Réquisitoire de Carl-Alexandre Robyn, consultant, auto-proclamé “évaluateur de jeunes pousses”, en faveur d’une culture généralisée du savoir-investir. Dans une vision optimiste de ce qui pourrait être, au bénéfice d’un esprit et d’un terreau start-up. En bousculant au passage certaines pratiques profondément ancrées et qui auraient selon lui un gros besoin de dépoussiérage, voire de dynamitage.
Premier volet de ce réquisitoire: Élargir l’horizon des possibilités
A suivre:
– Autres effets vertueux de la culture “investissoriale”
– Pénurie de fonds ou de projets ? ou de vision ?
– Le b.a.-ba dès le secondaire supérieur
Postulat de départ: la culture financière des Belges est déjà assez faible, mais leur culture de l’investissement entrepreneurial est pratiquement inexistante. Il serait utile de promouvoir dans nos régions une culture financière plus axée vers l’investissement dans des entreprises non cotées en Bourse avant de songer à la promotion de la culture d’entreprise, ou du culte de l’entrepreneuriat.
Élargir l’horizon des possibilités
La culture financière des Belges est déjà assez faible, mais leur culture de l’investissement entrepreneurial est pratiquement inexistante. Il serait utile de promouvoir dans nos régions une culture financière plus axée vers l’investissement dans des entreprises non cotées en Bourse avant de songer à la promotion de la culture d’entreprise, ou du culte de l’entrepreneuriat.
La culture d’entreprise n’est que le maillon aval de la création de start-ups. Pour qu’elle prospère, le terrain doit avoir été préparé en amont, à l’échelle nationale, par une culture financière d’investissement en capital. C’est ainsi qu’on installe la plate-forme sur laquelle les entrepreneurs et les investisseurs peuvent ensuite “danser“ en toute liberté.
Comme dans une nation, il y a potentiellement plus d’investisseurs en herbe que d’aspirants-entrepreneurs. Réveiller et nourrir l’esprit d’investir est par ailleurs moins “disruptif“ que d’éveiller et d’alimenter l’esprit d’entreprise. Mieux vaut donc d’abord propager une culture “investissoriale“ avant toute culture entrepreneuriale : cela demande moins d’efforts et donc amoindrit les difficultés de dissémination. Certes, il faut des entrepreneurs pour créer des sociétés, mais il faut encore plus d’investisseurs pour financer ces entrepreneurs.
Une nécessaire prise de conscience
A quoi bon entreprendre si on ne maîtrise pas ou peu la matière première inévitable de toute activité entrepreneuriale : en gros, tout ce qui concerne les fonds nécessaires à l’amorçage, au démarrage, au développement d’une entreprise. C’est-à-dire, la connaissance de tout ce qui touche au financement des entreprises : les différentes familles (toutes hétéroclites) de contributeurs financiers, les diverses méthodes d’évaluation de start-ups et d’entreprises, ainsi que les nombreux véhicules d’investissement et leurs conséquences dilutives ou non.
La bonne compréhension des outils et des techniques de financement d’entreprise permet de concevoir des stratégies pour structurer au mieux les capitaux engagés dans une entreprise, de bâtir des architectures de capitalisation qui préservent plus équitablement les intérêts de toutes les parties (fondateurs, investisseurs, et employés clés) et qui sont le socle du rayonnement de l’entreprise.
Tous les véhicules d’investissement, du plus simple au plus sophistiqué, peuvent se révéler de faux amis et sont potentiellement dangereux, surtout pour les fondateurs: pourtant, presque personne ne s’en soucie ! Tout agencement de ces outils, tout mécanisme financier débouchant sur une transaction a des répercussions potentiellement délétères pour les fondateurs et presque personne n’en a conscience !
Un modèle idéal d’élevage de start-ups requiert, au préalable, la propagation d’une meilleure culture “investissoriale” au sein de la population.
Même les entrepreneurs qui n’ont pas de problèmes de financement (ils ont déjà réuni les fonds nécessaires au lancement de leur activité), donc les chanceux qui n’ont pas à aller quémander des capitaux d’investissement, sont malgré tout confrontés au problème de structuration de leur capital-actions : transformer l’argent apporté par les fondateurs et les premiers associés financiers en titres de propriété et/ou de rémunération.
Mais quand on a très peu de connaissances de base en financement d’entreprises et par conséquent peu de compréhension des options financières disponibles, on manque forcément d’idées pour élaborer des stratégies d’investissement pertinentes et durables. Dès lors, on s’offre soi-même sur un plateau d’argent à la rapacité des investisseurs.
Dans la majorité des cas, l’activité d’entreprendre est fondée sur la capacité à réunir, en temps opportun, par autofinancement et/ou par l’organisation de “tours de table“ (levées de fonds), les capitaux suffisants pour financer l’acquisition et la mobilisation des ressources nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans le plan de conquête de marché.
Or, la majeure partie des porteurs de projet (à l’instar de la population) n’a pas, ou peu, les connaissances de base en financement d’entreprises émergentes ou les aptitudes pour réunir des fonds : seul un pitch sur 200 obtient des capitaux d’investisseurs institutionnels ! Et les connaissances de leurs accompagnateurs en la matière sont, de manière générale, très lacunaires. D’ailleurs, les montages financiers qu’ils suggèrent sont souvent bancals. Bref, dans notre écosystème start-ups, on s’en remet habituellement à la bienveillance des investisseurs, alors qu’eux-mêmes ont une connaissance spécifique loin d’être optimale.
Carl-Alexandre Robyn: “la majeure partie des porteurs de projet (à l’instar de la population) n’a pas, ou peu, les connaissances de base en financement d’entreprises émergentes ou les aptitudes pour réunir des fonds: seul un pitch sur 200 obtient des capitaux d’investisseurs institutionnels !”
Ainsi, la plupart des outils et méthodes disponibles pour construire une stratégie capitalistique efficace et ambitieuse pour une start-up sont sous-utilisés voire inexploités faute de connaissances de la part des principaux intéressés ou en raison de leurs préjugés et/ou de leurs habitudes de ne pas sortir de leur zone de confort.
Une compilation d’une série de mini-enquêtes empiriques (1) sur les mécanismes et véhicules d’investissement préférés par les “start-uppeurs“ pour ouvrir leur capital, et par les capitaux-risqueurs pour entrer dans le capital, révèle que ce sont souvent les mêmes combinaisons de techniques et de formules d’investissement qui reviennent à chaque transaction. On s’aperçoit ainsi, de manière généralisée, que seulement un cinquième des options d’investissement possibles sont utilisées. C’est bien dommage.
Un culte de l’investisseur ? Pourquoi pas ?
Sans culture financière spécifique on ne peut bâtir une entreprise que sur un socle d’argile. C’est comme escalader l’Everest en sandales.
Doté d’une bonne culture “investissoriale”, vous savez quoi demander (combien et pour quelles raisons ?), à qui le demander (à quel type d’investisseur ?), comment le demander (en une fois ou par fractions ?), et à quelles conditions (en échange de quoi ?), ce qui fait tomber pas mal de barrières empêchant de se jeter à l’eau.
En effet, beaucoup d’individus ont certes la volonté de créer une entreprise mais peu ont la force d’oser, intimidés notamment par la difficulté – supposée – de trouver des fonds, en suffisance et en temps opportun.
Près d’un tiers des étudiants du secondaire supérieur interviewés manifeste le souhait de créer, un jour, une entreprise, et la moitié d’entre eux passerait bien à l’acte à relativement court terme, mais seulement 10 % de ceux qui en ont envie (c’est-à-dire 10 % de 33 %) tenteront effectivement l’expérience. Le frein principal pour se lancer semble être l’appréhension du chemin de croix pour réunir les capitaux d’investissement nécessaires. (2)
Le premier atout-maître d’un modèle idéal d’élevage de start-ups est un modèle irrigué par la culture de l’investissement en entreprises, entouré de gens qui pensent à investir, qui ont investi, qui veulent réinvestir…
Tous les gens qui ont investi dans des start-ups savent qu’ils ont au moins autant appris de leurs échecs que de leurs réussites. Du coup, dans cet écosystème idéalisé, toutes les expériences d’investissement dans des entreprises émergentes sont valorisées qu’elles soient couronnées de succès ou qu’elles fassent flop.
Le culte de l’investisseur entraîne deux conséquences. D’une part, la proportion des individus qui rêvent de financer une jeune entreprise devient plus importante que partout ailleurs où il n’y a pas cette vénération des financeurs de projets entrepreneuriaux. D’autre part, les individus acquièrent progressivement une connaissance poussée des réalités de l’investissement dans une jeune pousse : propriété, contrôle, enrichissement, exit…
Les contributeurs ayant effectué des petits investissements à but lucratif, savent ce qu’est une TPE (acronyme de Très Petite Entreprise), un dividende, un intérêt, des royalties, des délais de paiement, un pacte d’actionnaires, la revente de leurs parts, et ils ont une obsession: le retour sur investissement !
L’une des clés d’un modèle de société civile divinisant l’investisseur est tout simplement qu’il y a alors beaucoup plus de candidats au financement de la création (et/ou du développement) d’entreprise, et qu’ils sont mieux préparés et plus sophistiqués qu’ailleurs.
Carl-Alexandre Robyn
Start-upologue, évaluateur de jeunes pousses
Cabinet Valoro
(1) Menées auprès de porteurs de projet et d’investisseurs par le Cabinet Valoro depuis 2013, à l’issue de chaque Forum annuel (de pitches) “Mind & Market“ à Louvain-la-Neuve. [ Retour au texte ]
(2) Étude française (octobre 2013) portant sur l’esprit d’entreprendre des jeunes accompagnés par les Missions locales, pilotée par l’Association Nationale des Groupements de Créateurs et l’Union nationale des Missions Locales. Financée par l’Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) et le Fonds Social Européen.
Cette étude corrobore un rapport d’évaluation “Développement de l’esprit d’entreprise“ (juillet 2011) effectué en France par le Credoc pour le compte du FEJ (Fonds d’Expérimentation pour la Jeunesse) dépendant du Ministère des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative.
En 2016, le Cabinet Valoro a pu interviewer en profondeur 37 étudiants, membres de 2 des 29 “pôles étudiants pour l’innovation et l’entrepreneuriat“, en se basant sur une enquête préalable du réseau français Pépite (consortium financier associant grandes écoles, collectivités territoriales et partenaires privés) ayant servi de base aux discussions de la Conférence des présidents d’université (2014). [ Retour au texte ]
A suivre, demain:
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