Après avoir remis en perspective, dans la première partie de son texte, le cheminement de l’Homme face aux exigences de savoirs et de compétences, aboutissant au stade – numérique – qui est le nôtre actuellement, Marcel Lebrun développe sa vision de l’école de demain: classes inversées, confrontation participative des acquis et des apports de chacun, changement du rôle de l’enseignant…
Le tout ponctué par 10 commandements pour l’école de demain.
L’école de demain, de la présence humaine d’abord !
Tout ceci porte notre interrogation sur l’école de demain. Parmi d’autres approches pédagogiques comme l’apprentissage par problèmes, par projets ou encore l’apprentissage collaboratif, les classes inversées portent probablement en germes des ingrédients sine qua non de cette école (Lebrun, 2016).
Il ne s’agit pas seulement, en s’appuyant sur la médiatisation et l’externalisation des ressources de savoirs, de donner “les leçons à la maison” (via les vidéos) et d’accompagner “les devoirs en classe” : cette inversion est un premier pas qui vise principalement à redonner du sens à la présence (à quoi servirait d’aller à l’école uniquement pour écouter des savoirs déjà largement transmis ?).
On peut aller plus loin : demander aux élèves (individuellement ou mieux en équipe) d’explorer les contextes dorénavant accessibles, de les organiser autour d’une thématique, de partager et de confronter en classe les apports des uns et des autres pour les compléter, les critiquer, les modéliser… Le lecteur retrouvera dans ces approches (proches de l’école mutuelle datée du dix-huitième siècle) l’exercice des compétences proposées plus haut : travailler en équipe, communiquer, faire preuve d’esprit critique…
Le rapport aux savoirs change, les rôles des élèves et des enseignants aussi. De transmetteur, voici ce dernier devenu accompagnateur d’apprentissage, animateur, conseiller voire chef d’orchestre de dispositifs et de scénarios pédagogiques. Souvent, des enseignants m’ont demandé si un jour un ordinateur (un robot doué d’intelligence artificielle, dirait-on aujourd’hui) allait les remplacer. Je leur répondais invariablement “oui”.
Marcel Lebrun (UCL): “C’est à l’élève et à lui seul qu’il revient d’apprendre. Encore faut-il que la formation des enseignants soit conçue pour les former comme on voudrait qu’ils forment leurs élèves…”
Si un enseignant me pose une question pareille sans mesurer très bien l’ampleur de son action, s’il pense que son rôle principal est de transmettre (alors que tout est transmis comme dirait Michel Serres dans « Petite Poucette ») alors oui, il sera remplacé.
C’est là que se situe l’enjeu pour l’enseignant et par extension pour l’école de demain. Le pédagogue se réjouit ici aussi : l’enseignant ne peut “apprendre à” ses élèves (malgré le fait qu’en français la locution “apprendre quelque chose à quelqu’un” soit correcte), il peut juste enseigner mais c’est à l’élève et à lui seul qu’il revient d’apprendre.
Encore faut-il que la formation des enseignants soit conçue à l’aune des apprentissages qu’il aura à son tour à conduire : former les enseignants comme on voudrait qu’ils forment leurs élèves, tout est dit.
Et ce ne sont pas quelques cours académiques supplémentaires qui feront l’affaire. Offrons-leur plutôt des espaces de liberté balisés dans lesquels ils pourront apprendre le métier en travaillant en réseau avec d’autres et en mutualisant leurs pratiques. Une facette positive de l’ubérisation par échange de savoirs et de pratiques ?
Des perspectives pour l’école de demain
Terminons ce rapide tour d’horizon sur l’école dans et pour une société numérique par ces “dix commandements” :
- Rendre à l’école sa cohérence avec la société à laquelle elle prépare, rendre les murs plus transparents
- Modulariser la formation par l’interdisciplinarité et l’approche programme, réfléchir à l’ensemble de la “formation toute la vie durant, de 7 à 77 ans et au-delà”
- Mettre vraiment en pratique (en culture numérique) les “acquis d’apprentissage” : ce que l’étudiant sait, est capable de faire et sa capacité à démontrer lui-même cette compétence (au travers de projets par exemple)
- Former davantage aux “savoirs sur les méthodes” (la méthodologie) et à la construction instanciée des savoirs nécessaires pour appréhender la complexité
“Considérer l’outil comme un potentiel et non une solution magique, l’usage prédomine… sinon le risque de la fossilisation vous guette.”
- Penser moins aux savoirs transmis (c’est fait) mais davantage aux compétences (transversales) à exercer
- Former les enseignants isomorphiquement (comme on voudrait qu’ils forment à leur tour leurs étudiants)… l’ex-cathedra est déjà sur la Toile
- Former ainsi à ce qui ne se trouve pas sur Google ou dans la Wikipedia, à ce que ne savent pas (encore) faire les robots
- Tenir compte des inversions actuelles (rapport aux savoirs, aux rôles, au temps et à l’espace) et faire des classes inversées un enjeu stratégique
- Baliser les “parcours pédagogiques” – les jeunes digitaux sont aussi en quête de phares, les humains numériques en ont besoin
- Considérer l’outil comme un potentiel et non une solution magique, l’usage prédomine… sinon le risque de la fossilisation vous guette.
Quelques références
Davidenkoff, E. (2014). Le tsunami numérique. Tout va changer! Êtes-vous prêts ?, Stock.
Giorgini, P. (2014). La transition fulgurante, Bayard.
Lebrun, M. (2016). Classes inversées, retour sur un phénomène précurseur (Octobre 2016) et Les classes inversées, vers une approche systémique (Novembre 2016), The conversation (Webzine).
Serres, M. (2012), Petite poucette, Le Pommier.
Stiegler, B. (2014). L’attention, entre économie restreinte et individuation collective, in Y. Citton, L’économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ?, La Découverte, pp. 123-135.
Marcel Lebrun
Technopédagogue, professeur à l’UCL
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