“Cross & Le@rn”: un projet de formation d’aidants “anti précarité numérique”

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Par · 12/10/2020

Cross & Le@rn est le nom de baptême d’un projet Interreg de deux ans qui se donne pour objectif de former 1.000 “aidants numériques” (pendant cette période de deux ans), qui auront pour tâche d’accompagner des personnes en “décrochage” numérique afin de leur conférer ou les aider à acquérir des compétences numériques leur permettant de “sortir de la précarité numérique et donc sociétale”.

Objectif chiffré: former ainsi, toujours en l’espace de deux ans, quelque 30.000 citoyens (wallons, flamands et français – dans la région nord de la France), ou en tout cas leur donner les bases – voire plus – leur permettant d’appréhender l’univers numérique dans lequel nous sommes tous plongés au quotidien. 

Quatre acteurs, opérant en Wallonie, en Flandre et en France, sont impliqués dans ce projet trans-frontalier – à savoir:
– WeTechCare (France et Belgique), start-up française “tech & sociale” qui propose une plate-forme pédagogique, baptisée Les Bons Clics, destinée aux acteurs de terrain (agents d’accueil, conseillers, bénévoles, travailleurs sociaux, formateurs numériques…) ; c’est WeTechCare qui assurera le pilotage et la coordination du projet Cross & Le@rn
– Emmaüs Connect, association française qui propose des ressources et des ateliers à des fins d’inclusion numérique
– le centre de compétences wallon Technofutur TIC, ce dernier activant et s’appuyant pour la circonstance sur le réseau des quelque 163 EPN (espaces publics numériques) wallons
– et Digipolis, un organisme flamand qui développe des solutions et ressources informatiques pour les besoins d’acteurs publics (services municipaux, CPAS, écoles…).

( Signalons au passage que nous avions déjà parlé dans un précédent article de certaines initiatives locales pilotées, en Belgique, par WeTechCare et Emmaüs Connect ou basées sur leurs ressources ).

Une statistique éloquente, tirée du Baromètre de l’inclusion numérique 2020, réalisé par la Fondation Roi Baudouin: 39 % des Belges sont démunis face à la numérisation rapide de la société, et ne disposent pas ou trop peu de compétences numériques, même basiques. 20% disent ressentir du stress en raison de la numérisation croissante. Les personnes les plus touchées par cette situation de vulnérabilité numérique sont celles aux faibles revenus, au faible niveau de scolarité, les femmes de 55 à 74 ans et les demandeurs d’emploi.
En France, 17% des Français, soit 13 millions de personnes, sont concernés par le manque d’“inclusion” numérique, ce qu’on désigne outre-Quiévrain par le néologisme “illectronisme”. Source: Insee (institut national français de la statistique est des études économiques)

Jouer la proximité par rapport aux besoins

Qui peut se muer en “aidant numérique”? Les responsables du projet évoquent toute une série de “profils” potentiels: “bénévoles, acteurs sociaux, fonctionnaires, travailleurs associatifs, médiateurs numériques…”.

“L’option prise dans le cadre de ce projet est une vision à 360°”, déclare Jean Deydier, fondateur et directeur de WeTechCare. “La plupart des personnes pouvant devenir “aidants numériques” ont pour la plupart déjà joué ce rôle dans leur vie quotidienne, pour leurs proches ou leurs connaissances.

 

Il y a différents degrés d’“aidant numérique”. D’un côté, les professionnels dont les activités sont dédiées à la formation numérique. Ce sont notamment ceux qui sont actifs au sein des EPN wallons ou français et qui ont donc besoin d’une formation numérique qualifiante.

D’autre part, des aidants pour la diffusion de compétences de type “premiers usages”, qui n’ont pas besoin de formation qualifiante. Ils jouent un rôle complémentaire par rapport à celui des professionnels, dans une dimension plus sociale.

Le but que nous viserons sera donc d’aller vers les gens, au plus proche de publics tels que les seniors, ou les personnes rencontrant des problèmes de mobilité et ne pouvant se rendre dans les lieux classiques d’acculturation numérique.

 

Jean Deydier (WeTechCare): “L’enjeu est la proximité avec la cible et je dirais même une hyper-proximité, avec aussi une dimension de confiance. Pour toucher ces publics, il faut aussi des personnes en qui ils ont déjà confiance.”

 

Voilà pourquoi les personnes qui sont visées par ce projet Cross & Le@rn, pour acquérir une formation d’aidant numérique, sont en bonne partie “des acteurs sociaux qui ont déjà un lien avec ces cibles et qui évoluent déjà par exemple dans le secteur du logement, de la santé, au sein d’associations de proximité, et qui ont déjà leur confiance.”

En virtuel et en présentiel

Les plates-formes où les futurs “aidants” pourront aller puiser ressources et outils pour se former et acquérir les compétences d’encadrement et d’accompagnement nécessaires sont, pour la France, Les Bons Clics et sa version belge 1,2,3 digit.

Ils y trouveront notamment des “formations sur la manière d’évaluer les compétences numériques d’une personne ou d’organiser des ateliers collectifs, des guides de bonnes pratiques, des vidéos thématiques sur des services en ligne particuliers tel que les transactions bancaires en-ligne ou la solution d’authentification Itsme”.

Les compétences à développer viseront donc différents niveaux d’aide à apporter aux citoyens en demande d’“acculturation” numérique: à la fois un accompagnement au diagnostic numérique (en puisant par exemple dans la grille DigiComp) et à l’acquisition de compétences nouvelles et une aptitude à orienter la personne en conséquence et de l’accompagner socialement.

Les deux plates-formes pré-existantes continueront d’être enrichies en contenus. Mais d’autres ressources pourraient également être sollicitées pour les besoins du projet Cross & Le@rn.

Lien vers le site du projet Interreg “Cross & Le@rn”.

“Le but et l’opportunité que donne un projet trans-régional Interreg est de partager et de fédérer des contenus pédagogiques existants, tout comme c’est le cas en termes de ressources humaines et de réseaux”, souligne Jean Deydier. “La prochaine réunion des partenaires du projet sera notamment dédiée à l’évaluation des parcours pédagogiques disponibles chez chacun et permettra de déterminer lesquels pourront être intégrés dans le programme et dans les plates-formes.”

En plus des contenus des plates-formes numériques, les apprenants auront aussi l’opportunité d’échanger en mode présentiel. “Il y aura un espace de dialogue sur la plate-forme – une fonctionnalité que le projet Cross & Le@rn permettra d’ailleurs de perfectionner. Les échanges s’y organiseront selon différents thèmes, sous forme de forums. Mais”, ajoute Jean Deydier, “la démarche sera hybride, avec un accompagnement des apprenants en présentiel. En effet, le but est aussi de faire vivre la communauté, notamment au travers d’échanges de bonnes pratiques, pour capter les idées de terrain et pour mieux personnaliser les contenus.”

Le statut des “aidants numériques”

En Belgique, le “profil” et le statut d’aidant numérique sont encore largement inconnus, non définis, contrairement à ce qui a été mis en oeuvre en France, charte et validation de compétences à l’appui. Même si certains frémissements d’action se font jour. DigiFactory, asbl namuroise, a par exemple réalisé récemment un MOOC pour les besoins de Bibliothèques dans frontières (relire notre article récent à ce sujet) destiné à former de futurs aidants numériques à la mission qui sera la leur (acquisition de compétences techniques numériques, pédagogiques, perception des implications éthiques du numérique…).

 

Jean Deydier (WeTechCare): “Le territoire couvert par le projet est à cheval sur trois territoires. Ces zones frontalières poreuses ont tout spécialement besoin d’une nouvelle dynamique sociale et économique.” Et les compétences numériques en sont l’une des clés.

 

Le projet Cross & Le@rn ne sera toutefois pas forcément l’occasion de réfléchir à la manière de baliser et d’encadrer ce statut. Comme on l’a vu, le projet vise en effet à former des “aidants numériques” qui n’en feront pas forcément une profession, au sens premier du terme.