“Value is in the execution, not the idea”

Tribune
Par Carl-Alexandre Robyn (Valoro) · 14/10/2020

Source: Make It

Financer des idées technologiques en constituant un fonds d’investissement dédié au financement de celles-ci, avant même que les start-ups soient déjà constituées n’est pas un concept neuf : des fonds d’investissement spécialisés en seed capital et en Start-up capital existent depuis belle lurette.

Le nouveau fonds pilote Make It Capital I conçu par le réseau Be Angels et le tech startup studio Make It n’est, a priori, pas une bonne manière de doper la création de futures licornes tech. En tout cas pas dans la forme de collaboration choisie entre ces deux structures d’accompagnement et/ou de financement des jeunes pousses. 

C’est paradoxal mais cette collaboration ne va pas accélérer les levées futures de capitaux pour la start-up accompagnée : elle va, involontairement, les saborder.

Pourquoi ? Pour une simple question de logique, dans le contexte particulier des levées de fonds pour entreprise en phases précoces d’existence.

Pour bien évaluer le prix d’un projet entrepreneurial, ou d’une toute jeune entreprise à peine constituée, on ne peut valablement compter ni sur l’approche dynamique (le calcul à partir des données prévisionnelles, tel par exemple la méthode Discounted Cash Flow), ni sur l’approche patrimoniale, ni sur l’approche analogique (les comparables et les multiples sectoriels de référence).

 

Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Le nouveau fonds pilote Make It Capital I n’est a priori pas une bonne manière de doper la création de futures licornes tech.”

 

En effet, il est trop tôt pour mesurer la rentabilité future d’une société qui n’a encore que peu ou pas de revenus ou de cash-flow, peu ou pas de patrimoine (actifs tangibles et/ou intangibles) et qui ne peut à ce stade précoce d’existence se comparer à aucune entreprise semblable.  

L’investisseur expérimenté s’en remettra très probablement à son instinct et à une méthodologie empirique axée sur la rétrospective telle que par exemple le calcul du coût d’opportunité.

Il s’agit d’une approche pragmatique de circonstance pour évaluer le prix d’un bourgeon (un projet entrepreneurial émergent) qui ne dépend pas des prévisions estimées ou de futurs cash-flows, mais plutôt de facteurs historiques bien connus. Ici, le capital-risqueur s’intéresse au passé immédiat du bourgeon, c’est-à-dire à ce qui s’est passé depuis la genèse de l’idée jusqu’à l’instant t où ses initiateurs sollicitent des investisseurs.

Tout investisseur chevronné reçoit régulièrement, provenant de multiples sources, de nombreuses et variées propositions d’investissement. Dès lors s’il est intéressé d’intervenir dans une start-up particulière, il se pose typiquement la question du coût d’opportunité : “Combien d’argent devrais-je dépenser pour arriver exactement là où en est aujourd’hui la start-up qui me sollicite ?

Cette méthode empirique requiert une confiance mutuelle entre l’investisseur et le/les fondateur(s). En effet, les investisseurs sont bien mal placés pour estimer la quantité d’efforts et de sacrifices consentis pour développer tel ou tel produit ou service ; ils peuvent tout au plus vérifier l’exactitude des données fournies post-facto. Dès lors, les fondateurs sont censés estimer loyalement leurs contributions individuelles depuis la genèse de l’idée jusqu’au stade actuel de développement de leur projet.

Par exemple, un simple calcul des contributions intellectuelles de quatre cofondateurs ayant travaillé pendant deux ans au développement de leur algorithme peut résulter en une valeur estimée entre 1 et 1,5 million d’euros (en se basant sur les salaires bruts aux conditions du marché, aux contributions à la sécurité sociale, etc.).

Règles bousculées

La partie la plus dure pour évaluer une start-up est d’estimer le facteur temps. Ici, je ne fais pas allusion au « taux d’actualisation » des futurs cash-flows, mais plutôt au time to market. Une jeune pousse ne nécessitant qu’un court délai pour apporter sa solution au marché peut engranger une valorisation nettement supérieure comparativement à celles requérant des horizons de commercialisation sensiblement plus longs.

La devise de Make It…

L’intervention d’un tech studio vient fausser l’approche du prix de la start-up par le calcul prospectif du coût d’opportunité prisée par bon nombre d’apporteurs de capitaux d’amorçage et/ou de démarrage.

En effet, grâce à l’intervention du studio, l’investisseur ne doit plus se compliquer la tâche à essayer d’estimer les ressources à mobiliser s’il fallait répliquer la solution difficile sur laquelle travaille le bourgeon qui le sollicite et s’entourer de la dream team pour la mener à bien. Le studio propose un concentré de compétences techniques sur une durée réduite (4 à 6 mois) pour amener l’entrepreneur et son idée dans les meilleures conditions pour sa première levée de fonds: le tout pour un montant forfaitaire de 20.000 euros ! 

Et franchement, des co-fondateurs qui sous-traitent à une structure externe les étapes fondamentales de la genèse de leur projet ne valent guère plus que 20.000 euros. En effet, que penser d’une équipe fondatrice qui remet son “bébé” à une nourrice ? Le fit-elle par lassitude, par fainéantise, par manque de confiance en elle ou plus simplement par manque de compétences en interne ? 

Recourir à un prestataire exogène pour s’épargner pas mal de travail: engendrer et valider la traction du marché, identifier la ou les cible(s) et futurs terrains d’action, tester et valider les hypothèses émises, etc.; ce sont d’ailleurs autant d’opportunités perdues pour les fondateurs de démontrer leur sens de la débrouille. Mais s’épargner cette dose de travail n’augure pas grand-chose sur la qualité du projet. 

 

Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Que pourra exécuter en solo une équipe qui a commencé son existence en sous-traitant les principales activités originelles à un startup studio?”

 

Dans les stades précoces d’existence d’un projet entrepreneurial, la qualité de celui-ci ne se mesure pas à l’aune de l’existence d’un marché suffisant et d’une rentabilité future probable mais à l’aune du caractère de l’équipe censée le mener à bien. Et cet attribut-là se jauge surtout à l’habileté des co-fondateurs, notamment pour trouver eux-mêmes les ressources nécessaires à la concrétisation d’une idée en jeune entreprise émergente.

Le copilote amical qu’est le tech studio pour la start-up n’est là que momentanément, c’est une expertise éphémère extérieure, et non un actif permanent du bourgeon, c’est-à-dire un élément du patrimoine intellectuel transformable en valeur transactionnelle face à des investisseurs.

Le fonds, abondé par Be Angels, prend directement et avant la première levée de capitaux 8 % du capital de la start-up dès qu’elle se constitue. Ce faisant Be Angels valorise implicitement l’idée à 250.000 euros si elle mène aux développements ultérieurs conçus par Make It, et démontre par la même occasion qu’il ne comprend pas, ou peu, le précepte bien connu chez les Anglo-Saxons selon lequel la valeur réside dans l’exécution et non dans l’idée.

(1) Le “sweat equity” est le délicieux terme anglo-saxon utilisé lorsqu’on attribue (avec émotion) une valeur financière aux efforts déployés (et sacrifices consentis) pour passer d’une idée d’affaires à son point de réalisation, c’est-à-dire à la mise sur pied de l’entreprise, ou au moment où le projet est pour la première fois présenté à des investisseurs privés.

Or, que pourra exécuter en solo une équipe qui a commencé son existence en sous-traitant les principales activités originelles à un start-up studio? Se coupant d’une valeur transactionnelle substantielle puisque le capital sueur (1) des cofondateurs est réduit à la portion congrue du forfait facturé par le tech studio) et se privant aussi de l’occasion de démontrer sa principale soft skill : la débrouillardise.

Le tech studio sous-évaluant son input intellectuel et pratique à un forfait de 20.000 euros réduit ainsi drastiquement la valeur premoney (du moins dans sa composante “capital sueur”) du bourgeon accompagné. C’est donc une perte de valeur dommageable et, à terme, démotivante pour l’équipe fondatrice.

Ce qui engendre un problème pour Be Angels : sur quelle base, objective, le fonds Make It Capital I pourrait-il valoriser l’amorçage de la société à constituer à 250.000 euros, sachant qu’il n’a déboursé qu’une fraction de ce montant pour la valider ?

Le système conçu par le réseau de business angels et par le tech studio est biaisé de deux côtés : Be Angels valorise de manière incongrue l’idée (et ce faisant, s’arroge de manière péremptoire une gourmande participation dans la société à constituer), tandis que Make It sous-valorise (à tort) la concrétisation de celle-ci. Donnant ainsi du grain à moudre à tout investisseur sollicité pour refuser l’invitation à contribuer au projet.

Carl-Alexandre Robyn

“Startupologue” et associé-fondateur
Cabinet Valoro (évaluation et notation de start-ups)