CitizenLab, champion belge de la consultation populaire en-ligne

Pratique
Par Jean-Luc Manise · 07/09/2018

Arlon, C Vous. Demain Mons. Réinventons Liège. Flobeck 2025: vos idées pour la commune. Co-créons tous ensemble Grez-Doiceau. Votez pour la Place aux Foires de Demain, à Marche-en-Famenne…

La liste des villes et communes ayant adopté la plate-forme de consultation et participation citoyenne de CitizenLab, start-up “gov tech“ bruxelloise incubée chez Start@IT KBC, se profile, chez nous, comme le chef de file de ce type de solution. Avec aussi, de sérieuses ambitions hors frontières.

Aline Muylaert, co-fondatrice CitizenLab: “Notre plate-forme permet de faire des propositions, d’enrichir les idées des autres participants, d’exprimer ses préférences en votant pour ou contre. CitizenLab se concentre sur la participation et la prise de décision locale et moins sur la communication générale de l’information.”

A la différence de Fluicity, la start-up ne propose pas encore d’appli téléchargeable, se cantonnant à une plate-forme Web. Mais une solution de type application mobile est bel et bien dans les cartons. Contrairement à l’optique choisie par le concurrent, le but est de permettre à chaque commune d’avoir une appli qui lui soit dédiée en propre. Voir, à ce sujet dans cet autre article, le petit échange d’arguments auquel se livrent les deux sociétés en matière d’espace dédié, commune par commune, par opposition à un espace transcendant ces limites géo-communales.

Marche: d’un “one shot” à du plus permanent

En tout, une trentaine de communes, en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie ont opté pour CitizenLab. Des petites, comme Marche-en-Famenne, et des grandes, comme Liège.

A Marche, l’informatique et même Internet est une vieille histoire.

“On a commencé très tôt, en 1981”, explique Ana Aguirre, responsable du Centre de Support Télématique (CST). “En 1997, on a ouvert une expérience pilote avec Belgacom, Telelux et Idelux qui s’appelait déjà le Centre de Support Télématique. L’expérience devait durer 6 mois. Il s’agissait de faire découvrir Internet aux citoyens avec déjà des “prouesses”: le téléchargement se faisait par le câble, six fois plus vite qu’avec Belgacom.

Déjà à cette époque, chaque habitant qui en faisait la demande recevait une adresse @marche.be, que le CST gère toujours actuellement.”

Le choix de travailler avec CitizenLab a été justifié par la possibilité de faire un “one shot” sur un projet, “dans un cadre bien défini, sans ouverture de ce que CitizenLab appelle la boîte à idées”. “La Ville de Marche a décidé de lancer une consultation citoyenne dans le cadre d’un concours architectural portant sur le réaménagement de la Place aux Foires de Marche. Elle accueille de plus en plus de manifestations, ce qui implique de nombreuses opérations de montage et du démontage de chapiteaux. L’idée était de voir si on pouvait la couvrir.“

Pas de boîte à idées

Nicolas Druez, responsable communication, de la Ville: “Nous avons travaillé avec CitizenLab pour configurer la plate-forme de manière à ce qu’elle corresponde à la façon dont nous voulions approcher le citoyen et aux contraintes plus techniques liées au projet en lui-même.” La commune a mis en ligne les projets d’aménagement proposés par quatre bureaux d’études.

Imaginer la future Place aux Foires…

L’opinion des votants a compté pour 35% dans la décision finale. Les autres critères (coût, taux d’honoraires de l’architecte, qualité, sécurité, maintenance et entretien), soit 65 points au total, ont été évalués par un architecte pluraliste.

Après le succès du projet-pilote, la ville a décidé de s’abonner à la plate-forme en vue de pouvoir répéter l’opération. “La prochaine utilisation portera sur la localisation de boîtes à livres dans Marche-en-Famenne. Plus largement, il y a une volonté politique du bourgmestre de solliciter les gens pour tout grand projet, notamment un budget participatif.”

Soigner la communication

Un élément crucial, dès le départ, fut évidemment de faire connaître l’existence de la plate-forme et ses finalités. “Nous avons mis en place une campagne multi-canal avec un communiqué de presse et un toutes-boîtes. Avec également un signalement dans le bulletin communal et une action sur les réseaux sociaux. Sur la page d’accueil de sa page Facebook, la Ville a partagé des idées ou des projets spécifiques publiés sur la plate-forme afin d’alimenter les échanges. Avec des visuels de chaque projet et des liens spécifiques de telle sorte que les internautes aboutissent directement aux bons endroits de la plate-forme. Et bien sûr, le site Web de la ville redirigeait vers la plate-forme de vote.

“On a fait intervenir l’EPN, les écoles, on a mis à disposition un ordinateur à l’accueil de l’Hôtel de Ville”, ajoute encore Nicolas Druez. “On a veillé à choisir un nom de domaine attractif qui corresponde à un engagement citoyen. On ne voulait pas de marche.citizenlab.co comme c’est aujourd’hui le cas avec Enghien ou Flobeck. On a choisi jeparticipe.marche.be. Nous sommes persuadés que cela a joué dans le succès de l’opération

La première semaine, on a récolté plus de 1.000 inscriptions. C’était un record pour CitizenLab.”

En tout, pour son coup d’essai, jeparticipe.marche.be récoltera 1.748 inscriptions (pour une ville de 17.500 habitants) et 2.342 votes. 69% des votants sont issus de la commune de Marche. 

Pallier les lacunes de la plate-forme

Autre condition de réussite: les citoyens doivent facilement et rapidement déterminer ce qu’on attend d’eux et pourquoi on les consulte. Or, c’était là, à l’époque, une des faiblesses de la plate-forme CitizenLab qui imposait de passer par plusieurs écrans pour parvenir aux informations sur les objectifs visés par la commune.

La fonction de vote posait également problème. “Nous aurions aimé qu’on puisse uniquement donner un avis positif sur le projet qu’on trouvait le plus intéressant, sans pouvoir voter contre…” 

La fonction Commentaires est par contre jugée “super intéressante et enrichissante”. “Nous avons récolté 400 commentaires, tous constructifs – à une exception près.

La plate-forme évolue en fait au gré des expériences avec les communes. “Nous voulions par exemple intégrer de la vidéo”, poursuit Nicolas Durez, “ce qui, au départ, n’était pas possible. Il nous a fallu passer par Youtube… Aujourd’hui, la fonctionnalité existe dans CitizenLab. Nous étions également limité dans les visuels. CitizenLab a trouvé une parade en renvoyant vers un site avec une mise en page semblable où les photos étaient disponibles.”

Y’a plus qu’à

Avec Réinventons Liège, on se trouve à l’autre extrême de la consultation citoyenne. La ville a posté quelques propositions, par exemple la mise en place d’un budget participatif ou un portail open data liégeois. Mais elle a aussi complètement activé la “boîte à idées” de CitizenLab, entre le 8 mars et le 22 mai 2017. S’en est suivi une phase de votes, du 1er au 25 juin, puis une phase d’analyse. Résultat: 28.703 visiteurs (environ 15% de la population liégeoise), 5.015 citoyens inscrits, 89.437 votes, 3.707 commentaires et 1.012 propositions que la Ville a traduit en 77 actions prioritaires publiées sur reinventons.liege.be et classées en 7 catégories: mobilité, ville participative, collaborative et numérique, végétalisation et agriculture urbaine, transition énergétique, espaces verts et collectifs, inclusion sociale, art, culture, patrimoine et tourisme. Y plus qu’à…

Réinventons Liège. Quand les citoyens repensent la ville…

On ne frôle pas encore le big data, mais tout de même. S’il appartient à la Ville de Liège d’assumer son choix d’ouverture et de faire en sorte que les résultats de la consultation ne se transforment pas en eau de boudin ou en usine à gaz, les techniciens de CitizenLab sont conscients de l’intérêt des fonctions d’analyse et de traitement de l’information.

Aline Muylaert: “Nous travaillons à deux niveaux. D’une part, assurer un suivi de l’input en donnant la possibilité au citoyen d’être informé sur l’avancement de tel ou tel projet, de signaler que l’idée est acceptée ou pas. D’autre part, l’analyse intelligente des données. Nous utilisons pour ce faire le NLP (Natural Language Processing). Cela permet, par exemple sur un projet de 500 idées et 1.000 votes, de visualiser les informations par quartier, par tranche d’âge et par popularité. Auparavant, il fallait faire ces classements “manuellement”. Aujourd’hui, notre plate-forme intègre une fonction d’analyse automatisée des votes. Vancouver, par exemple, l’a utilisée pour identifier la meilleure façon d’investir les recettes de la taxe sur les habitations vides dans des initiatives de logement durable.”

L’autre gros chantier sur lequel planche CitizenLab est le budget participatif. 

CitizenLab compte aujourd’hui une petite quinzaine de personnes, moitié développeurs, moitié commerciaux, pour un résultat 2018 qui devrait tourner autour des 500.000 euros, le double étant attendu en 2019.
Très présente en Flandre également, elle touche aujourd’hui les Pays-Bas, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Norvège, le Danemark et le Canada avec Vancouver.
Signalons également que ses 2 cofondateurs, Wietse Van Ransbeeck et Aline Muylaert, figurent dans la liste des “30 under 30 Europe” de Forbes et que la société est pointée dans le top 5 du “Vendors in Smart City Applications et Solutions 2017” de Gartner.