Les administrations locales (communales ou municipales) se sont-elles déjà éveillées à l’importance que revêtent les données, tant celles qui leur permettent de fonctionner et de prester des services aux citoyens que celles qui concernent tous les acteurs de leur territoire?
FuturoCité a dédié son nouveau “baromètre” à cette question. Où en est-on dans le cheminement vers l’open data? La gestion des données est-elle fragmentée, structurée, “proactive”?
Sans données, pas de gestion possible pour la conduite d’une politique locale judicieuse et pas de “smart city”. C’est sur base de ce constat fondamental que le centre d’innovation FuturoCité, l’un des deux organismes référents wallons en matière de “Smart Region”, a mené une enquête auprès des villes et communes wallonnes (112 d’entre elles, soit 43% du total, y ont participé).
“On sait qu’en matière d’open data et de gestion des données, les pouvoirs locaux wallons ont encore bien du chemin à parcourir”, indique Nicolas Installé, directeur de FuturoCité. “Notre but, au travers de ce baromètre, était d’objectiver les choses, de mieux cerner les problèmes, le stade de développement des différents acteurs…
L’enquête visait à documenter la situation selon quatre perspectives: existe-t-il une “culture” des données au niveau et au sein des pouvoirs locaux ? ; où en sont les communes en termes de mise en conformité avec la réglementation RGPD (Règlement européen sur la Protection des Données) ? ; comment les villes et communes se positionnent-elles par rapport aux open data ? ; quels sont les ressources mises en oeuvre (personnel, processus, outils) ?
Prise de conscience
Parmi les principales conclusions, transversales, que Nicolas Installé tire de l’enquête, le constat – en mode confirmation – que la taille des villes et communes détermine dans une large mesure la manière dont elles perçoivent les données et s’en saisissent au quotidien. “Les grandes entités perçoivent l’open data et le RGPD comme des opportunités alors que les petites y voient surtout une contrainte. Il y a là une importante dichotomie, que l’on retrouve d’ailleurs aussi en termes de maturité et d’effectifs – que ce soit au niveau des personnes chargées de gérer les données ou de présence ou non d’un échevin chargé des matières numériques ou de l’IT.”
Deuxième constat général: il se confirme que la “culture” des données est encore loin d’avoir pris racine. “Il y a une assez faible prise de conscience de la valeur ajoutée des données, comme outil de développement du territoire. Il y a là, par conséquent, un retard à rattraper, une culture qu’il va falloir développer à l’avenir.” Comment?
C’est l’un des axes sur lesquels FuturoCité propose de se concentrer, en en faisant (si la Région accepte cette orientation de son contrat de gestion) l’un des axes à favoriser dès 2019. L’un des moyens envisagés est d’organiser des ateliers, décentralisés, pour sensibiliser, informer, former… De quoi répondre notamment à l’une des attentes ou demandes insistantes émanant des autorités locales: “nous avons besoin d’un accompagnement, de formations, voire de documents et de bonnes pratiques, pour appréhender l’ouverture des données.”
En cause: un manque de moyens – manque perçu ou bien réel. “Les autorités locales sont en demande de moyens, d’outils, de documents ou de méthodes”, souligne Nicolas Installé. “Souvent, les outils dont elles disposent ne leur permettent pas de s’interfacer avec des outils de gestion RGPD pour ensuite pouvoir faire de l’open data…”
Les données? Une grande inconnue
Les données, leur collecte, leur gestion, leur “transformation intelligente” pour développer le territoire, les initiatives locales, les services, pour permettre à tous les acteurs du territoire de s’impliquer… Voilà donc une prise de conscience et un chantier concret qui doivent encore être largement initiés (les chiffres et constats que nous reprenons ci-dessous en témoignent). Mais l’une des raisons se trouve aussi dans un manque de leadership, de vision claire et de volontarisme “venant d’en haut”. A savoir de la Région (sans parler du fédéral).
S’il ne fallait qu’en prendre un seul exemple – et nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet -, on pourrait pointer du doigt la lenteur toute “gastéropodique” qu’adopte le processus d’accouchement du Décret Open Data. Certes, il a été voté par le Parlement wallon voici plus d’un an (juillet 2017) – avec, déjà, un retard de deux ans sur ce que préconisait l’Europe – mais, un an plus tard, l’arrêté d’exécution est toujours aux abonnés absents. Explication officielle? Une ba-balle qu’on se renverrait entre Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais passons (pour l’instant) sur ces raisons.
Le résultat, au niveau local? Une grande méconnaissance, non seulement de la notion d’open data, mais aussi de l’existence-même de ce Décret ! Pas moins de 39% des communes ayant participé à l’enquête de FuturoCité disent ne même pas avoir connaissance de son existence.
“En matière d’open data, rares sont encore les communes qui ont procédé à des développements. Le pourcentage est même plus faible que prévu”, regrette Nicolas Installé. “Beaucoup (12%) y voient une contrainte. Ce sont surtout les plus grandes entités qui y voient une opportunité de plus grande transparence (24%) ou pour davantage de participation citoyenne (23%).”
20% estiment que les open data sont une opportunité pour améliorer la qualité de leurs données ; 18% y voient un instrument pour stimuler l’innovation dans leur région ou sur leur territoire. Il s’en trouve même 3% qui estiment que les open data peuvent être une source d’économies financières.
Mais, dans l’état actuel des choses, seules 9% des communes ayant participé à l’enquête [soit 10 communes) “ouvrent” leurs données. Et dans 9 cas sur 10, les données concernées se limitent à des matières culturelles et touristiques.
Pourquoi cet immobilisme ou attentisme? La principale raison évoquée est un manque de ressources – en temps, moyens financiers et effectifs. Une proportion non négligeable de communes (25% des réponses) s’abstiennent parce qu’elles “ne savent pas quels types de données peuvent être ouvertes”. 13% ne savent pas quand les données doivent être anonymisées. 12% disent craindre de perdre ainsi le “contrôle” sur leurs données.
Espoir à l’horizon toutefois: 74% des communes ayant participé à l’enquête se disent “prêtes à collaborer avec des acteurs privés pour mieux exploiter leurs données.”
Qu’a-t-on en stock?
La première condition pour exploiter des données est bien entendu de faire le bilan de ce qu’on a en stock. En la matière, nombreuses sont encore les communes qui doivent tout simplement faire un état des lieux, répertorier et identifier les données qu’elles détiennent.
36% des 112 communes participantes ont procédé à un inventaire: 30% via leurs propres équipes; 3% via un prestataire extérieur; et 3% ont certes un inventaire mais qui n’est plus à jour.
64% toutefois n’ont pas réalisé d’inventaire. Et les grandes entités, en la matière, ne sont pas forcément plus vertueuses que les autres: seule une grande commune sur les six ayant participé à l’enquête avait procédé à un tel inventaire…
Pas vertueuses non plus, les grandes entités, en termes de centralisation des données. La taille et l’historique de ces communes expliqueraient d’ailleurs plutôt une fragmentation et un éparpillement des données dans de multiples services et systèmes.
4% seulement des communes ayant répondu à l’enquête indiquent disposer d’un système de gestion intégré (de type ERP). 14% disent vouloir s’en doter d’un. Mais 64% n’envisagent pas de le faire.
“Chaque service continue de gérer ses données dans son coin. Avec tout ce que cela peut impliquer comme doublons et erreurs”, constate Nicolas Installé. Les plus petites communes seraient en meilleure posture. Grâce à… l’une de leurs contraintes. “Par manque de ressources humaines, la tendance est davantage à la concentration des données. Celles-ci sont donc davantage centralisées et cohérentes…”
Après l’inventaire vient l’évaluation de la nature et de la qualité des données. En la matière, c’est quasi la bérézina: seulement 9% ont procédé ou fait procéder à un audit de qualité. 46% pensent le faire, “prochainement”, mais 46% n’envisagent pas de le faire.
Mais même lorsqu’elles ont procédé à un inventaire, voire à un audit qualité, cela ne veut pas dire pour autant que les villes et communes exploitent leurs données. En effet, l’enquête de FuturoCité révèle que 54% des communes ne les exploitent pas. A contrario, parmi celles qui les exploitent, ils s’en trouve qui le font sans savoir avec exactitude quelles sont les données qu’elles détiennent. Elles en utilisent donc mais sans savoir qu’il y en a sans doute d’autres, méconnues ou nécessitant organisation et amélioration, qui pourraient leur être utiles.
Seules 2% des 112 communes ayant répondu à l’enquête affirment que leurs données sont “analysées et utilisées de manière intelligente, par le biais de solutions analytiques voire d’applis d’intelligence artificielle.”
Qui gère les données?
Un petit tableau (voir ci-dessous) en dira bien plus qu’une longue énumération de chiffres.
A noter toutefois un signe plutôt positif: le nombre de communes ayant désigné un échevin pour couvrir les matières IT/numérique ou encore la proportion de villes et communes s’étant dotées d’un “chief data officer” voire d’un DPO (data protection officer). Avec, très naturellement, une proportion plus importante du côté des grandes entités.
Lacune toutefois de l’enquête de FuturoCité: elle n’a pas tenté de dresser le profil des “chief data officers”. Impossible donc de déterminer avec quelles autres fonctions il ou elle combine ce rôle, quelles sont ses compétences…
On le voit dans le tableau, 60% des communes (toutes tailles confondues) disposent d’un DPO. C’est là, bien entendu, un effet direct de l’entrée en vigueur de la réglementation européenne RGPD. Une proportion somme toute positive mais avec néanmoins une surprise: peu de communes (du moins parmi celles ayant répondu à l’enquête mais y compris donc parmi les plus modestes) ont décidé de “mutualiser” leur DPO avec d’autres entités ou d’autres services publics locaux (CPAS…).
Il y a certes eu mise en commun des efforts mais plutôt dans la phase d’analyse et de mise en conformité. 8% des communes ont ainsi procédé à cet exercice en mutualisant la démarche entre administration communale et CPAS. 12% des communes ont fait alliance avec d’autres communes.
L’enquête, malheureusement, n’a pas analysé les raisons ou encore les partenaires éventuels vers lesquels les autorités locales se sont tournées…
Dernière chose: si les communes ont bel et bien entamé un exercice d’évaluation de conformité RGPD, peu voire très peu d’entre elles étaient encore en ordre lorsque l’enquête a été réalisée. Logique et sans surprise, estime Nicolas Installé. “Nous avions volontairement planifié le début du sondage à la fin mai [il a été effectué entre le 29 mai, date d’entrée en vigueur du RGPD, et le 20 juillet]. Le but était d’avoir un instantané de la situation, en termes de conformité RGPD, au moment de son entrée en vigueur. Sans surprise, le pourcentage était faible à ce moment-là”. Faible en effet: tout juste… 2%.
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