Courant 2018, un projet-pilote de téléconsultation voyait le jour en province de Luxembourg. Retardé par la crise du Covid, il s’est terminé cet été et est en attente de décision (et de budget) pour un déploiement opérationnel.
Sa particularité? A la fois la technologie choisie – des lunettes connectées – et le destinataire du projet, en l’occurrence la prison de Marche-en-Famenne.
Désertification médicale
L’analogie avec ce que les Français appellent des déserts médicaux est sas doute exagérée mais il n’en demeure pas moins que la province de Luxembourg doit faire face à des conditions d’exercice des professions médicales qui posent parfois problème. La pénurie de médecins (généralistes ou spécialistes) mais aussi d’infirmières touche la quasi totalité du territoire, avec un degré d’acuité toutefois variable. Preuve en est que des primes à l’installation sont proposées dans quasi toutes les communes de la province (voir carte ci-contre).
Les distances sont parfois longues pour rejoindre des villages éloignés. La population est vieillissante et donc en besoin de davantage de soins. Les praticiens, toujours moins nombreux, voient leurs listes de patients et leurs horaires s’allonger. Sans parler d’une tendance sous-jacente qui modifie les habitudes traditionnelles des médecins traitants, moins enclins que par le passé à s’en aller faire des tournées et des visites.
La pénurie de moyens fut l’une des raisons de la création, voici plusieurs années, au niveau des autorités provinciales luxembourgeoises, d’une Cellule d’Accompagnement des Professionnels de la Santé (CAPS). Objectif: “tenter de trouver des solutions aux besoins via recours à des solutions e-santé”, explique Natacha Mathy, attachée spécifique à la CAPS. “Il s’agit non seulement de garantir un accès aux soins de santé mais aussi d’accompagner les professionnels de santé. Un accompagnement à leur installation mais aussi dans leur pratique. Et une incitation à les ancrer sur le territoire…”
Parmi les projets-pilote que la CAPS a imaginé: ce projet de téléconsultation à la prison de Marche, avec recours à des lunettes connectées. Certes, une visite de médecin (ils sont quatre à se relayer) à la prison est organisée chaque jour (pendant deux heures) mais les soucis de santé, évidemment, ne connaissent pas d’horaire.
Si un ou une détenue connaît un problème nécessitant des soins ou un avis médical urgent en dehors des heures de passage du médecin et si ce problème outrepasse les compétences de l’infirmière opérant au sein de la prison, la seule solution est d’“extraire” le prisonnier pour l’amener aux urgences. “Ce qui pose un problème à la fois à l’administration de la prison et à l’institution hospitalière”, explique Natacha Mathy.
“Lorsque l’infirmerie demande l’extraction d’un détenu vers le service des urgences, il y a une mobilisation de plusieurs intervenants. Sont concernés à la fois le secrétariat de l’infirmerie, les agents de la police fédérale (minimum deux agents de la Direction de la Sécurisation – DAB), au minimum un agent pénitentiaire, pour le transport et la présence à l’hôpital, et, en cas de mobilisation de plus d’une heure à l’hôpital, les agents de la DAB doivent être remplacés par deux agents pénitentiaires.
Cette mobilisation a un coût mais a également des conséquences organisationnelles pour la prison qui, privée de deux de ses agents, doit limiter d’autres activités telles que les visites ou les consultations psy. Et ce, alors que la prison est déjà en situation de sous-effectifs…
Il va de soi que l’arrivée d’un détenu aux urgences nécessite également de la part du service des urgences un aménagement particulier afin de pouvoir isoler le détenu et assurer la sécurité des patients et du personnel.
Enfin, le stress généré par une hospitalisation en urgence n’est souhaitable pour personne et le détenu ne doit être admis aux urgences que lorsque son état de santé le nécessite.”
Téléconsultation et diagnostic accompagné
Le projet de télé-auscultation vise à pallier à ces divers inconvénients et à procurer une solution d’assistance médicale en continu.
La solution choisie – la solution XpertEye de la société française AMA – repose sur le recours à des lunettes connectées que chausse l’infirmière pour établir une connexion visuelle avec le médecin – qu’il soit à son cabinet, derrière son écran, ou qu’il soit en déplacement, auquel cas il pourra simplement utiliser son smartphone pour voir le patient, dicter à l’infirmière les zones à visualiser pour une auscultation à distance.
Liaison vidéo et audio, donc, avec aussi recours aux diverses fonctionnalités intégrées à la solution XpertEye.
A noter que les fonctions des lunettes connectées sont pilotables par la voix, par exemple pour zoomer sur une partie du corps, à la demande du médecin… Via ses lunettes connectées, l’infirmière peut recevoir les instructions vocales du médecin mais aussi le visualiser dans une petite fenêtre. Ce qui permet à ce dernier de pointer vers un endroit du corps pour demander à l’infirmière de réorienter son regard ou de zoomer vers cet endroit. “Utile par exemple lorsque l’on fait une auscultation du thorax ou si l’on veut mieux observer l’apparence d’un bouton ou d’une plaie.”
La solution d’origine qu’avait proposé AMA ne convenait pas totalement à l’objectif visé ou au contexte. Soucis essentiels: un modèle qui ne fonctionnait pas en sans-fil, une procédure d’établissement de connexion qui s’avérait compliquée, ou encore des problèmes de calibrage dès que les mouvements de la tête de l’infirmière se faisaient trop importants.
Le personnel de la prison, à la fois Françoise Renard, infirmière, et Sabine Wilms, attachée à la direction, ont alors envoyé un certain nombre de remarques et de désidératas au fournisseur qui a fourni un nouveau modèle, jugé nettement plus performant.
Dès cet instant, les lunettes connectées ont pu opérer en Bluetooth (connexion possible exclusivement à l’infirmerie). La commande vocale de ses fonctionnalités a été activée. L’établissement de la connexion entre l’infirmière de la prison et le médecin intervenant à distance passe par la plate-forme d’AMA, via identification des deux acteurs et, côté infirmière, scan d’un QR code avec les lunettes. Une fois cette opération de scan effectuée, la plate-forme centrale envoie une invitation à se connecter au médecin.
Lors du projet-pilote à la prison de Marche et selon le mode d’utilisation qui a été décidé, les communications pour téléconsultation et télédiagnostic se font en mode vidéo (sécurisé). Le fournisseur AMA signale toutefois qu’en situation de bande passante insuffisante pour supporter la vidéo, le dispositif permet de passer en mode prise de photos. Une solution non retenue à la prison de Marche notamment pour des raisons de qualité thérapeutique de la session: “la vidéo permet de mieux objectiver les plaintes ou douleurs exprimées”, souligne Françoise Renard.
La prise de photos, toutefois, demeure utile même en cas de connexion vidéo. “A la demande du médecin, l’infirmière peut par exemple déclencher un cliché que le médecin pourra annoter et lui réexpédier…”
Satisfaction générale
Tant le personnel soignant (et administratif) de l’hôpital que les médecins visiteurs concernés (même si tous n’ont pas démontré le même enthousiasme face à cette nouvelle technologie) mais aussi les détenus eux-mêmes ont jugé l’expérience réussie et digne de passer en mode utilisation réelle.
“La solution ne résout pas tous les problèmes mais constitue une aide au diagnostic. Elle a par ailleurs pour effet de rassurer le personnel infirmier. La solution ne nous déresponsabilise pas mais nous conforte”, déclare Françoise Renard. “Mes collègues, eux aussi, ont testé les lunettes et se disent prêts à les utiliser dès l’instant où le déploiement interviendrait.”
Côté détenus, Françoise Renard a également pu juger de l’accueil favorable qui en était fait: “beaucoup trouvaient ça génial. Notamment parce qu’ils pouvaient entendre le médecin. Et une intervention, même à distance, les rassure. Cela permet de réduire les tensions et les inquiétudes…”
Questionné sur l’évaluation du projet-pilote, le Dr Benoît Skrzypek, médecin référent à la direction générale des Établissements pénitentiaires (DG EPI) Belgique Sud du SPF Justice, déclare ceci: “Je dirais qu’une évaluation formelle n’a pas eu lieu mais que nos expériences avec ce projet sont positives.”
L’expérience est-elle jugée suffisamment intéressante pour la reproduire dans d’autres établissements pénitentiaires du pays? “Nous avons envie d’appliquer le projet aussi dans d’autres prisons mais il nous faut des moyens pour ça. Une demande de budget via octroi de subsides a été introduite. Nous en attendons les résultats…”
Un outil complémentaire
Le but n’est pas de réduire la fréquence ou la régularité des visites sur site des médecins mais plutôt d’offrir, comme on l’a vu, une solution en cas d’incident intervenant en dehors des heures de visite.
Le projet est certes en attente de budget pour passer en phase opérationnelle permanente mais, à la prison et à la CAPS, on imagine déjà une extension dans les cas d’utilisation. Par exemple dans le cadre de consultations de suivi de certaines pathologies telles que des maladies chroniques, le suivi de plaies, ou encore des consultations de suivi en diabétologie. Dans ce dernier cas d’espèce, l’intervenant à distance ne serait plus le médecin visiteur mais potentiellement le service diabétologie ou endocrinologie de l’hôpital de Marche-en-Famenne…
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