les PME qui ne disposent pas de beaucoup de moyens. Donner des exemples est la meilleure façon d’inciter les chefs d’entreprise au changement et au progrès.”
Partenaires associés à ce démonstrateur Key2Success: Cetic, Sirris, AdN et avec le soutien du projet Feder IDEES
A visionner, les modules vidéo préparés par Mecatech au sujet de ces différents démonstrateurs, disponibles sur YouTube.
Un dispositif qui en complète d’autres
Ce nouveau living lab 4.0 est le dernier-né d’un projet wallon de création de démonstrateurs industriels, imaginé dès 2019. Il avait déjà pris forme à Technifutur à Liège et à TechnoCampus à Charleroi. Mais le nouveau venu a une envergure et une ambition différente de celles des deux démonstrateurs industriels pré-existants, tournés vers la recherche académique et la formation. Le living lab 4.0 implanté à l’A6K a été conçu par une dizaine d’entreprises du terroir, pour d’autres entreprises de la région.
« Nous avons pour cible 2000 entreprises wallonnes à sensibiliser”, explique Christophe Montoisy. “Nous voulons en transformer 200. Une trentaine de sociétés ont déjà basculé dans l’industrie 4.0. Nous ambitionnons d’en digitaliser 50 en quatre ans, soit une douzaine par an”.
Pour les responsables de MecaTech, il ne s’agit pas de transformation à la petite semaine mais d’un véritable parcours d’intégration pour réussir une mue industrielle.
Christophe Montoisy (MecaTech): “Nous voulons transformer numériquement 200 entreprises industrielles. Une trentaine ont déjà basculé dans l’industrie 4.0. Nous ambitionnons d’en digitaliser 50 en quatre ans”.
« Il faut d’abord aider les entreprises à identifier leurs besoins”, ajoute Anthony Van Putte, “afin de chercher les solutions les plus adéquates. Les démonstrateurs du living lab sont mobiles [Ndlr: même si, dans un premier temps, toutes les démos se feront à l’A6K]. Ils permettent de travailler ensemble sur la meilleure façon de digitaliser la production d’un site industriel.
Fini les grandes démonstrations mastodontes. On veut rendre la transformation numérique accessible au plus grand nombre d’acteurs dans la région. Et par là-même, renforcer l’efficacité et la résilience de l’économie wallonne.”
Les premières utilisations concrètes du living Lab 4.0 sont programmées en janvier prochain… Avis aux amateurs !
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