Selon que vous soyez de pleine possession de vos moyens ou plutôt “éloigné” voire “décroché” du numérique, malvoyant, dyslexique, déficient moteur ou cognitif, l’accès aux services en-ligne des administrations et des acteurs (para-)publics sera (relativement) aisé ou plutôt un calvaire, voire un parcours impossible.
Dans le cadre du Plan global d’“appropriation numérique” 2021-2024 de la Région de Bruxelles-Capitale, un chapitre est consacré à l’accessibilité de sites de services publics en-ligne. En jeu: la lisibilité et compréhensibilité des contenus, la facilité de navigation et/ou d’exécution de certaines actions (par exemple, remplir un formulaire, commander un document, payer une transaction…).
L’enjeu de l’accessibilité est déjà bien réel pour l’internaute lambda. Il devient encore plus critique pour tous les publics qui, pour différentes raisons, éprouvent des difficultés avec le numérique. Raisons physiques, psychologiques, cognitives…
On sait que les choses sont largement améliorables. On le vérifie souvent en consultant les sites des administrations et des services (para-)publics – même si tous ne sont pas à mettre dans le même sac et si certains accordent, plus que d’autres, de l’attention aux difficultés d’appropriation des démarches et des usages numériques.
Le CAWaB est un collectif d’associations (21 dans l’état actuel des choses) qui se donne pour but de “défendre l’accessibilité à tout ce que la société propose, dans l’esprit de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées”. A ce titre, sa première mission, historiquement, fut de se concentrer sur les obstacles que rencontrent les personnes “souffrant d’une réduction de mobilité et dites personnes à mobilité réduite (PMR)”. Au-delà de la dimension mobilité, accessibilité physique à des lieux de vie, est venue s’ajouter depuis quelques années celle de l’accessibilité numérique. Plus particulièrement depuis la sortie de la Directive européenne (2016/2102) relative à l’accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public.
Pour objectiver les choses – les lacunes, les pistes d’amélioration -, la Région bruxelloise a confié au CAWaB (Collectif Accessibilité Wallonie Bruxelles), la mission de tester concrètement un certain nombre de services publics en-ligne afin de pouvoir lister les problèmes et de formuler des recommandations.
Une soixantaine de testeurs
Ces derniers mois, deux services ont été passés au crible: le guichet électronique bruxellois IrisBox et My Actiris.
Pour effectuer ces tests de “usability” (voir ci-dessous), le CAWaB a sélectionné une cinquantaine de testeurs issus de divers publics-cible: sourds et malentendants, malvoyants et aveugles, personnes déficientes intellectuelles, dyslexiques, personnes souffrant de difficultés de motricité et/ou de préhension, seniors de plus de 65 ans ne disposant pas et n’utilisant pas d’ordinateur, personnes ne disposant que d’un smartphone, illettrés (ne disposant pas d’un CEB), personnes d’origine (et de langue) étrangère (langues choisies: arabe et espagnol), personnes précarisées (mais ayant obtenu un CEB).
Les tests ont également été soumis à des individus (neuf au total) qui ne sont pas considérés comme “éloignés du numérique” et ne souffrent d’aucun problème spécifique. Objectif: “faire office de groupe de contrôle pour comparer avec les résultats obtenus avec les différents profils considérés comme “éloignés” du numérique”, explique Maia Neira Caballero, responsable communications auprès du CAWaB.
Dans la mesure du possible, ajoute-t-elle, “nous avons recherché un équilibre de personnes dans chaque groupe-témoin. En l’occurrence au moins un chercheur d’emploi, une femme et un jeune de moins de 25 ans dans chaque groupe.”
Malheureusement, cette mixité et cet “équilibre” des profils n’ont pas réellement été poussés aussi loin qu’il aurait sans doute été souhaitable. L’échantillon total a en effet été limité: 64 testeurs. Faites le calcul: 64 individus pour 13 groupes-cible, groupe de contrôle inclus ! Pas forcément très représentatif mais en tout cas “indicatif”.
L’analyse finale de l’équipe du CAWab se fera donc aussi par regroupement en croyant les résultats obtenus dans les différents groupes-cible.
Qu’ont évalué les testeurs?
Quels éléments d’“utilisabilité” ou d’“accessibilité” les testeurs ont-ils été amenés à évaluer? Des actions que l’on est habituellement amenés à effectuer sur des sites de services publics: création d’un compte ou connexion à un compte personnel, consultation et modification de son profil, téléchargement d’un document (par exemple, un acte de naissance), recherche d’offre d’emploi, opération nécessitant un paiement (comme par exemple, une demande de location d’un logement communal), prise de rendez-vous…
Parmi les critères d’évaluation, la durée de l’opération.
La “convivialité” et “accessibilité” d’un site dépend évidemment d’une panoplie d’éléments: formulation, disposition graphique, ergonomie de l’interface, choix des couleurs, choix des mots, parcours de navigation, etc. etc. Tous éléments à prendre en compte de manière isolée et combinée. De quoi rendre l’exercice d’évaluation et de recommandation potentiellement très complexe…
Après les tests, les recommandations
Sur base des résultats des tests effectués sous l’égide du CAWaB, une liste de recommandations à la fois techniques et fonctionnelles est actuellement dressée qui sera communiquée, à partir de la fin mars, au CIRB, le centre informatique de la Région de Bruxelles-Capitale, qui lui-même relaiera vers les différents services et administrations.
Ces recommandations devraient inclure des propositions de “solutions ou fonctionnalités à implémenter pour répondre aux constats, manques, besoins exprimés et/ou découverts lors des tests utilisateurs, ainsi que des suggestions de solutions techniques permettant d’améliorer l’accès aux sites à tous les groupes-cible”.
Etape suivante: élaborer un ensemble d’“outils” – en réalité des règles à suivre – à destination des concepteurs et développeurs (internes ou externes), sociétés de services et agences qui procèdent à des développements de sites et fonctionnalités de services (para-)publics. Cette étape devrait être franchie au mois de juillet 2022.
Maia Neira Caballero (CAWaB): “Si l’accessibilité des sites Internet des services publics est une obligation légale, l’étape du contrôle n’est pas encore prévue. Pas plus que d’éventuelles sanctions. L’une de nos recommandations sera en tout cas d’inscrire cette obligation d’accessibilité dans les futurs cahiers de charge. Ce qui devrait faire avancer les choses…”
A noter ici au passage que rien n’est encore prévu pour le développement d’applis, certes encore minoritaires du côté des services publics mais dont les modes de fonctionnement et d’utilisation sont potentiellement très différents de ceux des sites classiques. Or, comme on le verra dans le deuxième volet de cet article (consacré à la question des contrôles et au contenu de la loi), la Directive européenne porte bel et bien également sur l’accessibilité des applications mobiles mises en oeuvre par les services (para-)publics.
Côté bruxellois (sans parler d’autres “entités” belges), même si les applis de services publics ne sont pas encore légion, il aurait été utile d’anticiper ce besoin, pour édicter des règles et bonnes pratiques de conception en amont.
Côté wallon, on le verra aussi dans la suite de cet article, on commence tout doucement à s’y intéresser.
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