Doit-on mieux identifier les citoyens participatifs?

Pratique
Par Brigitte Doucet, Jean-Luc Manise · 07/09/2018

Les “plates-formes de participation citoyenne” ont tendance à se multiplier, ces derniers temps. Ces espaces en-ligne, généralement intégrés aux sites Internet des villes et communes, développés la plupart du temps par des start-ups (CitizenLab, Fluicity, Decidim, Cap Collectif…), ont pour but de permettre aux résidents d’une entité de se prononcer sur des projets communaux ou municipaux, de donner leur avis, voire de formuler des propositions. Selon le degré d’implication que les autorités locales espèrent ou veulent susciter auprès de leurs “administrés”, l’espace sert tantôt à de simples sondages, tantôt à une “co-construction” d’idées et projets.

La question du contrôle et de la modération des contenus qui y sont postés est évidemment débattue, dès l’instant où le déploiement d’un tel espace d’expression est envisagé.

Les fonctions et paramétrages varient d’une solution à l’autre mais, souvent, une identification minimale suffit pour qu’un citoyen lambda ait accès à la plate-forme. Souvent, il lui suffit de décliner son nom et prénom et de fournir une adresse mail. Pas de restriction, via une quelconque vérification, qu’il est bien celui qu’il prétend être, qu’il réside bien sur le territoire de l’entité.

Voilà qui ouvre potentiellement la porte à certaines dérives. L’enjeu, après tout, est de récolter idées, commentaires et propositions qui soient pertinents, dans le cadre des projets imaginés ou des thèmes à débattre.

Ne faudrait-il pas dès lors identifier plus précisément les personnes qui “contribuent”? Vaste débat qui inspirera sans doute diverses réponses selon les sensibilités ou intentions de chacun. Voici toutefois la position qu’adopte l’association Belgian Mobile ID, à l’origine de la solution d’identité numérique par voie mobile Itsme.

Qualité, pertinence et véracité des données

“L’identification est un élément-clé. Il est important de pouvoir s’assurer qu’une personne qui est dans un groupe ou qui s’exprime sur la plate-forme est bel et bien tel voisin qu’il prétend être”, déclare Sylvie Vandevelde, responsable marcom de Belgian Mobile ID.

L’enjeu, en réalité, se situe au niveau des données, de leur qualité, pertinence et représentativité. En autorisant les contributions des citoyens, les plates-formes – et c’est évidemment le but – récoltent beaucoup de données, d’“inputs”, afin d’inspirer, voire d’orienter les décisions à prendre. Mieux vaut dès lors s’assurer que les informations fournies sont “légitimes”. “La majorité des gens sont certes bienveillants mais si un problème devrait survenir, il faudrait pouvoir en identifier la source. Il faut pouvoir vérifier que les avis ou les votes pour ou contre un projet viennent des bonnes personnes. Il s’agit en fait de qualifier les informations qui rentrent. Quel intérêt d’avoir une grande base de données mais avec peu de données qualifiées? Quelle est la valeur?”

Identification n’est pas Mr Big Brother

Identifier ne veut pas dire que l’on collecte forcément beaucoup de données. Ou sans discernement. “Selon la plate-forme [qui intègre le mécanisme d’identification Itsme – c’est le cas de Fluicity] ou le contexte, on ne collecte et partage que les données qui sont nécessaires, conformément aux règles du GDPR”, souligne Sylvie Vandevelde. “On pourrait par exemple imaginer une plate-forme où la seule règle serait d’avoir minimum 25 ans pour pouvoir donner son avis ou voter sur un projet. On demandera donc simplement la date de naissance. Disposer du nom ne sera pas indispensable, pas plus que le genre. Cela permet d’avoir l’information sans trop rentrer dans les détails.”

Un travail d’évangélisation

“Les éditeurs des plates-formes de participation citoyenne continuent d’éprouver des difficultés pour faire admettre que l’identification est importante. Or”, poursuit Sylvie Vandevelde, “se contenter d’une identification via Google ou Facebook est insuffisant: n’importe qui peut se créer un compte et s’appeler comme il en a envie. Lorsqu’on évolue dans le cadre d’une plate-forme de participation citoyenne, comme c’est le cas en économie partagée, on a besoin de savoir qui est de l’autre côté.”

“Il est important que les start-ups qui imaginent de telles solutions continuent de sensibiliser les autorités locales à l’intérêt de solutions d’identification, ne serait-ce que parce que le citoyen a le désir de reprendre les choses en mains. Il apprécie de pouvoir influer sur les choses dans son cadre quotidien. Itsme lui redonne les clés de son identité mobile, ce qui lui permettra de l’utiliser le plus largement possible.”

Sylvie Vandevelde (Belgian Mobile ID/Itsme): “Notre rôle est aussi de sensibiliser les gens à leur identité en-ligne, de leur faire comprendre qu’il est possible de faire une série de choses de manière plus sécurisée.”

A la question de savoir si l’obligation de s’identifier pourrait constituer un frein à la contribution des citoyens sur ce genre de plate-forme, Sylvie Vandevelde n’a pas vraiment de réponse. Seule indication qu’elle peut donner, les résultats d’une étude effectuée par l’association Belgian Mobile ID, avant le lancement d’Itsme, sur les besoins des utilisateurs et “comment ils placent l’identité numérique dans leur paysage.”

“On s’est alors rendu compte qu’il était très difficile pour eux de définir ce qu’est leur identité numérique, leur identité mobile, ou leur identité on-line en général. Ils faisaient certes le lien avec le fait d’utiliser leur carte d’identité électronique pour accéder à Tax-on-Web mais cela s’arrêtait souvent là.

Ils ne se rendaient pas compte que faire un log-in sur Facebook ou Google est finalement aussi une identité numérique. Au fil de la conversation, les gens s’apercevaient que leur identité numérique était plus plus étendue qu’ils ne le pensaient et ils se rendaient compte de l’importance que cela implique.

L’identité numérique n’est donc pas quelque chose qui, spontanément, interpelle le citoyen. Mais, dans certaines situations, cela les rassure d’avoir quelque chose qu’ils connaissent et qui est lié à leur banque ou au gouvernement, à des acteurs de confiance. Cela ajoute un sentiment de sécurité dans le processus.”

Le plus d’Itsme

“La valeur ajoutée d’Itsme est d’être une solution d’identification sécurisée mobile. Elle passe outre les difficultés d’une identification via son téléphone avec une carte d’identité électronique”, fait valoir Sylvie Vandevelde.

Sylvie Vandevelde (Belgian Mobile ID): “Dans certains cas, une identification des utilisateurs ou une confirmation plus forte du choix de la part des contributeurs serait une bonne chose. Par exemple pour les votes influant sur les choix budgétaires d’une commune…”

Autre argument: “Itsme est une solution qui a été reconnue par le gouvernement. Les éditeurs de solutions que nous rencontrons peuvent donc davantage défendre son utilisation et son intérêt auprès des communes ou municipalités. Ce n’est pas comme si elles venaient avec une solution trop nouvelle…” Question de confiance et de notoriété… [Ndlr: à noter au passage que les guichets électroniques peuvent d’office appliquer la solution Itsme dès l’instant où ils recourent au mécanisme CSAM, la “porte d’accès aux services de l’État”. Le gouvernement fédéral a accordé à Itsme la certification nécessaire en début 2018].

Identifier et authentifier. Pour ou contre?

Comment procèdent les villes et communes? Voient-elles un intérêt à identifier, voire authentification, de manière plus rigoureuse les citoyens qui ‘postent’ et partagent avis, opinions, questions en-ligne sur une plate-forme dédiée?

Nous avons posé la question à deux équipes, l’une utilisant la solution CitizenLab (Marche-en-Famenne), l’autre ayant préféré Fluicity (les responsables de la campagne Enragez-vous en Brabant wallon).

A Marche, l’option fut prise d’imposer en effet l’identification, “Pour éviter un éventuel dérapage lié à un lobby, nous avons décidé de rendre l’identification obligatoire”, explique Nicolas Druez, responsable communications de la Ville. 

Dans le cadre du projet qui a servi de cobaye (les avis des citoyens sur le réaménagement de la Place aux Foires, “il fallait, pour donner son avis, décliner son nom, son prénom et indiquer si l’on vivait ou non à Marche et, dans la négative, indiquer où l’on résidait.”

Julie de Pimodan (Fluicity): “L’application Itsme a été téléchargée plus de 500.000 fois [Ndlr: chiffre datant d’août 2018]. Elle permet de s’identifier très facilement via le compte bancaire. Cela nous permet de garantir l’identité et la réalité de l’utilisation.”

Autre optique du côté de la campagne Enragez-vous qui se déroule dans 27 communes du Brabant wallon (voir notre autre article). “Nous avions une exigence de transparence et d’équité”, explique Stéphane Vanden Eede, chargé de mission pour la campagne. “A de nombreuses reprises, des gens essayaient de voter plusieurs fois. L’expérience s’est transformée en une sorte de labo où il s’agissait à chaque fois d’avoir un coup d’avance pour déjouer ces tentatives. 

On a également beaucoup planché sur le volet identification. Nous voulions, pour la partie boîte à idées, que tout le monde puisse donner son avis sans identification préalable dans une fiche. Autant il était important d’empêcher les votes multiples dans la phase de sélection, autant la plate-forme devait être ouverte dans la phase de sollicitation. 

Fluicity a trouvé la solution via une formulaire de type Google Form mais meilleure car il ne fallait pas de compte Google pour participer…”