C’était la cinquième fois, en ce début d’année, en marge – ou en parallèle du CES (Consumer Electronics Show ) de Las Vegas – que se tenait le “Village francophone”, un lieu de conférences, de rencontres, de réseautage et de découverte de solutions entre pays et régions francophones du globe – de l’Afrique au Québec, de la Suisse à Tahiti en passant par la Wallonie.
En tout: pas moins de 19 pays et une bonne vingtaine de “territoires” francophones se voient ainsi vu offrir la possibilité de s’exposer. Objectif: “créer des corridors directs d’attractivité et d’accélération de champions technologiques entre territoires”.
En ce début d’année 2021, c’était la quatrième participation d’une délégation wallonne et, par la force des choses, la première organisée en virtuel intégral. Quelle leçon, l’AWEX, aiguillon et pilote de la participation wallonne (secondé par l’AdN, le BEP, WSL, l’Infopole Cluster TIC et le cluster TWIST), tire-t-elle de l’édition inhabituelle 2021? A refaire? A améliorer? Quel impact et quelle suite pour les start-ups et entreprises participantes?
Nous avons posé ces questions et d’autres à Guy Vanpaesschen, référent sectoriel pour le numérique à l’Awex, qui, avec Michel Bricteux, conseiller économique et commercial au Consulat général de Montréal, fut à la manoeuvre pour préparer et encadrer les participants wallons.
En tout, ce sont 11 sociétés wallonnes qui ont ont eu l’occasion de se présenter ou de présenter leur solution lors de “pitchs” suivis par plusieurs milliers de participants, aux quatre coins de la planète.
Quel bilan tirez-vous de ce “Village francophone” 2021 en termes de participation de start-ups wallonnes, de contacts noués…?
Guy Vanpaesschen (AWEX): “Nous avons eu quelques craintes en amont de l’événement. D’une part, parce que c’était une première pour tout le monde et par crainte de problèmes techniques lors des tests dans les jours précédents. D’autre part, l’organisation fut parfois compliquée et a dû se faire très rapidement – entre le moment de la prise de décision d’y participer, début décembre, et l’événement proprement dit.
Mais, au final, le bilan est très positif pour la visibilité de la Wallonie numérique et les sociétés qui ont pu présenter leur solution.
A contrario, on entend beaucoup de commentaires négatifs et de déceptions du côté de ceux qui ont participé au CES 2021 [lui aussi virtuel].
En fait, la plate-forme et l’outil mis en oeuvre par le Village francophone pour les présentations et les échanges se sont révélés nettement plus efficaces et intéressants que ce que le CES a proposé et qui n’était clairement pas un outil B2B. Le CES n’aurait pas pu nous offrir la visibilité que les participants ont trouvé au Village francophone.
Les sessions de pitch permettaient à chacun de présenter sa société, de répondre aux questions du jury ou du public, de nouer des liens avec les autres participants ou avec les internautes. Ce qui ne fut pas le cas du côté du CES qui s’est contenté d’organiser des studios pour des présentations davantage ex-cathedra de figures connues et de grandes sociétés.
Le Village francophone n’a certes pas la même ampleur que le CES mais sa forme est plus pertinente pour les entreprises et les start-ups. Il nous a permis de bien mettre en lumière nos compétences wallonnes.
Quel bilan tirez-vous en comparaison des résultats obtenus les années précédentes, dans des conditions forcément différentes?
Guy Vanpaesschen: Lors du précédent CES, la délégation wallonne avait enregistré 16 candidatures. Cette année, pour le Village francophone virtuel, nous avons pu, avec nos partenaires (Infopole, BEP, WSL…), convaincre 18 candidats, en dépit du caractère entièrement nouveau de l’exercice et des délais très courts. Sur ces 16 candidatures, onze ont été retenues par les organisateurs pour des pitchs. C’est plus que ce qu’on espérait au départ.
Un autre élément qui pèse en faveur de l’édition 2021 est le nombre nettement plus élevé de personnes qui ont pu suivre les présentations. En ce compris en tant que membres des jurys [Ndlr: qui attribuaient des points à chaque société participante afin de désigner les meilleures performances ou les solutions les plus porteuses].
“Un budget bien investi”
L’édition Village francophone à l’occasion du CES de Las Vegas ne sera pas un événement ponctuel. L’Awex a en effet pris en quelque sorte un abonnement, libérant un budget pour une série d’événements similaires tout au long de l’année 2021. “Nous avons opté pour la formule forfaitaire [20.000 euros] qui nous permet de participer, en délégation wallonne, à dix Villages francophones en 2021. Notamment à l’occasion du South by Southwest (SXSW), du salon Smart City Expo, de la Hannover Messe…
Au vu des opportunités que cela crée, en termes de contacts et de visibilité, pour les entreprises participantes – qui y participent d’ailleurs gratuitement -, c’est un budget tout à fait pertinent.”
Lors de la séance de pitchs de la première journée, les organisateurs ont compté jusqu’à 17.000 “suiveurs” en live. On ne peut jamais atteindre ces chiffres dans des salles ou des hôtels à Las Vegas. On a donc obtenu plus de visibilité qu’en présentiel.
Côté belge, même si c’était une première, nous avons pu convaincre de nombreuses personnes, de profils différents, de jouer le jeu du jury virtuel – représentants de la presse, du WSL, de sociétés telles que Puratos ou AGC, des acteurs publics ou privés opérant dans l’accompagnement et/ou l’accélération des jeunes pousses, ou encore Marie du Chastel, du KIKK [Ndlr: qui a récemment été élue “Femme francophone de l’année” par le réseau des villes membres de l’Association Internationale des Maires Francophones – le Prix 2020 visait à récompenser les femmes engagées dans un “projet numérique présentant une initiative innovante dans le secteur de la culture”].
Au-delà de cela, de manière plus fondamentale et prometteuse pour l’avenir, nous avons réussi à convaincre de nouvelles sociétés de participer. Et parmi elles, des sociétés qui nous ont d’ores et déjà signalé leur intérêt à participer, s’il a lieu, au CES 2022. Chose qui ne leur serait peut-être pas venue à l’esprit sans cette édition 2021 du Village francophone…
Les pitcheurs wallons
Parmi les sociétés ayant pu “pitcher” lors du Village francophone 2021, citons Invineo (qui a d’ailleurs décroché la palme, tous territoires confondus, dans la catégorie Tech4Bizz (voir ci-dessous), Seety, Acapela, NeuroGreen, NeuroMedia, Be Blockchain, Intopix…
Au total, 18 sociétés avaient posé leur candidature, via l’Awex. Onze ont donc finalement été retenues par les organisateurs de l’événement (l’Awex n’ayant rien à dire dans cette procédure de sélection). Critères appliqués pour la sélection, selon Guy Vanpaesschen: le caractère innovant de la société, l’intérêt technologique du produit ou du service, et une concordance avec la thématique pré-sélectionnée. “A cet égard, il est intéressant de relever que le site du Village francophone proposera bientôt une nomenclature qui permettra à chaque société de se situer par rapport aux thèmes et de déterminer dans quelle catégorie sa solution peut espérer retenir l’attention ou développer un argumentaire.”
Les thématiques
Le Village francophone avait choisi un thème pour chacune de ses trois journées: Tech4City, Tech4Bizz, Tech4Life.
Thématiques aux intitulés toutefois parfois trompeurs tant les organisateurs y avaient classé des sujets et secteurs fort variés. Exemple: Tech4Life accueillait des sociétés actives aussi bien dans les domaines de la santé, de l’agroalimentaire que de l’éducation et du sport…
Le “Tech4Bizz”, pour sa part, ouvrait ses portes à des sociétés offrant produits et services dans le domaine du commerce, de la logistique, de l’industrie mais aussi du tourisme et de l’événementiel…
A noter que les thématiques varient d’une édition de Village francophone à l’autre. Ceux organisés par exemple lors des prochains salons Hannover Messe et SXSW auront davantage trait, respectivement, à l’industrie 4.0 et aux industries créatives.
Comment voyez-vous la suite? Quel suivi sera-t-il fait?
Guy Vanpaesschen: Le défi qui nous attend, à l’Awex mais aussi au niveau des partenaires – BEP, WSL, Infopole… -, sera de faire preuve de pédagogie vis-à-vis des entreprises, tant celles qui ont participé que de celles qui n’ont pas pu pitcher lors du Village francophone CES.
Il s’agit de faire passer le message que, même si elles n’ont pas été retenues cette fois, elles peuvent toujours espérer pouvoir le faire lors de la Hannover Messe ou de l’un des dix Villages francophones auxquels nous participerons.
Ce qui vient d’être organisé n’est pas un exercice isolé mais un exercice sur le long terme. Certains ne l’ont pas encore compris.
Guy Vanpaesschen (AWEX): “Le Village francophone n’a certes pas la même ampleur que le CES mais sa forme est plus pertinente pour les entreprises et les start-ups. Il nous a permis de bien mettre en lumière nos compétences wallonnes.”
Nous allons donc, dans l’immédiat, recontacter les sociétés qui n’ont pas été retenues et ensuite en trouver d’autres encore.
Par ailleurs, la formule Village francophone repose aussi sur la participation, pour les pitchs, de “studios connectés” [Ndlr: autrement dit, des lieux d’accueil, équipés, où les sociétés d’un même territoire se retrouvent – même en période de distanciation sociale – au lieu de devoir se connecter et pitcher “dans son coin”, au départ de sa société voire de son domicile]. Bordeaux ou Nantes, par exemple, disposaient d’un tel studio connecté. Des discussions sont en cours, à notre niveau, pour prévoir ce genre de structure à l’avenir. Des contacts en ce sens ont par exemple été engagés avec le BEP [bureau économique de la province de Namur] en vue de le faire éventuellement au départ du Trakk…
Quid des contacts noués, en mode virtuel, par les sociétés participantes, que ce soit entre elles ou avec les internautes qui ont suivi l’événement? Les contacts noués sont-ils potentiellement aussi solides et porteurs que ceux qui se nouaient les autres années, lors des rencontres en personne?
Guy Vanpaesschen: Il reviendra bien évidemment à chaque société participante de cultiver les contacts noués, en coulisses ou dans la foulée de l’événement. NeuroGreen par exemple [une solution de nouvelle connectée venue de Mons] n’a certes pas gagné de prix dans sa catégorie mais dans l’heure qui a suivi sa présentation, Carlos Castelo Kiala, son directeur, a reçu trois courriels, deux venant de France et un des Chemins de fer luxembourgeois, qui marquaient leur intérêt pour la solution. La start-up a donc marqué des points.
Les choses à améliorer
Le “format” choisi pour les “pitch” a parfois laissé dubitatif ou sur sa faim. Une enfilade de présentations en mode speedy-gonzales (90 secondes chrono), une session questions-réponses organisée en mode regroupé (après six ou sept pitchs), et, à intervalles aléatoires, des couacs techniques (qualité de connexion ou de son). Il était parfois difficile de juger de la qualité ou du caractère réellement porteur d’une société ou de sa solution.
Dans l’ensemble toutefois, l’exercice peut être jugé concluant, permettant de découvrir les arguments d’une petite myriade de start-ups.
L’interactivité, entre participants et public, que permettait l’outil de vidéoconférence mis en oeuvre par le Village francophone, on l’a vu, l’emportait sur la formule choisie par les organisateurs du CES – ou d’autres rencontres internationales s’étant tenues en 2020 selon un scénario plus contraint et aseptisé.
Un autre outil qu’exploitent depuis toujours les organisateurs du Village francophone, en ce compris pour les échanges entre animateurs des territoires concernés, n’est autre que WhatsApp. Et l’appli fut aussi un levier d’échanges majeurs lors des trois journées thématiques et des séances de pitch.
Chaque territoire participant bénéficiait d’un groupe et, souligne Guy Vanpaesschen, “il y a eu dans le groupe WhatsApp wallon une très chouette ambiance”. Il est vrai que les échanges y étaient spontanés – tendance décontraction et pointes d’humour. “On a senti un réel soutien de tous. Cela a suscité un sentiment d’appartenance à la délégation wallonne, comme celle que suscitent les missions physiques. On a retrouvé, via cet outil virtuel, un côté humain sympa…”
Guy Vanpaesschen (Awex): “Nous avons constaté un réel engouement, tant pendant la période de préparation de l’événement que pendant et après.”
Il n’en reste pas moins que l’outil [de présentation et d’interaction du Village francophone] est perfectible, reconnaît Guy Vanpaesschen. Et ce sera sans doute un point abordé lors des débriefings qui doivent intervenir entre les chefs de délégations territoriales et les organisateurs. “Mais on sait d’expérience que Marc-Lionel Gallo [inventeur du concept et par ailleurs directeur général de MLG Consulting] est à l’écoute et entendra nos remarques. Il est même demandeur pour améliorer l’outil.”
Avis similaire du côté de Michel Bricteux. Voici comment il voit les choses. “La manière dont se déroulent les séances de pitchs peut paraître brouillonne, chaotique – je préfère dire organique -, voire décevante au premier abord. C’était là une opinion qui était mienne lors de notre première participation au Village francophone [en présentiel, en 2017]. Jusqu’à ce que je me rende compte que la véritable proposition de valeur du Village francophone réside en fait dans la démarche d’intelligence collective et l’établissement de ces “corridors d’accélération”, entre villes et territoires, qui nous permettront de positionner nos start-ups et scale-ups à l’international.
Cela permet d’inscrire nos sociétés dans une dynamique nouvelle, plus agile, et d’instiller le réflexe de la collaboration territoriale en lieu et place d’une concurrence acerbe. Un paradigme différent, certes, mais une formule qui donne des résultats pour nos sociétés. A titre d’exemple, je citerais Intersysto qui a obtenu, lors du CES 2019, une couverture médiatique sur l’ensemble du territoire français et, partant, un accès grandement facilité au marché hexagonal.
Plus proche de nous, Neurogreen et sa poubelle intelligente a engrangé en ce début 2021 les marques d’intérêt de quatre municipalités françaises et des chemins de fer luxembourgeois. Tout cela à l’issue d’un pitch que je qualifierais de plus que moyen. Enfin, ce Village francophone est un chantier en cours, susceptible d’amélioration. Mais on ne peut nier l’énergie dégagée par l’exercice, par l’ensemble des participants.
Quand on parle d’intelligence collective, on sait que le résultat, au minimum, est la somme des implications des acteurs. Il nous reviendra donc d’accroître notre présence – au sein des collectifs sectoriels, au niveau des start-ups/scale-ups, avec de nouvelles villes connectées – si on veut tirer le meilleur parti de ce lieu de convergence.”
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