Face à la pénurie ou, de manière moins critique, aux besoins en profils numériques et IT, les Centres de Compétences sont amenés à revoir leur catalogue de formations ou à lancer de nouvelles formations. Mais sur base de quels indicateurs ? Comment évaluer avec précision les besoins du marché et le pourcentage de “profils activables” ou mobilisables?
D’une manière générale, pour identifier des thèmes de nouvelles formations, les Centres de Compétence s’appuient notamment sur des analyses venant du Forem ou d’acteurs de terrain.
Les besoins en compétences et en profils nécessités par des technologies émergentes sont par ailleurs détectés et analysés à la faveur d’une veille constante des équipes internes, d’échanges avec des experts de terrain (par exemple par le biais de séminaires et ateliers). Chez Technifutur, par exemple, sept représentants d’entreprises siègent au conseil d’administration. Sans compter l’existence d’un “comité de pilotage industriel.”
Voici le cheminement de décision que suit par exemple Technocité… “Le choix est extrêmement complexe car il dépend de nombreux facteurs”, explique Richard Roucour, directeur adjoint du Centre. “Il y a d’abord la technologie et son usage. Ensuite, le métier et ses compétences. Enfin, il y a la façon de l’enseigner. Nous nous appuyons dès lors sur une veille permanente de la pédagogie, des métiers et des technologies afin de détecter celles qui émergent et qui, à notre avis, auront un impact sur les métiers et les compétences.
Les formateurs externes auxquels nous avons recours sont tous spécialisés dans un domaine et sont donc, eux aussi, une bonne source puisqu’étant en contact direct avec le marché de l’emploi et des entreprises.
Nous participons par ailleurs à des salons spécialisés, en Belgique mais aussi à l’étranger. Nous organisons des ateliers entre professionnels. Nous nous entourons de partenaires – entreprises, asbl culturelles… Nous analysons les différentes études menées au niveau international, l’Europe et les régions, etc.
Ensuite, nous décidons de mener de premières actions d’information, de formation courtes, d’ateliers thématiques… Et si le marché de l’emploi réagit favorablement, nous nous positionnons de manière plus structurelle avec une offre de formation qualifiante.”
Mais comment “mesurer la réaction du marché de l’emploi”? “Nous commençons souvent par initier des formations courtes sur des points précis. Ainsi, en 2010, nous avons inauguré une formation jeux vidéo d’une durée d’environ 4 semaines.” Le besoin et l’intérêt ayant été confirmés, les formations sont devenues qualifiantes et de type long (200 jours) et se sont scindées en formations pour développeurs de jeux, pour infographistes 3D et pour game designers.
Entre audace et prudence de Sioux
Pour décider de l’opportunité d’une nouvelle formation, l’un des bons marqueurs est le “volume d’intérêt” que l’on peut notamment décomposer en potentiel de mise à l’emploi et de disponibilité de profils de candidats-apprenants. A condition de pouvoir les quantifier à un stade aussi précoce.
Lorsque la décision est prise d’initier une nouvelle formation basée sur une tendance naissante, le principe généralement suivi est de commencer par une formation-test pendant temps déterminé, sur une seule cohorte d’apprenants (une douzaine de personnes). Si le taux d’insertion s’avère satisfaisant, on réitère ou on élargit la formation pour la transformer en parcours qualifiant. “C’est ce que nous avons fait dans le domaine des data [data science, data analyst…] sans être sûrs, au départ, que les entreprises étaient prêtes à venir puiser parmi les personnes formées pour ce genre de profils par les Centres de Compétences.”
Décider d’ajouter une formation spécifique est parfois un coup de poker. Ce fut un peu le cas, chez Technocité, de la formation Toon Boom, un logiciel très spécifique de création et animation 2D (imaginé par une société canadienne). La formation a été lancée voici deux ans à la demande d’une petite société qui ne trouvait pas ce genre de profils en Belgique. “Aujourd’hui, c’est devenu une formation qualifiante à part entière, pour cinq sociétés qui sont demandeuses.”
Richard Roucour (Technocité): “Si nous devions lancer toutes les formations que nous identifions comme potentiellement intéressantes, nous devrions bénéficier d’un financement trois fois supérieur.”
Autre règle que gardent les responsables des centres de formation à l’esprit: tenir à l’oeil les tendances qui se font jour mais ne pas pour autant vouloir être “trop tôt sur la balle”. Des tendances technologiques, il en naît désormais quasiment tous les jours. Certaines se pérenniseront. D’autres feront long feu. Courir et aménager des formations pour répondre à toutes les flammèches est, primo, impossible ; deuzio, épuisant ; tertio, potentiellement inefficace.
Même lorsque le “filon” semble être en or, la réalité peut décevoir. Exemple du côté de Technobel. Le Centre de Compétences a intégré relativement tôt des formations au gaming (jeux vidéo). C’est vrai que ce sous-secteur (jeux sérieux, adgames et consorts) a soudain eu droit à un gros regain d’intérêt, voici déjà quelques années. Mais se lancer dans des formations n’était pas forcément une nécessité à ce moment-là, pointe Pascal Balancier (AdN). “Comme le faisait remarquer à l’époque Laurent Grumiaux de Fishing Cactus, avant de former des profils, il faut d’abord développer le marché lui-même. Les profils belges existants ne trouvent déjà pas des employeurs chez nous et n’ont d’autre recours que d’aller postuler auprès de sociétés à l’étranger…”
Autre exemple, donné par Yvan Huque, directeur de Technofutur TIC: “Je viens par exemple de passer plusieurs jours à étudier ce qui se dit et s’écrit au sujet de l’informatique quantique. Mais force est de constater que, chez nous, le marché n’existe pas encore…”
Parfois, des initiatives de nouvelles formations par les Centres de Compétences n’ont qu’une durée de vie limitée, parce que l’enseignement embraye assez rapidement sur la demande. La Haute Ecole HELHa, par exemple, a intégré le gaming à son répertoire. Idem pour la communication Web qui est devenue un cours assez classique, poussant Technofutur TIC qui en avait fait un axe important voici quelques années à s’en désintéresser pour se reconcentrer sur le digital marketing.
Gare aussi aux “effets d’aubaine”: certaines formations sont organisées parce que des moyens sont mis à disposition dans le cadre d’un projet européen – et/ou ne peuvent être organisées que grâce à cette manne. Ces incitants financiers correspondent-ils toujours à un besoin concret du marché local? Ces formations trouvent-elles preneurs, en suffisance, que ce soit du côté des entreprises ou des apprenants eux-mêmes? “Même lorsqu’il y a un besoin du marché, même si la formation se justifie par exemple en raison de l’arrivée d’une nouvelle législation, il n’est pas toujours aisé de trouver les “bons” profils du côté des chercheurs d’emploi ou des personnes susceptibles de reconversion”, déclare Pascal Balancier. Ce n’est pas le Forem ou les Centres de Compétences qui diront le contraire – relire, à cet égard, le deuxième article de notre petite série, en particulier le passage “Difficile de les dénicher”.
Les nouveautés au programme
Ces dernières années, une série de nouvelles formations ont fait leur apparition dans le catalogue des quatre centres de compétences wallons orientés IT/numérique.
Chez Technifutur, on peut par exemple citer les formations Square Code – pour développeurs Web, Java, .net, développeurs d’applis mobiles ou pour DevOps. Sans oublier un catalogue orienté Industrie 4.0.
Technocité, lui aussi, a diversifié ses offres, lançant des formations en sécurité des systèmes de l’information avec Linux, pour développeurs Javascript, mais aussi des formations pour game designer, animateur 2D Toon Boom… Sans oublier la création de labos orientés Internet des Objets, impression 3D et réalité virtuelle/réalité augmentée.
On retrouve sensiblement les mêmes ajouts récents du côté de Technobel: consultant en cyber-sécurité, développeur de jeux (VR), mais aussi ingénieur de support réseau et spécialiste DevOps. S’y ajoutent encore quelques formations-pilote portant sur des technologies et thématiques émergentes: Intelligence artificielle, Internet des Objets, RGPD…
A Gosselies, chez Technofutur TIC, l’accent a notamment été mis, ces dernières années, sur les data (data scientist, analyste BI…) ou encore le marketing digital, sans renier pour autant les “fondamentaux”: gestion de projet, business analysts, développeurs front end et back end. “Dans ce dernier registre, même si les intitulés n’ont pas changé, on continue à faire évoluer le contenu, en fonction notamment de l’émergence de nouveaux langages de programmation”, indique Yvan Huque, directeur de Technofutur TIC.
Le Centre se lance aussi dans des formations plus en lien avec le buzz du moment, devenant par exemple partenaire du programme AI Black Belt.
A l’avenir, Yvan Huque estime que le catalogue continuera dans la voie de la verticalisation, avec des formations pour des secteurs ou métiers spécifiques (telles que des formations orientées data pour la logistique ou l’industrie 4.0. “Nous ne nous interdisons par ailleurs pas d’éventuelles incursions du côté de l’e-tourisme, de manière ponctuelle, s’il y a une demande de la part des acteurs du secteur…”
Dans la suite de cet article, nous aborderons deux évolutions dans la manière d’opérer des Centres de Compétences: d’une part, l’offre de formations davantage conçues “sur-mesure” pour les entreprises et, d’autre part, un début de renouveau dans les méthodes pédagogiques appliquées.
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