Les principaux biais cognitifs forts dont sont victimes les fondatrices de start-ups concernent le genre, le jeunisme, la catégorie.
Une autre distorsion inconsciente de la pensée est celle de la discrimination statistique: les investisseurs disposant de peu d’informations sur les performances des entrepreneures, ils comblent le vide par des stéréotypes.
La discrimination liée au genre fait des ravages en silence
Selon le rapport « She’s the Business » commandé par HSBC Private Banking (2019), 35% des femmes entrepreneures (22% en France, 25% en Belgique et 54% en Grande-Bretagne) déclarent avoir subi des préjugés sexistes lors du pitch devant des investisseurs. Qu’il s’agisse de questions portant sur la famille (la maternité), la crédibilité en tant que chef d’entreprise ou la capacité à prévenir les pertes.
Selon Sista, collectif de femmes entrepreneures et investisseuses, et le Boston Consulting Group (BCG), 9% des fondateurs de jeunes pousses s’associent avec des femmes, tandis que 61% des fondatrices font équipe avec des hommes.
Or, plusieurs études (relativement) récentes (dont celle de McKinsey en juillet 2018) montrent que les entreprises diverses (celles comptant le plus grand nombre de femmes dans leurs instances de direction) sont plus rentables que les autres (notamment celles qui n’en ont aucune) en termes de retour sur investissement et de capacité d’innovation.
La ségrégation liée à l’âge
Les entrepreneurs français, tous genres confondus, fondent leur entreprise relativement tard: à 41 ans en moyenne. Les belges à 42 ans. Les entrepreneures françaises ont en moyenne 40 ans à la création de leur entreprise, les belges idem, alors que sur le plan mondial, l’âge moyen s’établit à 36 ans.
Plus prudentes les entrepreneures semblent sécuriser leur expérience avant de se lancer dans leur propre entreprise et sont en conséquence plus âgées: un cinquième d’entre elles (18% des françaises, 20% des belges) créent ainsi leur entreprise entre 50 et 60 ans. Une proportion deux fois supérieure à la moyenne mondiale, qui place la France et la Belgique en tête de l’entrepreneuriat senior.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Ce que recherchent ces investisseurs, ce sont des fondateurs dans la vingtaine, sans enfants et sans vie personnelle, prêts à travailler non-stop.”
Cela ne correspond pas au schéma mental des venture capitalists. Le jeunisme est un biais prégnant chez eux. Ce que recherchent ces investisseurs, ce sont des fondateurs dans la vingtaine, sans enfants et sans vie personnelle, prêts à travailler non-stop.
Ils s’évertuent à ignorer que l’âge amène l’expérience, améliore la perspicacité, et que ces deux caractéristiques mènent à l’efficacité. Avec du discernement, il n’est pas nécessaire de trimer, de se tuer à la tâche pour réussir…
La distinction liée à la catégorie d’entrepreneuriat
Les investisseurs ont tendance à confiner les femmes entrepreneures dans la catégorie des classic small businesses (autrement dit, des entreprises dont le chiffre d’affaires potentiel endéans les 5 ans est inférieur à 10 millions d’euros).
Avec ce genre de biais, les femmes sont supposées être des “Lifestyle entrepreneures”, créant et dirigeant des “lifestyle businesses” – sous-entendu, des projets moins ambitieux – plus en phase avec leur désir de liberté (flexibilité des horaires de travail), lui-même plus compatible avec leur désir supposé de maternité. Et le phénomène des “mompreneurs” donne du poids à ces préjugés.
Dans cette catégorie d’entrepreneuriat, scalabilité et potentiel de croissance sont limités parce qu’une telle croissance détruirait le style de vie souhaité par les fondatrices. Les lifestyle entrepreneures recherchent le bonheur à travers l’optimisation de leur temps et organisent donc leur travail en fonction de leur mode de vie, ceci grâce notamment à l’économie numérique.
L’innocuité des chartes d’engagement et de bonnes pratiques
Il y a bien entendu les chartes d’engagement et de bonnes pratiques, comme celle visant à atteindre 25% d’entreprises fondées ou co-fondées par des femmes financées par le capital-risque d’ici à 2025. C’est plein de bonnes intentions mais cela ne produit pas ou peu de résultats.
Bon an mal an, les femmes restent sous-représentées dans l’entrepreneuriat. Malgré un florilège de politiques publiques et familiales proactives et incitatives, les femmes entrepreneures ne représentent toujours que 31% des créations d’entreprise.
Mieux vaut alors la création de fonds d’investissement spécifiques (comme le « Women leadership capital« ), mais il n’y en aura jamais assez (et pas autant que ceux dédiés préférentiellement aux hommes…), fussent-ils dirigés de manière mixte. Des panels d’investisseurs plus mixtes ne permettront pas d’éviter des biais sexistes inconscients.
Personnellement, je ne crois pas en la pertinence d’un modèle de fonds spécifique aux projets féminins. Je ne suis pas partisan d’apporter une note genrée à un projet: c’est un schéma de pensée anachronique.
Les chartes visant à promouvoir la diversité/mixité, à atteindre la parité dans l’entrepreneuriat et l’égalité d’accès au financement des femmes dirigeantes de start-up etc., ne viendront jamais à bout des préjugés. Il faut donc changer l’angle d’attaque du problème.
Prendre confiance et ne plus s’autolimiter est surtout le fruit d’un processus individuel, d’une introspection. Elle est plus solide si elle se base sur l’apport d’une autre forme de connaissance, de soi et d’autrui.
Le syndrome de l’imposteur
Il faut faire face au syndrome de l’imposteur et sortir du schéma victimaire. Selon le rapport du Global Entrepreneurship Monitor (2018) sur l’entrepreneuriat féminin, seules 29% des femmes dans le monde s’estiment capables de mener à bien la création d’une entreprise, contre 42% des hommes.
Cela dit, entre “s’estimer capable” et l’être réellement, il y a une énorme marge et il n’existe aucune étude démontrant que les hommes “exécutent” mieux que les femmes.
En Belgique et en France, grosso modo, une femme sur trois reconnaît se sentir “peu ou pas du tout confiante” avant un dithyrambe devant les investisseurs, soit le double de la moyenne mondiale. Ce qui fait d’elles les entrepreneures ayant le moins confiance en elles à l’échelle globale.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Une femme sur trois reconnaît se sentir “peu ou pas du tout confiante” avant un dithyrambe devant les investisseurs, soit le double de la moyenne mondiale.”
Cela paraît d’autant plus paradoxal à l’heure où les femmes entrepreneures sont en moyenne plus diplômées que leurs homologues masculins (22% plus éduquées en Europe).
Ce manque de confiance se traduit notamment par le fait que les entrepreneures belges et françaises demandent des montants nettement inférieurs à ceux réclamés par leurs collègues d’autres nationalités.
Les entrepreneures font souvent face au syndrome de l’imposteur (ce qui les freinent parfois dans leur passage à l’acte) notamment parce qu’elles se comparent aux entrepreneurs sur des critères évanescents: combativité, témérité, initiative… Critères supposés être des traits de personnalité essentiellement masculins, tout comme la douceur et l’empathie sont supposément des caractéristiques plus féminines.
Le remède?
Comment déjouer les biais cognitifs qui vous pénalisent constamment?
D’abord les reconnaître.
Ensuite, les neutraliser en les inondant de rationalité constructive, en anticipant des arguments universels qui ne pâtissent pas de ces biais. Exemples: “Ce ne sont ni le sexe ni l’âge qui font la compétence…”. Il faut partir de ce postulat pour sortir du cercle vicieux victimaire !
“Mes principales compétences ce sont ma persévérance, ma perspicacité et mon sens de la débrouille, je peux vous le prouver…”. Le manque de confiance masque sans doute l’éclat de vos compétences mais heureusement ne les supprime pas.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Lors de vos argumentaires, sortez des sentiers battus pour désorganiser le schéma de pensée habituel des investisseurs.”
Mais aussi en changeant l’approche des investisseurs avec des arguments percutants : “Je vais vous enrichir, voici comment…”.
Notez que les présentations classiques suscitent des questions classiques, dans lesquelles s’insèrent facilement les biais cognitifs inconscients.
Donc, lors de vos dithyrambes, sortez des sentiers battus pour désorganiser le schéma de pensée habituel des investisseurs. Vous provoquerez ainsi un autre type de questionnement beaucoup moins susceptible de tomber dans le piège des jugements irrationnels.
Comment développer sa confiance?
Autocensure et syndrome de l’imposteur ne sont que les corollaires du manque de confiance en soi. Et, généralement, on manque de confiance lorsqu’il se passe quelque chose qu’on ne comprend pas ; et notre ignorance nous place en situation d’infériorité.
Souvent les porteurs de projet (hommes ou femmes) ne comprennent pas, ou peu, ce qui se passe dans la tête des investisseurs, les tenants et les aboutissants de leur prise de décision. Les porteuses de projet sont d’autant plus intimidées et déconcertées si les investisseurs sont du sexe opposé.
Mais il y a tout de même une règle essentielle à retenir: ce ne sont pas des philanthropes, et malgré la diversité de leurs profils, de leurs motivations accessoires, de leurs modes opératoires, il y a bien une chose que tous partagent, parce qu’elle est essentielle à leur activité de capitaux-risqueurs: ils sont là pour gagner de l’argent, beaucoup et rapidement. Tous les autres éléments entrant dans leur prise de décision ne sont que babillage.
Donc, si vous faites de votre projet une promesse de leur faire gagner de l’argent promptement, vous y puiserez toute la confiance nécessaire, quels que soient le secteur d’activité, la phase de développement de votre projet, le degré de complétude de votre équipe. Si vous savez comment enrichir votre interlocuteur, peu importe votre sexe, votre âge, votre catégorie d’entrepreneur. Les biais se dissolvent presque naturellement devant la perspective crédible d’un enrichissement prochain.
Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Les biais se dissolvent presque naturellement devant la perspective crédible d’un enrichissement prochain.”
Mais à quoi l’investisseur juge-t-il s’il va gagner ou perdre de l’argent avec vous, votre équipe et votre projet?
Non pas aux prévisions de flux et de rentabilité – ce ne sont toujours que des hypothèses qui ne se réaliseront très probablement pas. Ne gaspillez pas d’argent en expertises diverses pour peaufiner les prévisions financières de votre plan d’affaires ou en audits financiers divers.
Ne sous-traitez pas non plus toutes les activités originelles (validation de l’idée, du marché, etc.) de votre bourgeon à des professionnels (tech start-up studio, experts-comptables). Ce faisant, vous ratez des occasions de démontrer votre sens de la débrouille, qui est votre principale soft skill.
La débrouillardise des porteurs de projet est une qualité incontournable mais surtout elle n’est pas genrée. Il est impossible d’établir que les hommes sont plus débrouillards que les femmes. En outre, dans une certaine mesure, c’est un talent qui vaut tous les diplômes: en effet, que vaut une fondatrice, titulaire d’un doctorat en gestion, si elle est incapable de se démarquer, peu réactive ou opportuniste, peu inventive…?
Les femmes se sous-estiment, les hommes se surestiment sur un tas de critères autres que leur habileté à trouver des solutions sur un tas de choses, grandes et petites. Pourtant la débrouillardise est le meilleur signe probant de votre agilité et, par conséquent, de votre capacité à pivoter lorsque ce sera nécessaire. Savoir pivoter opportunément est la meilleure garantie que vous puissiez offrir à vos investisseurs pour diminuer les risques qu’ils prennent en vous faisant confiance.
Ressassez votre passé, dans votre vie sociale, dans vos activités culturelles, sportives, professionnelles, pour y trouver des preuves de votre habileté naturelle et vous gagnerez automatiquement en confiance! C’est en outre le meilleur moyen de surmonter le défi quotidien de votre introversion.
C’est votre sens de la débrouille qui gagne le cœur des investisseurs, non la rationalité de votre business plan.
Carl-Alexandre Robyn
“Start-upologue”, fondateur du Cabinet Valoro
(évaluation et notation de start-ups)
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