Maturité numérique des entreprises wallonnes: le poids du boss…

Hors-cadre
Par · 24/11/2020

Parmi les nouveaux angles d’analyse de la situation des entreprises wallonnes, en termes de transformation numérique, l’Agence du Numérique s’est penchée cette année sur l’influence qu’a sur la situation des entreprises la “perception” qu’ont leurs dirigeants du numérique. Un questionnement assez logique tant le lien semble évident – surtout du côté des petites structures qui font l’essentiel du tissu économique wallon.

Ce qui n’empêche nullement la question de révéler des réponses pour le moins intéressantes…

35% des dirigeants interrogés considèrent que le numérique est “une opportunité à saisir absolument dans le cadre d’une stratégie globale d’entreprise”.
33% estiment que “certaines technologies numériques sont utiles mais qu’il ne faut pas nécessairement numériser l’ensemble des processus.” L’AdN qualifie cette catégorie de dirigeants d’“utilitaristes”.
24% des responsables d’entreprise interrogés se disent par contre “sans opinion” au sujet de l’importance du numérique pour la transformation/amélioration de leurs processus de gestion. Et… 8% voient même dans le numérique un “effet de mode [sic] comportant des risques et des coûts”.

 

Benoît Hucq (AdN): “Au vu de ce que révèle l’analyse de la perception qu’ont les dirigeants entreprises du numérique, il est clair qu’une mobilisation encore plus forte sera nécessaire. Un domaine où l’UWE aura clairement un rôle à jouer face aux enjeux de la maturité numérique.”

 

Ces “sans opinion” et convaincus d’“effet de mode” (soit 32% de l’échantillon d’entreprises wallonnes – pour rappel, 2.914 au total) ayant participé à l’enquête de l’AdN constituent, selon Hélène Raimond, co-auteur de l’étude, “un groupe présentant un risque certain de facture numérique”.

“Nous avons tenté de croiser ces pourcentages avec la manière dont les entreprises mettent en oeuvre des leviers pour effectuer leur transformation numérique”, souligne-t-elle.

“34% des dirigeants sondés affirment que la transformation numérique est “en cours” au sein de leur entreprise, en tout cas pour les processus qui le nécessitent, pour reprendre leur expression. C’est ce que nous appelons les “utilitaristes”. Parmi eux, 15% estiment être des “numériques par nature”, donc davantage convaincus. 7% ont défini un plan de transformation et 4% disent projeter de le faire.”

Mais il y a également – et de manière plus surprenante, voire plus inquiétante – 28% de chefs d’entreprise qui considèrent encore “qu’aucune transformation numérique n’est nécessaire dans leur activité”. 

Source: Digital Wallonia

Où les trouve-t-on essentiellement? “Dans des secteurs tels que l’agriculture, la construction, le commerce de détail, où le traitement des données ne fait pas encore partie du core business. Ce sont surtout de petites sociétés, évoluant dans des secteurs qui, historiquement, ne sont pas numérisés.” 

Perceptions/Convictions variables selon les secteurs

Abstraction faite de facteurs influençant la perception du numérique qu’a un responsable d’entreprise disons “numériquement réticent” (âge, niveau de diplôme…), l’étude de l’AdN discerne une certaine “préférence” pour le numérique dans plusieurs secteurs d’activités. “Le Top 5 des secteurs où les dirigeants voient dans le digital une opportunité à saisir absolument et globalement sont, par ordre décroissant:
– les finances: 73%
– la culture et les médias: 62%
– le numérique: 58%
– les services aux entreprises: 49%
– la distribution: 42%.”

A noter que cette “préférence” ou cette “conviction” plus grande se retrouve par exemple dans les taux de déploiement de sites Internet. Quatre des cinq secteurs cités ci-dessus se retrouvent également parmi les 5 secteurs les plus en pointe dans ce registre.

Numérique et innovation

Le numérique joue un rôle important dans la capacité d’Innovation d’une société [Ndlr – voici la définition que l’AdN donne de l’innovation pour la mesurer dans son Baromètre: “développement d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau (ou sensiblement amélioré), d’une nouvelle méthode de commercialisation ou encore d’une nouvelle méthode de travail dans les pratiques de l’entreprise”.]

L’innovation par le numérique est perçue comme étant la principale source de progrès et un levier majeur d’innovation. Vient ensuite la R&D interne. Autres pistes exploitées: les collaborations avec l’un ou l’autre centre de recherche ou des start-ups.

A noter les différences de perception qu’ont les dirigeants d’entreprise par rapport à ces quatre voies, selon qu’ils soient plus ou moins convaincus de l’utilité, voire de l’intérêt stratégique du numérique pour leur entreprise. Un schéma valant mieux et étant plus explicite qu’une longue explication, voici le schéma qu’en a réalisé l’AdN.

Taux d’entreprises ayant initié une dynamique d’innovation corrélé à l’opinion du chef d’entreprise vis-à-vis du numérique.

 

“Digital ADN”

Pour mieux cerner l’impact du “facteur humain” et du profil (convaincu, utilitariste, sceptique…) du dirigeant d’entreprise sur les décisions d’innovation et le rythme d’adoption du numérique par les sociétés, l’AdN s’est tourné vers Deloitte et le travail réalisé dans le cadre d’un projet de recherche mené pendant quatre ans avec le MIT de Boston.

“Construire son Digital ADN”. Source: Deloitte

Quelque 16.400 dirigeants d’entreprises venant de 28 secteurs ont été interrogés dans 157 pays. Le “comportement” numérique de leur entreprise a été disséqué selon 23 critères afin de dresser le profil et l’“ADN” des entreprises qui sont “les plus capables de s’accaparer le numérique et de définir ses axes d’évolution” et mesurer ainsi leur “niveau de maturité numérique en termes organisationnels”.

Parmi ces paramètres, citons notamment la “collaboration intentionnelle” (collaboration interne entre employés mais aussi collaboration avec les fournisseurs et relations avec les clients), l’évolution de la typologie du travail, la progression par itération (application de changements fréquents mais de faible complexité), exigences en termes d’aptitudes dynamiques, aplatissement de la hiérarchie, équipes adaptables, critères de décision en constante évolution, acceptation de l’échec pour en tirer des sources d’amélioration…

“Les plus “matures”, en termes de maturité numérique aboutie, sont celles qui sont en mouvement permanent”, souligne Lou-Salomé Cohen, consultante People Analytics chez Deloitte Belgique, “mais qui ont par contre bel et bien conscience des risques qu’implique le numérique et des mesures à mettre en oeuvre”. Et c’est cette dernière double caractéristique qui, selon Deloitte, est encore faiblement représentée dans l’échantillon des entreprises wallonnes analysées.

Des “champions du numérique” qui ne se défendent pas trop mal…

Deloitte Belgique, en collaboration avec l’AdN, a en effet appliqué le modèle développé par Deloitte avec le MIT à un échantillon d’entreprises belges. Un échantillon choisi spécifiquement parmi les entreprises qui réalisent les meilleurs “DigiScores” dans le Baromètre de l’AdN (score moyen: 64… soit plus du double de la moyenne de la totalité des 2.914 interrogées) et qui “ont démontré une réelle appétence pour la dimension humaine [axe RH] de la maturité numérique”.

20 “champions du numérique” wallons ont ainsi été sélectionnés pour les jauger selon le panel de paramètres “Digital DNA” conçu par Deloitte/MIT.

Les 4 étapes de la progression de maturité, selon Deloitte…

Explorer. Faire. Devenir. Être.

Côté organisationnel, les entreprises les plus “matures” en termes numériques présentent une structure et un fonctionnement assez caractéristiques, selon Deloitte.
Le parcours vers la “plénitude” numérique suit une progression en quatre étapes:
– Explorer: “exploiter les technologies traditionnelles pour automatiser les capacités existantes ; s’essayer au numérique ; mais sans encore procéder à des changements réels au niveau de l’organisation”
– Faire: “exploiter les technologies traditionnelles pour étendre ses capacités mais en conservant en grande partie les mêmes modèles de gestion – que ce soit en termes d’activités, d’opérations ou de clientèle”
– Devenir: “exploiter les technologies traditionnelles – de plus en plus synchronisées et de moins en moins cloisonnées – en opérant des changements plus avancés des modèles de gestion du business, des opérations et de la clientèle”
– Être: “les modèles de gestion du business, des opérations et de la clientèle sont optimisés pour le digital et sont profondément différents des modèles antérieurs”.

“Avec un score de 5,5 sur une échelle de 7, ces sociétés ont généralement déjà franchi les stades de l’exploration [des potentiels du numérique] et du “faire”, c’est-à-dire du déploiement de solutions, en ce compris la mise en oeuvre de changements dans les modèles de gestion et d’opération. Mais il reste une importante marge de développement pour en arriver à la phase “être digital”.

La consultante de Deloitte estime que les progrès encore à réaliser, chez ces “20 champions du numérique”, se situent essentiellement du côté de l’organisation hiérarchique de la société et de la “flexibilité géographique”. Rappelons que nous nous situons ici dans l’axe “Ressources humaines” et évolution de ce dernier sur base des potentiels que procure ou favorise le numérique…

Côté hiérarchie, les sociétés étudiées enregistrent encore des scores trop bas en termes de transfert ou activation de pouvoir de décision et gardent une structure trop traditionnelle en couches.

Par ailleurs, ce que Deloitte qualifie de manque de “flexibilité géographique” en Wallonie correspond aux pratiques d’embauche qui restent encore très locales. Autrement dit, le manque de mobilité des salariés, peu chauds à parcourir de grandes distances ou à se déraciner pour rejoindre les rangs d’une société. “En Wallonie, on n’en est pas encore dans une économie d’open talents”.

Quels progrès possibles pour les “champions du numérique”?

Pour progresser sur l’échelle de maturité (mode AdN ou mode Deloitte), celles qui sont déjà parmi les entreprises les plus “matures”, en Wallonie, doivent commencer, selon Lou-Salomé Cohen, par “définir leur ambition de maturité numérique, identifier leurs points forts et leurs points faibles et savoir sur lesquels elles veulent travailler.

Il ne s’agit pas d’opérer de grands changements, lourds en temps et en ressources, mais plutôt de pratiquer des “changements minimum viables”, davantage tactiques et effectués en rafales successives, selon une démarche actionnable et précise.”

Autre conseil: “mesurer régulièrement et adapter au fur et à mesure les mesures prises afin de favoriser une progression au long cours en termes de maturité numérique.”

A suivre: un petit arrêt sur l’évolution numérique des processus métier et, ensuite, un regard plus en profondeur sur l’évolution des pratiques et méthodes de travail des entreprises wallonnes via le numérique, ainsi que sur l’impact qu’a eu (en début d’année) la survenance du coronavirus.