Depuis deux ans, une équipe du département Santé publique de la Faculté de médecine de l’ULiège s’est lancée dans des travaux de recherche mais aussi de développement afin d’appliquer à la formation des professionnels de santé (urgentistes, en particulier) des techniques nouvelles d’immersion pédagogique et de donner naissance à de nouveaux outils de simulation, dispositifs et environnements pédagogiques innovants, destinés à la médecine et à la santé publique.
Le Centre de Simulation Médicale de Liège (Smile pour les intimes) se donne pour objectif de procurer aux apprenants une “immersion dans des situations authentiques afin de les aider dans leurs processus d’apprentissage”.
Et quoi de mieux pour recréer des situations critiques, complexes voire exceptionnelles, que la réalité virtuelle?
“La VR a un pouvoir inégalé d’immersion en situation simulée”, souligne le Prof. Alexandre Ghuysen, chef des urgences du CHU de Liège.
“Elle est aussi un outil qui permet à l’apprenant de se protéger. Face à des actes mal posés, notamment pour cause de difficulté ou de contexte inhabituel, l’apprenant a la possibilité de procéder à des simulations. On peut ainsi ’amener jusqu’au bord de sa zone de confort, sans qu’il y ait de conséquence.”
C’est non seulement un changement profond de pédagogie mais aussi un tout nouveau chapitre qui s’ouvre potentiellement en termes de “culture de l’erreur”. Le but devient de “se tromper pour apprendre et bien réagir, en toute sécurité, d’apprendre à prévenir et à contrôler le dérapage. Loin du caractère punitif de la notion traditionnelle d’erreur médicale…”
La réalité virtuelle vient donc s’ajouter à la panoplie de techniques d’“apprentissage adaptatif” utilisées dans les formations au Centre de simulation: depuis les mannequins qui deviennent de plus en plus réalistes et interactifs jusqu’aux jeux de rôles où des professionnels et/ou d’autres étudiants mettent en scène une situation que doit appréhender l’apprenant.
De premiers enseignements
Depuis le mois d’octobre 2018, les environnements virtuels créés sont mis à contribution pour la formation des étudiants. “Tous les étudiants assistants aux urgences ont droit à une session d’une matinée”, explique Isabelle Bragard, chargée de cours au département de Santé publique de la Faculté de médecine.
Ils ont l’occasion de se former à deux types de situation d’urgence (accident en milieu clos et dans l’espace public – voir plus de détails ci-dessous). Un troisième environnement viendra s’y ajouter cette année (l’application est encore en phase de tests). Il concerne le dialogue médecin-patient dans des circonstances impliquant l’annonce de mauvaises nouvelles (par exemple, l’annonce d’un cancer à un patient).
Prof. Isabelle Bragard (SMILE, ULiège/CHU de Liège): “Afin de garantir des sessions les plus interactives et un suivi pédagogique personnalisé, chaque session accueille au maximum quatre personnes.”
Bien que s’appuyant sur des réalisations VR déjà expérimentées dans d’autres pays, dans des contextes d’apprentissage médical (Brest, Marseille, Québec…), l’équipe du centre liégeois est encore en phase de découverte de l’impact que peut avoir cette technologie en matière pédagogique.
“La possibilité de librement modifier les événements simulés permet de procéder de manière progressive en termes de variantes stressantes, de degré de complexité qu’on injecte”, déclare Jean-Christophe Servotte qui prépare en ce moment une thèse de doctorat sur les modalités et implications pédagogiques de l’utilisation de la VR en situation de formation médicale.
En milieu d’apprentissage, il n’est pas anodin de veiller à ce paramètre de progressivité: “on sait par exemple que les jeux vidéo de type jeux de guerre peuvent induire un stress post-traumatique. Pour la formation médicale, il est donc utile de procéder par immersion progressive dans le réalisme et la complexité des situations.”
L’équipe du centre a par ailleurs veillé à définir des objectifs pédagogiques sur chacun des scénarios simulés (par exemple, le triage de victimes lors d’une catastrophe). Les facteurs techniques et médicaux entrent en considération mais aussi les facteurs humains, “par exemple la qualité de la gestion de l’équipe, l’évaluation de la situation en cas de stress intense, la rapidité de prise de décision…
Il est essentiel de définir ces paramètres au préalable afin de pouvoir analyser ensuite le comportement des personnes et arriver à déterminer pourquoi elles ont rencontré des difficultés”, insiste le Prof. Alexandre Ghuysen.
La thèse de Jean-Christophe Servotte porte notamment sur l’analyse d’adéquation entre les objectifs pédagogiques et l’acquisition de compétences par la VR. “En tant que scientifique, il est intéressant de découvrir s’il y a peut-être d’autres types de “jeux” qui seraient plus intéressants que la réalité virtuelle pour simuler des situations catastrophe”, exlique le Prof. Ghuysen. “Les seules choses que l’on sait actuellement, c’est que la VR permet une bonne évaluation a posteriori et que les patients et les soignants en retirent plus de satisfaction.
Le SMILE, c’est…
– l’équivalent de trois personnes à plein temps
– une quinzaine d’instructeurs mis à disposition, quelques heures par mois chacun, par le CHU
– une supervision académique, assurée notamment par les professeurs Isabelle Bragard et Alexandre Ghuysen
– 5 chercheurs intervenant au niveau de la cellule scientifique/développement
Mais l’usage de cette technologie étant encore récent, on n’a pas encore pu tester les effets sur l’apprentissage en termes d’habileté et de connaissances.”
Et d’ajouter: “cela nous intéresse beaucoup de déterminer comment les intervenants médicaux prennent leur décision, si cette prise de décision est différente en situation VR par rapport à une situation réelle, comment ils en arrivent à cette décision, s’ils se reposent sur divers éléments ou d’autres personnes. D’où l’importance de bien définir les objectifs pédagogiques tant techniques que non techniques.
Nous utilisons la VR non seulement comme un outil pédagogique mais aussi et surtout pour en étudier les contours. Sans pour autant considérer les étudiants comme des cobayes…”
Trois environnements
Le premier environnement que le centre de simulation a développé, avec l’aide de la société canadienne Connexence, spécialisée en solutions d’e-learning, est une simulation de l’accident de bus dans le tunnel de Sierre.
La réalité virtuelle permet en effet non seulement de reproduire un scénario mais de le moduler à l’envi. Un autre avantage par rapport aux exercices catastrophe, sur le terrain, est de permettre à chaque apprenant d’expérimenter toutes les facettes d’une situation ou d’une intervention. Et de multiplier le nombre d’apprenants par exercice.
Le tunnel de Sierre. Un lieu de sinistre mémoire… Tel qu’il existe désormais, après léger aménagement…
… dans l’univers virtuel développé à des fins de formation par l’équipe SMILE (ULiège).
“Pour l’accident de Sierre, par exemple, l’environnement virtuel permet de simuler la catastrophe en situation nocturne ou diurne, avec ou sans déclenchement d’incendie, d’ajouter du trafic…”
Ou encore de moduler le scénario de sauvetage, en déplaçant l’endroit par où les équipes pénètrent dans l’habitacle, en changeant les profils (âge etc) des victimes ou la nature de leurs blessures…
Tel que l’environnement a été développé (afin d’en réduire la charge de développement autant que possible), le réalisme n’est toutefois pas poussé à l’extrême. Exemple: les apprenants indiquent oralement les décisions qu’ils désirent prendre face à une victime. Ils dialoguent donc en continu avec l’opérateur-formateur qui, derrière l’écran, déclenche le visuel et la trame correspondant à la décision.
Autrement dit, par ses gestes, un apprenant ne déclenche pas lui-même le déplacement du corps d’un enfant ou le fait de dévêtir un blessé. Une commande opérée par l’opérateur demeure nécessaire.
“Le même principe est applicable par exemple au choix de produits ou médicaments à administrer. Nous aurions pu utiliser les manettes pour une interaction totale mais piocher un médicament dans un menu a quelque chose de factice qui ne correspond pas aux pratiques dans la vie réelle”, indique Jean-Christophe Servotte.
Par contre, l’environnement développé simule bel et bien les effets d’une mauvaise décision ou d’une intervention trop tardive. Par exemple, si une blessure n’est pas soignée rapidement, la flaque de sang simulée s’élargira dangereusement…
Deuxième environnement-catastrophe simulé en VR: une explosion sur une place publique. “Le tunnel de Sierre – mais ce pourrait être celui de Cointe – est un espace fermé. Une catastrophe dans un espace libre implique d’autres scénarios et la nécessité de poser les actes autrement”, explique Isabelle Bragard.
La troisième application VR développée concerne l’apprentissage de la communication médecin-patient. Jusqu’ici, les étudiants apprennent par exemple à communiquer de mauvaises nouvelles aux patients en se livrant à des jeux de rôles. “Mais cette technique a ses limitations, notamment pour de grands groupes d’étudiants.”
Prof. Alexandre Ghuysen (CHU Liège): “L’usage de la technologie VR étant encore récent, on n’a pas encore pu tester les effets sur l’apprentissage en termes d’habileté et de connaissances.”
L’idée a dès lors surgi de développer une application avec des avatars figurant des patients. L’appli créée n’est pas entièrement automatisée, en ce sens que l’algorithme ne transforme pas réellement l’avatar en interlocuteur hyper-réaliste. Le dialogue est encore très “formaté” puisque l’étudiant doit choisir dans un menu de phrases. Selon son choix, l’algorithme déroule le scénario correspondant (dialogue et réactions du patient).
Les propos que tient l’étudiant ne sont donc pas spontanés mais c’est déjà une première étape. Un environnement VR semble d’ailleurs présenter certains avantages par rapport à un jeu de rôle. “La VR est moins “confrontante”. Elle permet de dédramatiser davantage, permet à l’étudiant de prendre le temps de choisir ses formulations. Il se sent moins observé. Nous allons donc tester l’efficacité d’un tel apprentissage, éventuellement en phase antérieure au jeu de rôle. Il semble d’ores et déjà que la VR favorise une meilleure relation empathique”, déclare Isabelle Bragard.
Collaborations internationales
Le développement de solutions et environnements VR étant un processus lent et onéreux, le centre SMILE de Liège compte beaucoup sur des échanges et collaborations pour étoffer le catalogue proposé. C’est d’ores et déjà le cas avec l’Université de Laval, au Québec, qui a développé des environnements virtuels à l’attention d’ambulanciers pour la simulation d’interventions sur accidents de la circulation.
Une collaboration pourrait également se concrétiser avec l’Université d’Aix-Marseille, plus spécifiquement avec le laboratoire Parole et Langage, une unité de recherche du CNRS, qui pourrait apporter son expertise dans le cadre de l’environnement “Annonce de mauvaises nouvelles” (notamment pour enrichir l’interface et l’univers simulé, en ajoutant des intonations vocales ou simulant les signaux para-verbaux – expressions du visage…).
Réalité virtuelle, augmentée et/ou modifiée
En plus de solutions VR, le centre Smile veut également se lancer dans des recherches et développements impliquant la réalité augmentée. Notamment en exploitant les potentiels du casque HoloLens de Microsoft.
Première utilisation prévue: l’“augmentation” des mannequins qui servent pour l’apprentissage des gestes techniques (réanimation, intubation…). “La réalité augmentée permettra de transformer l’apparence des mannequins pour mieux respecter le principe d’authenticité. Les étudiants pourront ainsi travailler sur des mannequins « augmentés » tout en gardant la possibilité de pratiquer des gestes techniques réels.”
Grâce aux lunettes, des “couches” de réalité simulée pourront être ajoutées à la demande: apparence d’une peau carbonisée par le feu, vision des organes internes…
Un autre projet, mené dans le cadre d’un programme Interreg, impliquera des partenaires hollandais et allemands pour le développement d’une solution de type “serious game” pour formation à des situations d’urgence. A l’usage non seulement des professionnels de la santé mais aussi des simples citoyens. Il s’agirait alors d’une application que chacun pourrait utiliser chez lui, “mais toujours avec une dimension de rétroaction pédagogique par un instructeur”.
Pour développer cette nouvelle application, le centre SMILE est d’ailleurs à la recherche d’un développeur et d’un infographiste…
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