Alors que le Mundaneum lui réserve une place dans son exposition consacrée à la cryptographie (relire ici notre article), l’un des pères (anglais) de l’âge des ordinateurs, Alan Turing, aura également les honneurs du musée NAM-IP (Numerical Artifacts Museum – Informatique Pionnière) de Namur. Et ce, jusqu’à la fin du mois de juin 2018.
La vie d’Alan Turing, ses travaux et inventions, ainsi que les différentes passions technologiques qui ont émaillé sa vie, y sont exposées dans un style certes minimaliste mais riche en informations. On y découvre ses premiers écrits et inventions – depuis son premier calculateur numérique jusqu’aux plans qu’il a dessinés, dès 1945, pour concevoir l’un des tout premiers ordinateurs dignes de ce nom (l’ACE Pilot – ACE étant l’acronyme d’Automatic Computing Engine). En passant bien entendu par sa période crypto-analyse et son action décisive au service du décryptage des codes utilisés par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale (la célèbre machine Enigma ne résistera pas à la “machine de Turing” baptisée “la Bombe”).
Mais on découvre aussi, au gré de l’exposition, d’autres facettes du personnage, sans cesse passionnés par de nouveaux défis et énigmes. Notamment, son invention d’un téléphone à cryptage vocal qui a permis, vers la fin de la guerre, à Churchill et Roosevelt de converser en toute sécurité, le rôle d’incitateur qu’il a pu jouer dans la genèse de l’intelligence artificielle ou encore son intérêt pour la morphogenèse et sa conviction que les mathématiques peuvent expliquer les créations parfois tellement ordonnées et systématiques, mais aussi les variations, de Mère Nature.
Un exemplaire de la “machine de Turing”. Source: bbc.com
Ce que les visiteurs regretteront sans doute, c’est de ne pas pouvoir poser les regards sur un exemplaire de la “machine de Turing”, qui a servi à casser les codes allemands. Mais les exemplaires encore existants se font rares – et particulièrement onéreux, même en location. Pour les curieux, il faudra donc se rendre au Mundaneum de Mons pour en voir un exemplaire.
A Namur, il faudra se contenter d’une reconstitution projetée sur un pan de mur.
On pourra par contre y voir un exemplaire de la machine de chiffrement Hagelin C-36 utilisée par les troupes françaises pour communiquer entre elles. Le patronyme Hagelin pourrait faire penser que cette machine était d’origine française. Il n’en est rien: son auteur était en effet la société A.B. Cryptoteknik du Suédois Boris Hagelin.
A noter, pour les férus d’histoire, qu’une descendante immédiate de la C-36, la C-38m, a été utilisée, toujours pendant la deuxième guerre mondiale, par la marine italienne. Son code a été cassé dès 1941 par les spécialistes en crypto-analyse de la Government Code and Cypher School britannique qui officiaient déjà o Bletchley Park, les mêmes qui allaient ensuite “casser” le code Enigma allemand grâce à Alan Turing.
Deux inventeurs se regardent
L’une des originalités de l’exposition “Codes et Couleurs” du NAM-IP réside dans le compagnonnage virtuel créé entre ces deux inventeurs informatiques contemporains que furent l’Anglais Alan Turing et l’Allemand Konrad Zuse, auteur de plusieurs calculateurs électromécaniques.
Konrad Zuge à côté de son Z3. Source: Deutsches Museum, Münich.
Un inventeur qui, aujourd’hui, est souvent boudé ou négligé du fait de son implication dans des travaux ayant bénéficié à la machine industrielle qui a alimenté le régime nazi en engins de destruction. Konrad Zuse a en effet participé au développement de machines de calcul (on ne parlait pas encore, à l’époque, d’ordinateurs) pour calculer la structure d’avions et de fusées balistiques.
Son Z3 fut l’un des premiers calculateur électromécanique programmable binaire à virgule flottante. Il fut aussi à l’origine d’un langage informatique de haut niveau depuis longtemps tombé dans les oubliettes: le Plankalkül. En 1964, il revendait sa société et diverses inventions, dont le premier traceur de plans d’architecture, à un certain Siemens.
Pour ne pas heurter certaines sensibilités, le NAM-IP a préféré lui donner une place mineure dans l’exposition. On y découvrira quelques-unes de ses inventions (baptisées V1 et V2 à l’origine, par la suite ré-estampillées Z1 et Z2 pour ne pas créer de confusion avec les bombes volantes allemandes).
Par contre, sa présence est nettement plus visible au travers de peintures à l’huile, l’une de ses passions au privé…
Une expo et des événements
Tout au long des 8 mois que durera l’exposition temporaire Codes & Couleurs, le NAM-IP organisera diverses activités destinées au grand public mais aussi au plus jeunes. Ainsi des ateliers de codage, le cryptage et les “codes” couleurs dans le règle animal, seront proposés pendant les congés scolaires aux enfants (8 à 18 ans).
Autres activités:
- 18 novembre, à l’espace culturel Quai 22 de l’Université de Namur: projection du film “Comment les maths ont vaincu Hitler – La drôle de guerre d’Alan Turing”; un film de Denis van Waerebeke (voir la bande-annonce sur Vimeo) qui retrace la vie et les activités de l’inventeur, de manière nettement plus conforme à la réalité que l’image qu’en a donnée le film “The Imitation Game”
- plusieurs conférences, dont l’agenda doit encore être précisé, et notamment, en juin 2018, une conférence donnée par Dermott Turing, neveu d’Alan Turing.
L’exposition Codes & Couleurs a largement été rendue possible, pour le volet Alan Turing, grâce au prêt de la collection créée par le Français Pierre Mounier-Kuhn, historien et chargé de recherches au CNRS et à l’Université Paris-Sorbonne qui, dès 2012, à l’occasion du 100ème anniversaire de la naissance de l’inventeur britannique, avait organisé l’exposition Alan Turing: du langage formel aux formes vivantes.
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