A l’Université de Mons, et plus précisément au département IT & Gestion de la Faculté polytechnique, un projet de recherche mené par Sarah Itani vise à générer des modèles basés sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique (machine learning) afin de générer automatiquement des diagnostics de troubles psychiatriques ou mentaux chez les enfants.
“Produire automatiquement” ne veut toutefois pas dire que l’on confiera à la seule “machine” le soin de diagnostiquer ce genre de maladies ou de troubles mentaux. Le but, tient à souligner avec force la chercheuse, est de procurer aux professionnels des “outils qui viennent en appui et qui facilitent le travail des cliniciens, afin qu’ils puissent consacrer moins de temps au diagnostic et davantage à d’autres choses” – notamment l’accompagnement des patients.
TEDDI
Le projet de recherche – baptisé TEDDI (Technologies for the Early Diagnostic of Development Impairments) – s’intéresse donc au diagnostic des troubles mentaux ou psychiatriques chez les enfants et plus spécifiquement à l’étude du TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et du TSA (trouble du spectre de l’autisme).
“D’une prévalence non négligeable, ces troubles se manifestent très tôt dans le développement des jeunes, et leurs symptômes restent présents à l’âge adulte. Une détection précoce des syndromes permettrait une anticipation de la prise en charge et contribuerait donc à assurer le bien-être de l’individu.”
Le but du projet de recherche est en fait double. D’une part, s’appuyer sur l’analyse des données médicales pour objectiver des diagnostics qui, dans le domaine de troubles psychiatriques ou mentaux (en l’occurrence ici ceux dont souffrent certains enfants – troubles de l’attention, autisme…), “demeurent encore largement basés sur données subjectives résultant d’observation” (par les médecins, les parents, l’entourage). D’autre part, réussir à générer ces prédictions automatisées de diagnostics de manière fiable et vérifiable.
Commençons par l’objectivation.
Une IA interprétable
Les modèles analytiques destinés à identifier, diagnostiquer, voire prédire des maladies, en ce compris mentales, existent d’ores et déjà. En ce compris en recourant à une analyse et interprétation de données d’imagerie médicale. Là où le projet de recherche de l’UMons se veut différent et novateur est qu’il vise le “développement d’approches de data mining qui favorisent des modèles prédictifs à la fois interprétables et performants”. Le but est d’en arriver à générer des modèles “transparents”.
Source: Bright Link – université Worcester.
“Bien que riche en quantité, la recherche guidée par le data mining semble stagner, se résumant à l’application d’algorithmes aux données. On assiste notamment à une compétition effrénée sur les performances prédictives des modèles développés, même si cela implique de recourir aux modèles les plus opaques.
Les algorithmes actuels donnent naissance à des modèles non transparents qui ne peuvent dès lors être appliqués dans la mesure où le médecin n’est pas à l’aise avec le modèle et ne lui fait pas confiance”, explique Sarah Itani. “Dans l’état actuel des choses, il faut en fait choisir entre performances des algorithmes et transparence. Il a en effet été démontré que l’on perd en performances quand on rend les algorithmes (davantage) explicables.
Le but de mes travaux de recherche est de réussir un compromis entre les deux. Le but est d’en arriver à un modèle grâce auquel la machine génère une explication [du schéma de “raisonnement” suivi]. Qu’elle explique pourquoi elle a identifié ou non un trouble mental ou psychiatrique. Par exemple, en signalant qu’un taux élevé d’énergie a été relevé dans telle zone du cerveau… Le médecin devra pouvoir interpréter l’explication que génère le modèle. Et, s’il n’est pas d’accord avec l’explication, être ainsi en mesure de rejeter le diagnostic.”
Sarah Itani (UMons): “Des paradigmes relatifs à une forme d’intelligence artificielle dite “explicable” et à une science de données perméable à l’intégration de connaissances.”
“Une intelligence artificielle explicable et une science de données perméable à l’intégration de connaissances sont des principes qui nous semblent indispensables au développement de modèles transparents, dont les mécanismes prédictifs sont accessibles et qui font sens pour les cliniciens. En respect des contraintes additionnelles, imposées par la nature-même de la problématique du diagnostic médical.”
IA et science exacte
L’autre objectif du projet de recherche est, comme d’autres du genre, de recourir à l’analyse d’images médicales (examens IRM fonctionnels notamment) pour parer au côté subjectif de simples observations, qu’elles soient le fait de professionnels ou de proches de l’enfant, ou encore de questionnaires auxquels sont soumis les enfants eux-mêmes.
Pour ses recherches, Sarah Itani confronte et vise à concilier données image, documents scientifiques et infos de diagnostics effectués via recours aux méthodes traditionnelles. Pour ses trvaaux, elle a pu avoir recours à des bases de données mises à disposition dans le cadre des initiatives de partage de données Abide (Autism Brain Imaging Data Exchange) et ADHD-200 (ADHD étant la version anglaise de l’acronyme TDAH – Attention Deficit Hyperactivity Disorder).
Une série de centres de recherche ont ainsi mis leurs données à disposition mais cela n’implique pas pour autant que la voie royale ait ainsi été tracée pour Sarah Itani. “La majorité des bases de données sont américaines ou chinoises. La première difficulté [pour leur exploitation] vient du fait que les protocoles pour la collecte-même des données ne sont pas harmonisés.” Autres écueils: le fait que certaines données datent déjà de 2012, le degré de fiabilité des données, sans parler de la réplicabilité des modèles ou algorithmes. “On peut toutefois supposer que le fait que, ces bases de données aient été examinées par des évaluateurs expérimentés avant leur mise à disposition de la recherche, leur degré de fiabilité est bon.”
Ce qui est, au minimum, requis si l’on veut imaginer de nouveaux modèles de prédiction générés par l’IA, en particulier quand on ambitionne de rendre les modèles “transparents” et explicables.
La chercheuse de l’UMons met également en garde ou, en tout cas, émet les réserves d’usage en soulignant que “prédire un diagnostic ne veut pas pour autant dire qu’il sera exact. Les résultats peuvent en effet varier d’une personne [patient] à l’autre.”
Par ailleurs, il ne faut pas non plus se méprendre sur la signification du terme “prédiction”. La prédiction du diagnostic concerne l’état actuel, déjà mesuré ou objectivé par imagerie médicale, du patient. On n’en est donc pas encore a fortiori à prédire à l’avance le risque de développement (ou l’évolution) d’un trouble tel que le TDAH ou le TSA. “Mais il est bien entendu intéressant et envisageable – mais pas encore prouvé – de pouvoir prédire à long terme. C’est en tout cas une perspective à prendre en considération…”
Un long chemin
Sarah Itani ne s’aventure pas à donner des dates ou des estimations de délais pour la concrétisation de son projet de recherche (dont les prémices remontent déjà à 4 ans, du temps où elle préparait son master). Notamment parce qu’une série de paramètres restent à concrétiser. A commencer par le financement du projet et l’accueil que réservera le secteur médical pour initier des études cliniques et le processus, fondamental, de validation. “C’est un travail à long terme”.
Côté financement, les travaux de développement ont jusqu’ici bénéficié d’un financement du FNRS (bourse d’aspirante). La période de quatre ans venant à échéance en septembre 2020, une nouvelle demande pour assurer la poursuite des travaux de Sarah Itani (post-doc de trois ans) devrait obtenir une réponse d’ici octobre.
Parallèlement, une demande est en préparation pour pouvoir financer d’autres chercheurs et élargir les pistes de recherche concernées. La demande sera faite dans le cadre du programme ARC (Actions de Recherche Concertées) de la Communauté française. Une autre piste pourrait être le programme européen H2020 dans le cadre de l’appel à projets “AI for the smart hospital of the future”.
Côté validation et tests par le secteur médical, Sarah Itani a eu l’occasion, à l’automne 2018, de travailler pendant trois mois en Suisse avec une équipe du Swiss Data Science Center, un organisme créé conjointement par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et l’ETH de Zurich. “J’ai ainsi pu travailler sur les données avec leurs algorithmes et les résultats ont été jugés intéressants”. Si le financement du FNRS est accordé en octobre pour poursuivre le projet de recherche, Sarah Itani dit pouvoir renouer les contacts.
Pour l’heure, elle n’a pas encore sollicité activement la participation ou ne serait-ce que les réactions du monde médical mais dit discuter régulièrement de ses recherches avec des collègues de la faculté de psychologie et sciences de l’éducation (FPSE) et de la faculté de médecine et pharmacie (FMP) de l’UMons…
Un contact informel a également été noué avec le Centre hospitalier psychiatrique du Chêne aux Haies (Ambroise Paré, également à Mons).
Pour plus d’informations spécifiques sur les travaux de recherche et de développement IA de Sarah Itani, voici un article scientifique qu’elle a publié en collaboration avec des chercheurs de la faculté de Psychologie et Sciences de l’Éducation de l’UMons.
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